Médecine, sciences humaines, spiritualité: Une jeune femme médecin s’efforce de bâtir des ponts

Après l’obstétrique, la Dre Andréanne Côté, médecin de famille à Montréal, se passionne pour les soins palliatifs. Enseignante de yoga*, elle mène aussi une étude sur l’expérience spirituelle en fin de vie dans le cadre de sa maîtrise en science des religions. Entrevue.Que visez-vous avec votre étude portant sur les personnes en fin de vie et la spiritualité ?À établir un pont entre les soins palliatifs et le yoga, afin de poser un regard renouvelé sur la spiritualité de personnes gravement malades, lorsqu’elles pratiquent des exercices inspirés du yoga. C’est une recherche qualitative, d’inspiration phénoménologique. Nous cherchons aussi à savoir dans quelle mesure le fait de porter attention à ce qui se vit lors d’une pratique psychocorporelle permet au malade de prendre conscience de la dimension spirituelle de son vécu.Comment définissez-vous la spiritualité, à la lumière de votre expérience clinique ? Comme un espace intérieur qui nous donne le sentiment d’être relié à soi, à l’autre (proches, communauté) et à plus grand que soi (la nature, le cosmos, l’univers, Dieu, Allah, Shiva, etc.). C’est aussi notre petit côté philosophe qui pose des questions sans réponse et qui apprend à vivre avec ces questions sans réponse. C’est un alter ego qui travaille dur pour donner un sens à la vie, à la souffrance... et à la mort.Comment avez-vous vécu le passage de l’obstétrique vers les soins palliatifs ? Faites-vous un lien avec les sciences humaines ?Le passage de l’obstétrique aux soins palliatifs peut paraître inusité, mais j’apprécie l’intensité du moment dans ces deux temps de vie. C’est tout un privilège de prendre ainsi part à ces rites de passage, alors que les familles nous tendent la main et nous ouvrent une page de leur histoire.Dans ces deux réalités, il y a l’idée d’un lâcher-prise. Nous devons apprendre à faire confiance à la force du corps, à travers lequel s’incarne la force de la nature. Le corps sait donner naissance, tout comme il sait mourir. Il est tentant, pour nous médecins, d’intervenir quand on sent que ça nous échappe; il s’agit plutôt de trouver l’équilibre, en laissant faire le corps tout en offrant à la personne un espace sécuritaire. Mon passage en sciences humaines me donne des outils pour mettre ces réalités en mots.En quoi les sciences humaines vous aident-elles en médecine ? Elles me permettent de prendre du recul sur ma propre pratique et sur le monde médical en général. Pas facile, dans les journées folles d’un médecin, de s’arrêter pour prendre ce recul, car la pression est immense.Très souvent aussi, l’algorithme dans lequel j’ai été formé ne fonctionne pas pour le patient que j’ai devant moi – c’est d’ailleurs souvent le cas en soins palliatifs. Chaque personne est unique, et cela n’apparaît jamais avec autant d’évidence qu’en fin de vie. On doit alors adapter l’algorithme au patient, et non l’inverse.Yoga, pleine conscience et méditation peuvent aider les patients, mais aussi les soignants, selon vous.Expliquez en quoi.Oui, du seul fait de prendre contact avec leur intériorité. Certains effets (présence attentive, détente, lâcher-prise, coping) produits par l’entremise du yoga sont bénéfiques à l’une ou à l’autre des étapes du travail spirituel. Cela dit, les effets découlant du yoga varient en fonction des besoins et du parcours de chacun.Cette rencontre privilégiée en face à face, où l’on partage espace et temps, contribue au rétablissement. Le rapport au corps est réparateur de part et d’autre lorsqu’il est exploré de manière respectueuse. Par ses pouvoirs créateur et réconciliateur, le travail corporel peut être porteur de sens. La proximité physique qui s’engage à travers ce contact privilégié fournit l’occasion de réfléchir et de se comprendre. Je crois vraiment possible d’enrichir la médecine moderne des apports d’autres approches.Comment vivez-vous votre rôle de médiatrice entre ces diverses visions de la médecine ?Ce rôle m’est tout naturel, au vu des constats que je fais. La médecine moderne accomplit de grandes choses, mais à quel prix ? Elle a allongé l’espérance de vie, mais doit continuer à agir pour améliorer la qualité de vie, qui inclut aussi, pour beaucoup, la dimension spirituelle. C’est pourquoi les recherches en ce sens sont tout aussi importantes.Il faut trouver d’autres voies, en gardant le meilleur de la technique et en intégrant le facteur humain. La médecine est loin d’avoir réponse à tout; en soins palliatifs, plus tôt on accompagne le patient, mieux c’est pour lui, car le choc de la fin de vie, pour certains, en sera moins brutal.Quelles sont vos principales observations cliniques sur la fin de vie ?Les soins palliatifs nous alertent à la nécessité de revoir certaines pratiques, comme le fait d’investiguer et de traiter en appliquant de simples recettes. Qui est vraiment le patient que j’ai devant moi ? Quels sont ses choix, ses valeurs ? Doit-on continuer, en toute fin de vie, à lui faire subir des tests qui grugent son temps de qualité ? À l’approche de la mort, le temps devient encore plus précieux. N’est-il pas temps, justement dans ces moments-là, d’aller au-delà de la condition médicale ? À travers le dialogue, on peut éviter bien des souffrances à certains patients, comme le fait de le soumettre à certains traitements (chimiothérapie ou autres) susceptibles de causer des effets secondaires.La réalité sociale et financière du Québec pousse à la révision des pratiques, selon vous...Oui, car faire des tests pour faire des tests, donner des traitements pour des traitements ne fait plus de sens, ni au plan économique, ni au plan social, ni au plan psychologique. Tout cela gruge le temps de préparation que le patient peut avoir; en plus, c’est lourd pour le personnel soignant, qui doit composer avec la famille éplorée avec qui il n’a pas le temps de créer un lien. Dans bien des cas, on peut choisir d’arrêter des traitements futiles.Il faut aussi mettre en relation le coût croissant de la chimio dans les dernières semaines de vie et la baisse constante des soins à domicile. Nous sommes appelés à faire des choix. Plus le patient est admis tardivement en soins palliatifs, parce que le passage du curatif vers le palliatif a tardé, plus c’est dommageable pour lui.En conclusion ?Il paraît possible et souhaitable d’intégrer en soins palliatifs une thérapie complémentaire qui met de l’avant le lien corps-esprit. Il serait utile d’initier les soignants en soins palliatifs à des techniques (respiration, méditation, relaxation) inspirées du yoga, afin qu’ils puissent les intégrer aux soins offerts.À cet égard, la reconnaissance du corps médical m’apparaît fondamentale. Il est impératif de mener des recherches sur l’intégration de la dimension spirituelle dans les soins. Déjà, en soins palliatifs, on commence à voir au-delà de la seule dimension physique, en intégrant les causes psychiques. L’heure est peut-être venue d’aller encore un peu plus loin, en regard de la dimension spirituelle.« Lâcher prise, ça vaut pour le patient et pour le médecin »Quel serait le plus grand changement à opérer en matière de santé ? Nous avons posé la question à la Dre Andréanne Côté, médecin de famille à Montréal. Voici sa réponse :« Établir un partenariat avec le patient, l’invitant à assumer davantage la responsabilité de son bien-être. On y parvient de mieux en mieux. S’ils donnent un coup de pouce transitoire, les outils extérieurs (médicaments ou autre), ne peuvent remplacer le travail sur soi que doit faire le patient pour améliorer sa condition. Mais c’est là un travail intensif et lourd à entreprendre.« Par ailleurs, la médecine occidentale a un côté volontariste très poussé; elle parle de ’’combat’’, de ’’lutte’’ contre la maladie, ce qui est de mise à l’urgence et dans certaines situations cliniques. Mais en soins palliatifs, la mentalité de combat à tout prix perd de sa pertinence, car elle génère aussi stress et détresse. Parfois, c’est le patient qui ne veut pas lâcher le morceau, parfois, c’est le docteur. Dans les deux cas, il faut savoir exercer l’art du lâcher prise. »* Ateliers de formation Science et conscience, destinés aux soignants. La Dre Andréanne Côté y participe comme enseignante. wwwviayoga.ca

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