MedActuel DPC - Les indices que les patients offrent aux médecins sont-ils pris en compte ?

ll est recommandé aux médecins d’écouter l’histoire que les patients leur racontent. Et pour cause. On estime qu’environ 85 % des diagnostics en médecine générale peuvent être posés sur la base de l’analyse des symptômes1. Bien écouter est donc une habileté essentielle à maîtriser. Dans cette chronique, nous voudrions attirer votre attention sur les indices (cues) que donne le patient durant la consultation et qui indiquent qu’il a plus à dire que ce qu’il a dit explicitement. Les indices donnés par le patient sont souvent nombreux et les contraintes de temps empêchent le médecin de tous les explorer. Il doit faire des choix. Dans cette chronique, nous nous sommes inspirés d’un article de Simon Cocksedge et de Carl May intitulé « The listening loop : a model of choice about cues within primary care consultations »(2).La nature des « indices » donnés par les patientsUn indice, qu’il soit de nature verbale ou non verbale, constitue toujours un signe porteur de sens transmis par le patient et par lequel il tente d’alerter le médecin sur la présence d’une inquiétude ou d’un questionnement. Sa valeur tient cependant à l’analyse que le médecin en fait. Il y a une part inévitable de « spéculation » et le médecin prend toujours un certain « risque » en proposant un lien. Le sens prêté à l’indice doit donc toujours être vérifié.Voici un exemple où le médecin propose un sens en réponse à un indice non verbal qu’il décide de relever :Le médecin observe que le patient grimace au moment où il décrit le traitement qu’il suggère. Il interprète la grimace comme l’expression d’une inquiétude du patient à l’égard du traitement.Médecin – Ce traitement semble vous inquiéter.Patient – Non, pas du tout, je viens de voir l’heure sur l’horloge derrière vous et je constate que je vais être en retard pour la garderie.L’aspect allusif ou de non-dit de l’indice (comme l’ensemble du non-verbal) est important pour le patient, car cela lui permet de « tester » la réaction de son vis-à-vis tout en se gardant la possibilité de reculer s’il ne se sent pas prêt à aborder le sujet lorsque le médecin le relèvera. Par cette stratégie, il se réserve le droit d’en parler ou non sans avoir l’air de refuser une demande de son médecin d’élaborer. Ce faisant, il évite de menacer la relation avec son médecin en refusant son ouverture.Le tableau I présente des exemples d’indices que les patients peuvent donner durant leurs rencontres avec un médecin.Deux raisons pour le médecin de s’occuper des indicesLes indices peuvent servir le médecin de deux manières. D’abord, ils peuvent révéler la personne dans ce qu’elle est, c’est-à-dire ses caractéristiques stables comme son niveau d’éducation, sa personnalité, etc. Cet usage des indices, bien qu’important, ne fait pas l’objet du présent article. Les indices permettent aussi d’identifier une difficulté vécue par le patient lorsque celui-ci n’arrive pas à l’exprimer directement au cours de la consultation. C’est le cas du changement de « pattern de consultation » ou d’un changement dans la façon habituelle de se comporter durant la consultation (par exemple, un patient qui se présente toujours vêtu de manière impeccable arrivant en tenue négligée). Cette déviation de « l’habituel » devient une façon d’indiquer au médecin que quelque chose ne va pas. Aussi, une question hors contexte, la répétition d’un énoncé, une question de poignée de porte sont autant de façons d’indiquer au médecin une préoccupation, une hésitation ou même un désaccord.Réagir ou non aux indicesPuisque rien n’a été dit explicitement par le patient, le médecin peut prétendre ne rien relever ! Personne ne peut l’accuser d’avoir ignoré sciemment des informations fournies par le patient. La responsabilité du médecin est engagée lorsque des propos sont formellement tenus devant lui. Mais si rien n’a été dit explicitement, cela n’a pas été dit !Puisque ce sont des indices, ils peuvent être ignorés par le médecin qui se contente de poursuivre l’entrevue en ne tenant compte que du discours explicite du patient. Il y a plusieurs manières de négliger les indices fournis par le patient. La principale manière est de simplement les ignorer. Parmi les autres, on peut reporter la discussion à plus tard, rassurer prématurément, interrompre, changer de sujet, normaliser les propos, etc. Malheureusement, la décision de ne pas relever un indice tient davantage à des pressions externes à la consultation qui n’ont rien à voir avec la santé du patient (tableau II). Le risque, à ce moment, est de passer à côté d’une information importante.D’autre part, le médecin ne peut explorer tous les indices présents lors d’une consultation, il doit faire des choix. Ainsi, face aux indices donnés par les patients, il est utile que le médecin se donne une stratégie pour les traiter.La première tâche du médecin est d’identifier un ou des indices pertinents, potentiellement porteurs d’informations utiles sur la maladie ou l’expérience de la maladie. La deuxième tâche est de décider s’il explore ces indices. Il est possible que l’objet vers lequel pointe l’indice ne revête pas un caractère essentiel qui, du point de vue du médecin, exigerait une exploration immédiate. Enfin, la troisième tâche du médecin, s’il a décidé d’explorer l’indice, est d’identifier à quel moment il doit cesser son exploration active. Habituellement, ce moment se présente lorsque les propos du patient n’apportent plus aucune contribution à la compréhension du problème.Un contexte particulier où les indices doivent être relevésLe contexte de l’annonce d’une mauvaise nouvelle doit inciter le médecin à une plus grande attention aux indices que fournit le patient. En effet, dans ce contexte, le patient peut être en état de choc émotif et il se peut que cet état entraîne des comportements imprévisibles ou indésirables. Lorsqu’un individu reçoit une mauvaise nouvelle, ses processus cognitifs normaux sont également perturbés, il se retrouve alors incapable de traiter correctement les informations. Malheureusement, beaucoup de médecins continuent de discuter avec le patient comme si rien ne se passait, comme s’il avait donné une information banale à un patient en pleine possession de ses moyens. Ce n’est pas banal de recevoir une mauvaise nouvelle. C’est le moment d’être particulièrement attentif aux indices montrant que le patient est perturbé.Quels sont ces indices ?Le patient devient silencieux.Il utilise des phrases courtes.Il devient moins loquace.Il ne maintient pas le contact visuel.Il redemande des explications que vous venez de lui donner.Il pose des questions accessoires, sur des détails sans importance.Un patient qui, à la suite de l’annonce d’une mauvaise nouvelle, affiche ces comportements est probablement aux prises avec un blocage émotif qui empêche son fonctionnement cognitif normal. Dans ces conditions, le médecin a intérêt à reconnaître les indices, à refléter explicitement au patient sa compréhension de la difficulté de la situation annoncée et de limiter la quantité des informations transmises lors de l’annonce.Dans la vignette clinique de la page précédente, nous avons vu comment une patiente présente de nombreux indices qui ne sont pas relevés par le médecin qui rate ainsi plusieurs occasions de soutenir la patiente dans un moment difficile.ConclusionEn ignorant les indices offerts, le médecin n’a pas reconnu une difficulté émotive et cognitive du patient, mais dans d’autres cas, ces indices pourraient pointer vers des symptômes menant à un autre diagnostic. Une maladie qui passe inaperçue parce que les indices fournis par le patient n’ont pas été reconnus peut constituer une situation dramatique. C’est pourquoi nous espérons avoir attiré votre attention sur l’importance d’être attentif aux indices que le patient vous offre.RéférencesHampton JR, Harrison MJG, Mitchell JRA, Prichard JS, Seymour C. Relative contributions of history-taking, physical examination, and laboratory investigation to diagnosis and management of medical outpatients. British Medical Journal 1975, vol. 2, 486-489. Cocksedge S, May C. The listening loop : a model of choice about cues within primary care consultations. Medical Education 2005; 39 : 999-1005.Autres sources consultées mais non citéesCroopman J. How doctors think. Houghton Mifflin Company, Boston : 2007. Levinson W, Gorawara-Bhat R, Lamb J. A study of patient clues and physician responses in primary care and surgical settings. JAMA 2000; 284 : 1021-7. Richard C, Lussier MT. La communication professionnelle en santé. ERPI, Montréal, 2005.

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