MedActuel DPC - L'arrêt de travail pour un problème de santé mentale : une arme à deux tranchants

Objectifs pédagogiques Savoir prescrire l’arrêt de travail pour un problème de santé mentale. Apprendre à considérer l’arrêt de travail comme tout traitement. Point de vue d’un médecin conseil en entrepriseMalgré les efforts soutenus de tous les intervenants dans la gestion des absences au travail pour problèmes de santé mentale, le taux d’absentéisme ne cesse d’augmenter. Cet article vise essentiellement la prescription de l’arrêt de travail dont les conséquences sont des coûts faramineux en assurance salaire. On estime à près de 40 % le taux d’absentéisme au travail pour problème de santé mentale, représentant près de 60 % des coûts en assurance salaire.Dans le cadre d’une restructuration de la gestion des absences au travail visant à améliorer la situation, la responsabilité de tous les intervenants est mise à contribution. Comme toujours, la prévention tire son épingle du jeu dans la gestion d’une telle situation. Beaucoup d’entreprises mettent sur pied des programmes visant à maintenir l’employé au travail. Les services de santé et sécurité du travail ouvrent la voie à la communication entre les différents intervenants. La conciliation doit faire place à la confrontation.Mes nombreuses années d’expérience comme médecin conseil en entreprise m’ont amené à évaluer un grand nombre de cas d’incapacité au travail pour santé mentale. Le médecin qui prescrit un arrêt de travail pose un geste thérapeutique au même titre que tout type de traitement. Le certificat médical joue un rôle de premier plan pour l’employé dans la réclamation d’assurance salaire.L’arrêt de travail : une décision éclairéeIl est important de discuter de l’arrêt de travail avec l’employé comme de tout autre traitement, avec ses indications et les effets indésirables possibles.Avant de prescrire un arrêt de travail, il serait important de vérifier avec l’employé quel est son niveau fonctionnel au travail. Seul l’employé connaît ses tâches au travail, ses capacités à y répondre et son intérêt à faire ce travail.Voici quelques précisions à apporter lors de votre questionnaire : Est-il totalement incapable de faire toutes ses tâches ? Y a-t-il possibilité d’un travail allégé ? Son supérieur a-t-il manifesté une inquiétude par rapport à sa prestation de travail ? A-t-il commis une erreur au travail ? A-t-il rencontré son supérieur pour en discuter ?Puis, nous devons prendre le temps de discuter avec lui de certains éléments essentiels afin de le faire participer au processus décisionnel : Lui expliquer les indications et les effets négatifs de l’arrêt de travail. Bien évaluer avec lui le pour et le contre en fonction des exigences du poste de travail et de son état de santé.Réflexions à mettre en perspective dans les cas difficilesBienfaits de l’arrêt de travail structuré Repos Occasion de refaire ses énergies Prendre du recul par rapport à sa situation Moment propice à la réflexion Se ressourcer Se changer les idées Reprendre confiance en soi Stimuler ses neurotransmetteurs par toutes sortes d’activités : physique, intellectuelle et sociale. Effets négatifs de l’arrêt de travail mal structuré Isolement Solitude Confronté 24 heures sur 24 à ses problèmes Organiser son temps 168 heures par semaine (7 x 24 = 168) Déconditionnement intellectuel, physique et social Sentiment de culpabilité et d’échec Crainte de représailles Sentiment d’avoir moins de chances de mériter une promotion Crainte d’être mal jugé par les autres employés Anxiété de retour au travail.L’arrêt de travail en fonction de la condition psychosociale Avant de mettre tout de suite son patient en arrêt de travail, à moins d’une situation urgente et exceptionnelle, il serait utile de lui faire part des enjeux de l’arrêt de travail en fonction de sa condition personnelle. En cas d’une séparation, par exemple, y a-t-il des bénéfices à retirer quelqu’un de son travail pour le confiner à la maison ? Un esprit inoccupé ouvre la voie à un esprit préoccupé et torturé. Beaucoup de médecins préfèrent retarder d’une semaine la prise d’une décision afin de permettre à leur patient de réfléchir à toutes les implications d’un arrêt de travail. Chercher d’autres avenues à cette solution radicale. Tenter de maintenir l’employé au travail même si ses capacités sont moindres. Si la personne travaille dans une entreprise où il y a un programme d’aide aux employés, il faut l’inciter à le consulter. C’est gratuit et confidentiel. Des psychologues peuvent aider la personne à mieux vivre ces situations problématiques et stressantes. Sinon, a-t-elle des assurances qui couvrent les frais de consultation en psychologie?L’arrêt de travail et les automatismesMalgré que le certificat médical soit facile à remplir, certains médecins s’acquittent difficilement de cette responsabilité. Ce certificat médical doit être rempli (obligation par le code de déontologie du CMQ) complètement. Il s’agit d’une tâche essentielle qui a des conséquences.Il faut dire que beaucoup de certificats sont mal écrits, pour ne pas dire illisibles. Ceux qui ont à le décoder s’arrachent parfois les cheveux…Il existe beaucoup d’automatismes en ce qui concerne la rédaction des certificats médicaux.Les automatismes fréquemment observés Certains médecins se réfèrent davantage au titre d’emploi qu’aux tâches qui lui sont associées pour déterminer les raisons médicales qui justifient un arrêt de travail ou sa prolongation. Or, il est important de valider l’incapacité au travail par des limitations fonctionnelles qui tiennent davantage compte des exigences du poste de travail de l’employé. Une infirmière qui a des tâches administratives, par exemple, n’a pas les mêmes responsabilités qu’une autre qui travaille à l’urgence ou en salle d’opération. Il nous arrive encore de rencontrer des employés qui n’ont aucun pouvoir décisionnel sur leur arrêt de travail : « C’est mon médecin qui m’a mis en arrêt de travail. » Heureusement, la plupart des médecins discutent de l’arrêt de travail avec leur patient comme s’il s’agissait d’un traitement, avec ses indications et ses effets indésirables. Rappelons-nous que seul l’employé connaît véritablement ses capacités à travailler, les exigences de son poste de travail et son intérêt au travail. Il doit participer au processus décisionnel. Que dire des délais encourus lors d’une investigation ou d’une consultation en psychiatrie. Le médecin traitant n’a pas toujours besoin d’attendre l’opinion d’un expert pour juger de l’aptitude de son patient à reprendre le travail. Attention également aux automatismes quant à la durée de l’arrêt de travail :Pour certains, seul le diagnostic fait foi de la durée de l’invalidité. Il n’est pas rare de voir sur des certificats médicaux, pour dépression par exemple, une prescription automatique d’un arrêt de travail de trois, quatre et même six mois. Que dire du patient affligé d’une telle incapacité ? Du risque de chronicité ? Sans oublier l’anxiété de retour au travail, le moment venu. Il ne faut pas négliger les effets bénéfiques à court terme de la pharmacothérapie et de la psychothérapie brève. Le médecin et le patient gagnent à travailler avec les psychologues lorsque possible.Pour d’autres, les raisons invalidantes se résument à décrire tous les symptômes d’une dépression ou de la pathologie en cause… Il va de soi que les raisons médicales justifiant l’arrêt de travail ou sa prolongation ne doivent tenir compte que des seuls symptômes incapacitants face aux exigences de son poste de travail.Il arrive souvent que les certificats de prolongation d’arrêt de travail soient des copies conformes du certificat initial. Aucune information sur l’évolution de l’état de santé de l’employé.Il n’est pas rare non plus de voir se prolonger un arrêt de travail en fonction des habitudes du médecin. Un patient suivi à tous les mois, par exemple, voit son arrêt de travail prolongé d’un mois même si l’évolution favorable de son état mériterait une évaluation plus rapprochée. Il peut être plus près d’un retour au travail que d’une prolongation d’un mois supplémentaire.Que dire de ceux qui sont jugés aptes à revenir au travail le mardi, mercredi ou jeudi et chez qui on prolonge l’arrêt de travail jusqu’au lundi suivant… Il y a plusieurs années, l’infirmière-chef du service de santé où je travaillais avait montré, chiffres à l’appui, qu’en évitant certains automatismes, on pouvait épargner plusieurs dizaines de milliers de dollars en absence maladie…Je ne voudrais pas passer sous silence les certificats d’arrêt ou de prolongation d’arrêt de travail où la date prévisible de retour au travail est toujours indéterminée. Il est important de fixer une date approximative de retour au travail, d’autant plus que l’effet bénéfique des médicaments jumelé à une psychothérapie brève nous permet davantage de faire une approximation de la date de retour au travail.On voit de plus en plus apparaître des troubles d’adaptation au registre des raisons invalidantes. S’agit-il d’une réaction normale à une situation particulière ou s’agit-il d’une contrainte ou d’une contrariété ?Attention aux automatismes liés aux symptômes : « Vous pleurez encore, vous avez des troubles de concentration… Vous êtes incapable de travailler. » Il existe des tests pour évaluer certaines fonctions cognitives ou pour objectiver le plus possible des troubles anxieux ou de l’humeur.L’arrêt de travail efficaceDès que l’arrêt de travail est décidé, il est important de le structurer de façon efficace. Beaucoup de patients sont laissés à eux-mêmes durant cette période d’invalidité temporaire, prisonniers de leurs préoccupations à gérer 168 (7 x 24 = 168) heures par semaine. Quand l’esprit n’est pas occupé, les préoccupations apparaissent.La veille, l’employé était fonctionnel, peut-être pas à 100 %, mais suffisamment pour faire son travail. Et cela sans soutien ni aide de la pharmacothérapie et de la psychothérapie. Du jour au lendemain, il est déclaré inapte.Il faut préserver les capacités fonctionnelles résiduelles de l’employé Il est primordial d’évaluer et de préserver chez l’employé ses capacités physiques, intellectuelles et sociales restantes afin de lui éviter un déconditionnement global. La pente est moins difficile à remonter.Structure efficace de l’arrêt de travailD’une vie orchestrée par des obligations de toutes sortes, voilà le travailleur responsable de ses activités de la vie quotidienne. Pas facile, d’autant plus qu’il n’est souvent pas d’humeur à se prendre en charge et à gérer son temps de façon adéquate et efficace. C’est là en général le point faible du traitement. Les médecins administrent bien les médicaments et la psychothérapie est bien adaptée. Voici quelques pistes de réflexion.Prescrire des activités adaptéesMême si la motivation n’y est pas et que l’énergie est souvent déficiente, il est important pour le médecin d’expliquer à son patient la nécessité de préserver son niveau fonctionnel par des activités constructives et adaptées à son état. Le thérapeute doit insister dans l’intérêt de son patient, en lui donnant des devoirs et non seulement des recommandations pieuses…L’occuper lui donne la chance de refaire ses énergies, de reprendre confiance en lui et de prendre du recul par rapport à son état de santé. Privilégiez de préférence les activités qui stimulent la sécrétion d’endorphines, de dopamine, etc. (voir les exemples ci-contre).Beaucoup de patients tirent leur motivation d’efforts qu’ils ont eu à fournir dans des circonstances difficiles. Les gens qui ont fait de la physiothérapie savent que c’est souvent la douleur thérapeutique qui fait foi de l’évolution favorable de leur état. Prenons pour exemple ces opérés qu’on invite fortement à se lever peu de temps après une intervention chirurgicale.Nouvelles approches de mieux-être Se faire un petit plaisir tous les jours en prenant bien soin de documenter les émotions et de disséquer tous les moments plaisants. Il ne faut pas écarter les obligations quotidiennes. S’en réserver une chaque jour.Pourquoi pas une nouveauté tous les jours. Et une petite phrase pleine de bon sens : qu’est-ce que je vais faire aujourd’hui pour passer une belle journée qui donne un sens à ma vie ?Je vous laisse le soin de compléter votre tableau. Exemples d’activités adaptéesAu plan intellectuel Incitez fortement votre patient à lire des revues, des romans ou à faire des mots croisés, des sudoku, etc. Dosez progressivement l’indice de difficulté. Non seulement on protège ses capacités résiduelles, mais on oriente également son attention ailleurs que sur ses problèmes.Au plan social et des loisirs Il faut éviter l’isolement. Il n’y a rien de mieux que de se faire plaisir quand ça va mal. Faites des suggestions qui tiennent compte de la réalité de votre patient. Soyez créatif dans vos interventions pour le convaincre des bienfaits d’une telle démarche. Pensez à la dopamine, ce neurotransmetteur lié au plaisir et à la satisfaction.L’activité physique Insistez sur des activités faciles, agréables et de détente. Attention de ne pas prescrire de la marche pour marcher, mais une activité progressive qui donne des résultats. Marcher comme un moine tibétain risque de favoriser la réflexion. Or, l’esprit est déjà préoccupé… Alors, il faut travailler un peu plus fort. En marchant d’un bon pas, les sens s’éveillent. La respiration et le pouls s’accélèrent. Le corps et l’esprit sont tenus en haleine.Rapport qualité-prix sur la santé physique et mentale, il n’y a pas de meilleur traitement. Votre patient se change les idées; il se discipline, fait un effort, augmente l’estime et sa confiance en lui. La plupart des personnes stressées vous diront qu’elles se sentent détendues après avoir fait de l’exercice.ConclusionIl n’est pas simple de prescrire un arrêt de travail pour un problème de santé mentale. Il s’agit d’une prescription lourde de conséquences tant pour l’employé, sa famille, le médecin que pour son milieu de travail. Il faut aussi penser au coût qu’il entraîne en assurance salaire. Comme tout traitement, les indications et les effets négatifs doivent être expliqués au patient afin qu’il puisse participer adéquatement au processus décisionnel. Pour être efficace, l’arrêt de travail doit être structuré sur le plan du conditionnement physique, intellectuel et social afin d’éviter un déconditionnement global de la personne.* CHUM, Hôpital du Sacré-Cœur, Hôpital Rivière-des-Prairies

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