MedActuel DPC - La maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC) surinfectée

* Urgence de l’Hôpital Brome-Missisquoi-Perkins, professeur d’enseignement clinique de l’Université de Sherbrooke Objectifs pédagogiques Connaître la liste des étiologies conduisant à une exacerbation chez des patients souffrant de MPOC. Choisir judicieusement les examens indiqués en fonction du tableau clinique. Maîtriser les indications d’une antibiothérapie et de la corticothérapie. Choisir l’antibiotique le plus approprié. Connaître les différents traitements à la salle d’urgence. Mots-clés : MPOC, bronchite chronique, emphysème, exacerbation. CAS CLINIQUE Vous voyez M. Aboutsouf à la clinique sans rendez-vous de votre CLSC. Ce patient de 58 ans a un diagnostic de MPOC modérée(VEMS 50 % en 2006, avec amélioration de 6 % post-bronchodilatateur), par ailleurs sans autre comorbidité. Il vous explique que depuis environ une semaine il observe une augmentation de sa dyspnée et de la toux. Ses expectorations sont claires et il présente une rhinorrhée non purulente depuis quatre jours accompagnée initialement d’un peu de fièvre. À l’examen physique, les résultats sont les suivants : Eupnéique SaO2 93 % TA 120/68, pouls 90/min Température buccale 37,3 ºC Pas de veine jugulaire distendue Bruits cardiaques normaux Murmure vésiculaire modérément diminué, sibilances diffuses Pas de douleur aux mollets, pas d’œdème aux membres inférieurs Sa médication de base comprend du tiotropium(Spiriva)1 inh die ainsi que du salbutamol(Ventolin)2 inh q 4 hre prn. DIAGNOSTIC DIFFÉRENCIEL Devrait-on faire une culture des expectorations ? Quel traitement lui offrirez-vous ? Les patients souffrant de MPOC en exacerbation représentent une partie considérable de la clientèle rencontrée dans les cliniques sans rendez-vous ainsi qu’à l’urgence. En tout premier lieu, il est très important de se rappeler que la MPOC, la bronchite chronique et l’emphysème sont des entités distinctes et qu’un patient peut être atteint de bronchite chronique ou d’emphysème sans être atteint de MPOC(tableau I et figure 1). Il est très important de tenter de déterminer l’étiologie de l’exacerbation de chaque patient MPOC rencontré et il est souvent trop facile d’escamoter cette étape. L’embolie pulmonaire est une cause à ne pas négliger, car elle est responsable d’environ 3,3 % des exacerbations(220)(tableau II). INVESTIGATION L’évaluation paraclinique Quels tests devraient être faits ? L’investigation de la MPOC en exacerbation devrait être faite sur une base individuelle. Certains patients n’ont besoin d’aucune investigation paraclinique. La culture d’expectorations – doit-on la faire et chez qui ? Rappelez-vous qu’environ 25-50 % des patients MPOC ont une colonisation bactérienne(45,137,221,239,249). Une culture d’expectorations positive ne signifie donc pas que l’étiologie de l’exacerbation est bactérienne(261). Il n’y a pas de moyen suffisamment sensible et spécifique pour déterminer si la présence de bactéries à la culture représente une colonisation ou une infection(p. ex., le nombre de bactéries à la coloration Gram et à la culture(132,170,183,212,236). Chez beaucoup de patients, la culture d’expectorations n’est pas utile puisqu’elle montrera un germe couvert par les antibiotiques généralement prescrits(13,67,117). Il peut cependant être utile de la demander en présence de facteurs de risque pour un germe résistant aux antibiotiques généralement prescrits ou nécessitant une antibiothérapie particulière, entre autres le Pseudomonas aeruginosa ou les entérobactéries. Voici les principaux critères justifiant la culture d’expectorations selon les consensus canadiens : Des exacerbations fréquentes(> 3/an)(3,255) En présence d’expectorations purulentes chroniques(3) Un patient avec une fonction pulmonaire pauvre(83,255)(pour la SPLF = si VEMS plus petit ou égal à 30 %)(62) Une prise d’antibiotiques dans les trois derniers mois(83,255) On devrait faire une culture d’expectorations également en présence de bronchiectasie(45). D’autres recommandent de la faire d’emblée si l’état du patient nécessite une hospitalisation(NICE2 et ATS/ERS(113)). La spirométrie – doit-on la faire au bureau ou à l’urgence lors d’une exacerbation ? Des études montrent que la valeur du VEMS corrèle en partie avec les résultats cliniques(10). Par contre, le degré d’obstruction à la spirométrie ne quantifie pas la gravité de l’exacerbation (3,8,66,139,179), la diminution du VEMS est fréquemment de faible amplitude(161)et il n’y a pas de preuve que celle-ci offre une plus-value aux prises de décisions cliniques(1,57,82,141). C’est pourquoi les consensus canadiens et GOLD n’en conseillent pas l’utilisation lors d’une décompensation(1,3,83,255). Par contre, le VEMS de base du patient(alors que son état était stable)est une information très utile lors d’une exacerbation. La radiographie pulmonaire – doit-on la faire chez tous les patients ? La radiographie pulmonaire permet de diagnostiquer certaines étiologies de la MPOC exacerbée(surcharge pulmonaire, pneumonie, pneumothorax, etc.). Des études effectuées chez des patients évalués à la salle d’urgence ont permis de montrer que la radiographie pulmonaire change la prise en charge du patient dans 16 % à 21 % des cas(3,11,206). Ainsi, pour les patients évalués à l’urgence, la radiographie pulmonaire est indiquée (3,61,83,255). Pour les patients évalués au sans rendez-vous ou au bureau, la radiographie de routine n’est pas de mise. On doit la demander en fonction du soupçon clinique(249). L’investigation à l’urgence Le gaz sanguin – quand devrait-on en faire un ? Des données scientifiques indirectes justifient l’utilisation du gaz sanguin 66. Celui-ci permet de compléter l’évaluation de la gravité, du pronostic et peut quelquefois être une aide pour évaluer le besoin de support ventilatoire(66,143). Certains consensus suggèrent de faire un gaz sanguin chez tous les patients qui doivent être hospitalisés(GOLD 1, ATS/ERS(113))et un autre recommande même de le faire chez tous les patients évalués à l’hôpital(NICE(2)). Par contre, chez beaucoup de patients stables évalués à l’hôpital, le gaz sanguin ne modifie pas la thérapeutique. Il est donc plus efficient d’effectuer un gaz sanguin chez les patients avec un soupçon d’insuffisance respiratoire; c’est d’ailleurs ce que l’ICSI(37,82)recommande en vérifiant les critères suivants : un antécédent d’hypercapnie, de la somnolence, un signe d’insuffisance respiratoire(p. ex. : RR > 40/min), une saturation abaissée(SaO2 < 80 %). On devrait également faire un gaz sanguin en présence d’une oxymétrie de fiabilité douteuse. Le gaz veineux – peut-on le substituer au gaz artériel(39,47,88,251) ? D’après les résultats d’une étude canadienne(39), les différences moyennes(et IC à 95 %)entre les échantillons artériels et veineux étaient les suivantes : pH 0,036(0,030-0,042); pCO2 6,0(5,0-7,0)mm Hg; HCO3 1,5(1,3-1,7)mEq/L. Soixante-six pour cent des valeurs de pH et 51 % des valeurs de pCO2 étaient jugées dans un intervalle inacceptable en fonction de la différence cliniquement acceptable déterminée d’après un sondage mené auprès de 45 urgentologues-enseignants. Deux autres études(étude de dérivation, puis de validation)ont évalué l’utilité du gaz veineux comme test de dépistage pour l’hypercapnie artérielle. Aucun des patients à l’urgence ayant un pCO2 veineux de moins de 45 mm Hg ne présentait une hypercapnie artérielle(pCO2 artérielle > 50 mm Hg)(valeur prédictive négative = 100 %, IC 95 % 89-100 %)(47,88). Cependant, l’utilisation du gaz veineux à cette fin permettait de diminuer celle du gaz artériel de seulement 29 %. Et le gaz capillaire ? Les études montrent que le pH du gaz capillaire est très près du gaz artériel; même constat pour la pCO2 avec une variabilité de deux déviations standards d’environ +/- 5 mm Hg(40-44,129,148,197,198). Le gaz capillaire constitue donc une solution alternative intéressante(44). La différence de pO2 des gaz capillaire et artériel montre une grande variabilité. Par contre, dans la grande majorité des situations à l’urgence, la pO2 n’est pas nécessairement une donnée à connaître, puisque le saturomètre estime bien la saturométrie sanguine(48). LE TRAITEMENT Le traitement à l’urgence L’oxygène Quel niveau de saturation devrions-nous viser ? Un excès d’oxygène peut occasionner une augmentation de la rétention de CO2. Cela se produit en raison de trois effets physiologiques(139) : 1) L’augmentation de la disparité ventilation perfusion 2) L’effet Haldane(l’érythrocyte oxygéné a une plus faible affinité pour le CO2 que l’érythrocyte désoxygéné) 3) La dépression de la « drive » respiratoire. Plus la FiO2 est élevée, plus le risque est grand, mais la rétention peut survenir même avec de faibles concentrations de FiO2(35). Deux études ont montré qu’une forte concentration d’O2 sur une courte période peut augmenter considérablement la pCO2(1re étude(149) : O2 100 % X 15 min = CO2 23 mm Hg; et 2e étude(178) : O2 100 % X 20 min = CO2 8,3 mm Hg). À la suite de ces études, certains experts ont d’ailleurs recommandé de donner les traitements de nébulisation par de l’air comprimé au lieu de l’oxygène chez les patients à haut risque de rétention de pCO2, et de donner l’O2(si besoin)par la lunette nasale pendant ce traitement(2,15,135). Il faudrait considérer une administration semblable chez les patients à risque de développer une acidose respiratoire et qui recevront de fréquents traitements par nébulisation. D’un autre côté, très peu d’études se sont attardées sur les conséquences cliniques de ces augmentations de la pCO2(240). Dans l’autre sens, l’hypoxémie grave peut résulter en hypoxie cérébrale ou en ischémie myocardique. Il n’existe pas de seuil sécuritaire universel pour tous les patients. Une récente revue de la documentation médicale a déterminé qu’une PaO2 ³³ 50 mm Hg est suffisante pour oxygéner adéquatement la plupart des patients(35). Les recommandations des experts sont à l’effet de viser une saturation entre 90 % et 92 % chez la plupart des patients(1,2,15,37,48,51,57,67,82,95,113,135)ou une PaO2 autour de 60 mm Hg(1,3,13,48,57,95,113). L’utilisation d’un masque Venturi permet l’administration d’une FiO2 plus précise et plus constante qu’une lunette nasale(13,67). Une étude109 montre des périodes de désaturation moins fréquentes avec le masque qu’avec la lunette nasale; certains encouragent donc son utilisation(15,37,67,115,141). Nous devrions ainsi considérer un masque Venturi chez certains patients : exacerbation grave, variabilité importante de la SaO2… Le bronchodilatateur Les bronchodilatateurs en aérosol-doseur ou par nébulisation Deux méta-analyses(17,118)ont montré que l’efficacité des bronchodilatateurs administrés par aérosol-doseur est équivalente à celle de l’administration par nébulisation(13,18,208,209). Les études ont inclus des patients relativement tachypnéiques(RR ³ 30/min)209 et gravement obstructifs(VEMS < 40 %)(208,209). La dose de salbutamol administrée par nébulisation doit être environ six fois plus importante pour être équivalente à celle administrée en aérosol-doseur afin d’obtenir un résultat clinique comparable(tableau IV; tableau V pour les équivalences des doses d’ipratropium). Ainsi, le salbutamol administré par nébulisation entraîne plus de tachycardie qu’en aérosol-doseur(118). Certains cliniciens croient que la nébulisation favorise davantage l’expectoration, mais cela n’a jamais été prouvé(2). Enfin, les consensus canadiens recommandent que le choix du système d’administration du bronchodilatateur soit basé sur le coût ainsi que sur l’habileté du patient à utiliser un aérosol-doseur avec une aérochambre(3,83). Dans la plupart des situations, on devrait préférer l’aérosol-doseur avec une aérochambre appropriée au traitement par nébulisation(3,83). À noter que les traitements par nébulisation sont normalement beaucoup plus dispendieux que par aérosol-doseur. Une minorité de patients devra recevoir les bron-cho-dilatateurs en nébulisation, par manque de collaboration en raison d’une détresse respiratoire sévère(8,37,82). L’association des bronchodilatateurs ß2-agonistes et anticholinergiques en soins aigus La plupart des études n’ont pas montré de bénéfices à associer les bronchodilatateurs anticholinergiques et les ß2-agonistes en soins aigus. Certains recommandent de débuter avec une classe et d’ajouter la deuxième en l’absence de réponse(1,9,82,112), tandis que d’autres recommandent l’association d’emblée, car certains patients en bénéficient(13,67,83,84,151,152,255)et il ne semble pas y avoir d’augmentation significative des effets indésirables. Les consensus canadiens privilégient cette dernière option(3,83,255). La fréquence et la dose des bronchodilatateurs utilisés La fréquence et la posologie optimale des bronchodilatateurs ne sont pas établies(51,226). Les études à ce sujet sont relativement peu nombreuses. Une étude a comparé l’administration de salbutamol 2,5 mg en nébulisation q 1 hre vs q 20 min(182) : il n’y avait pas de différence au niveau du VEMS ou du taux d’hospitalisation entre les groupes à la fin de l’étude. Cependant, le groupe de patients plus graves(VEMS < 20 %)obtenait un meilleur VEMS avec le salbutamol q 20 min. Une récente étude(85)a comparé l’utilisation de salbutamol 2,5 mg en nébulisation q 4 hres vs 5 mg q 4 hres. Les résultats ne différaient pas dans les deux groupes. Cependant, cette étude incluait des patients avec une exacerbation légère à modérée, les exacerbations graves ayant été exclues. Voici les posologies suggérées normalement en intra-hospitalier par les manuels et les auteurs d’articles(6,7,11,48,56,67,68,73,82,228). Salbutamol(Ventolin) : 4-8 inh q 20 min - 4 hres Ipratropium(Atrovent) : 2-6 inh q 4 hres - 6 hres Lors du congé, les bronchodilatateurs suivants peuvent être utilisés aux doses indiquées ci-après(82), en ajout aux bronchodilatateurs normalement utilisés par le patient(salmétérol [Serevent], tiotropium [Spiriva]…). À noter : ne pas associer l’ipratropium et le tiotropium, car il n’y a pas de bénéfice supplémentaire à associer ces bronchodilatateurs. Salbutamol(Ventolin) : 2-4 inh qid prn et/ou Ipratropium(Atrovent) : 2-4 inh qid prn En exacerbation sévère, peut-on administrer le salbutamol en continu ? Aucune étude n’a comparé l’administration intermittente et celle en continu du salbutamol en nébulisation chez les patients MPOC. À l’heure actuelle, il n’y a pas de preuve que l’administration de ß2-agonistes en continu confère un avantage thérapeutique et elle n’est généralement pas recommandée(13,208). Avec une bronchoconstriction réfractaire, devrait-on utiliser un ß2-agoniste à longue action ? Actuellement, il n’y a pas de place pour l’ajout de ß2-agonistes à longue action en soins aigus à l’urgence et il n’y a pas de preuves qu’ils confèrent des bénéfices cliniques en association ou en remplacement aux ß2-agonistes à courte action(3,45,154-156,171-173). Que faire avec le tiotropium(Spiriva)lors d’une exacerbation ? Le tiotropium peut normalement être continué lors d’une exacerbation puisque le débit inspiratoire nécessaire à l’inhalation de la médication est très faible(20 L/min). Les patients ne devront pas recevoir d’ipratropium en plus du tiotropium. Suite du dossier clinique dans l’édition du 28 novembre. Pour obtenir la liste des références bibliographiques, pour des questions ou pour inviter l’auteur à une présentation, veuillez le contacter à l’adresse courriel : matthieu_vincent@hotmail.com

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