MedActuel DPC - Gestion du suivi des patients atteints de maladies chroniques en soins de première ligne

* Ph. D., membre associé de l’Équipe de recherche en soins de première ligne de la Cité de la santé de Laval. ** MD, M.Sc., FCMFC, professeur agrégé, département de médecine familiale de l’Université de Montréal; membre de l’Équipe de recherche en soins de première ligne de la Cité de la santé de Laval. *** MD, chargé de formation clinique, département de médecine familiale de l’Université de Montréal. Objectifs pédagogiques Présenter le CIM(E) et sa pertinence clinique. Montrer comment il s’apparente au modèle transthéorique de Prochaska et DiClemente. Faire ressortir comment, dans le cadre du suivi des maladies chroniques, son usage permet d’ajuster les interventions cliniques à l’état de préparation psychologique du patient et de prioriser les actions des intervenants au moment de la visite. Mots-clés Maladies chroniques, suivi, observance. Seize millions de Canadiens sont aux prises avec au moins une maladie chronique1. Les maladies chroniques, comme les maladies cardiovasculaires, le diabète, la maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC), l’asthme et l’arthrite, sont très prévalentes en soins de première ligne (2). Le Québec ne fait pas exception, car on estime que 30 % des habitants présentent plus d’une maladie chronique (multimorbidité) (3). Selon la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé, 67 % du budget national en santé est consacré aux patients et aux familles touchés par la maladie chronique1. On estime aussi que le coût de la gestion des patients atteints de plusieurs maladies chroniques représente de 15 % à 33 % des dépenses de santé (4). Les maladies chroniques posent un défi énorme aux équipes de soins de par leur caractère évolutif et du fait que l’atteinte des cibles de soins exige que les patients et leurs proches participent activement à leurs traitements. Or, l’observance régulière aux traitements, que ces derniers soient de nature pharmacologique ou non, constitue un problème clinique significatif puisqu’il est estimé qu’entre 50 % et 75 % seulement des patients atteints de maladies chroniques adhèrent aux recommandations (5). Le Dr Alain Turcotte, avec qui nous collaborons et qui participe à cette chronique à titre d’auteur invité, travaille depuis quelques années avec l’équipe traitante (médecins, infirmières et pharmaciennes) de l’UMF-GMF de la Cité de la santé de Laval (CSL) à la mise au point d’une approche clinique nommée Projet DaVinci. Cette approche novatrice s’inscrit dans la mouvance du modèle de soins des maladies chroniques proposé par Wagner et son équipe6. Plus spécifiquement, elle vise à faciliter une intervention coordonnée des différents professionnels de la santé qui prodiguent des soins aux patients aux prises avec une ou plusieurs maladies chroniques. Au cœur de ce projet clinique se trouve le système CIM(E), utilisé par les membres de l’équipe traitante pour caractériser chacun des problèmes de santé chroniques du patient. Ces catégories permettent de décrire à la fois la position qu’un patient adopte par rapport à son problème de santé chronique ET le niveau d’intervention clinique que l’ensemble de l’équipe adoptera dans ses interactions avec le patient. La pertinence clinique du système CIM(E) Nous retenons deux difficultés majeures dans la gestion des patients atteints de maladies chroniques : 1) l’équipe traitante doit s’assurer de coordonner et de synchroniser l’action clinique de ses membres; 2) en présence de plusieurs maladies chroniques coexistantes chez un même patient, l’équipe doit adapter son approche clinique à chacun des problèmes en tenant compte de l’état de préparation à l’action du patient. L’équipe de l’UMF-GMF de la CSL cherchait des outils pour l’aider à résoudre ces deux types de difficultés et optimiser ainsi la qualité des soins offerts aux patients atteints de maladies chroniques dont elle assure le suivi. Pendant un certain temps, les membres de l’équipe ont tenté d’utiliser le modèle transthéorique de Prochaska et DiClemente (7,8) pour adapter leurs interventions, mais ils ont constaté que la transposition directe de ce modèle aux patients atteints de maladies chroniques ne répondait pas de façon optimale à leurs besoins. L’équipe, au fil d’un travail interdisciplinaire rigoureux qui s’est organisé selon le mode réflexion/action/évaluation/ajustement/nouvelle action, a ainsi mis au point le système CIM(E), un acronyme pour Convaincre, Intensifier, Maintenir et Expert-conseil, une classification cliniquement pertinente de trois stades principaux qui appellent des actions distinctes de la part des intervenants. En quoi CIM(E) se distingue-t-il du modèle transthéorique du changement de comportement ? Suggérer un traitement à un patient atteint d’une maladie chronique est rarement perçu par le professionnel de la santé comme la proposition d’un changement de comportement. Or, lorsque nous y réfléchissons un instant, un traitement qui doit être administré de façon autonome par le patient ou par un de ses proches représente bel et bien un nouveau comportement. C’est dans cet esprit que l’équipe de l’UMF-GMF de la CSL a décidé d’aborder le traitement des maladies chroniques. En effet, les études des dernières décennies révèlent des taux d’observance au traitement sous-optimaux qui illustrent bien la difficulté d’introduire et surtout de maintenir un traitement, qu’il soit de nature pharmacologique ou non, dans la vie d’un patient. Ces données indiquent qu’il serait utile aux professionnels de clarifier le réel désir du patient de passer à l’action de façon à pouvoir planifier des interventions mieux arrimées à son état d’esprit. Grâce à une intervention mieux ciblée, il est souhaitable d’arriver à : 1) amener le patient à passer à l’action (commencer le traitement); 2) le soutenir dans l’action (poursuivre le traitement selon ce qui a été convenu). Rappelons d’abord quelques principes de l’approche transthéorique. Dans leur modèle, Prochaska et DiClemente (7,8) ont suggéré que le changement de comportement (ou l’introduction d’un nouveau comportement) s’effectue au cours d’une démarche constituée de différents stades, soit : la préréflexion, la réflexion, la préparation, l’action, le maintien et la terminaison. Ils ont également identifié, à l’intérieur de ces stades, neuf stratégies de changement qui réfèrent aux différents mécanismes que les intervenants utilisent pour amener une modification de comportement : l’augmentation du niveau de conscience, l’éveil émotionnel, la libération sociale, la réévaluation personnelle, l’engagement, la gestion des renforçateurs, les relations aidantes, le contre-conditionnement et le contrôle environnemental (contrôle des stimuli). Le tableau I présente et définit les principaux stades. La contribution de Prochaska et DiClemente est d’avoir identifié des stades de changements et différents mécanismes qui sont à l’œuvre pour favoriser la réalisation d’un projet de changement de comportement tel que perdre du poids, cesser de fumer ou commencer un traitement. En tentant d’intégrer la classification proposée par Prochaska et DiClemente à l’évaluation de leurs patients atteints de maladies chroniques, l’équipe de l’UMF-GMF de la CSL a été confrontée à sa lourdeur. La présence de nombreux stades complexifiait la tâche des intervenants qui n’arrivaient pas à s’entendre avec précision sur celui à attribuer au patient. De plus, une différence majeure est apparue assez rapidement à l’équipe traitante entre la situation d’un patient qui consulte volontairement un médecin pour un problème de santé et les personnes qui envisagent un changement de comportement en vue d’éviter un problème de santé hypothétique, le modèle de Prochaska ayant été conçu dans ce dernier contexte. Au moment d’une consultation en soins de première ligne, il n’est pas rare que la révélation au patient de la maladie dont il souffre et de son traitement soit pratiquement simultanée. De plus, le patient consulte précisément le médecin parce qu’il a l’intuition que quelque chose ne va pas et il désire s’en occuper. Ainsi, la préréflexion s’applique peu ou pas dans le cadre des consultations en soins de première ligne. Une certaine réflexion doit nécessairement précéder la consultation puisque celle-ci est initiée par le patient ou un de ses proches. De ce fait, l’identification de ces deux stades est moins pertinente pour l’équipe traitante. Bien sûr, le patient n’a pas pu réfléchir spécifiquement à son problème de santé chronique tant que celui-ci n’a pas été identifié. Le scénario habituel reste celui dans lequel une action pour maîtriser un problème récemment diagnostiqué est proposée d’emblée au patient lors de sa consultation. Pour les patients qui ne passeraient pas immédiatement à l’action, l’équipe a identifié un stade unique de Convaincre où les intervenants donnent de l’information sur la maladie et son traitement, et invitent le patient à réfléchir au traitement. L’équipe demeure sur ce mode tant que le patient n’indique pas clairement sa volonté de passer à l’action proposée. Lorsque le patient dit être prêt à entreprendre le traitement, l’équipe passe en mode Intensifier qui regroupe les stades de la préparation et de l’action du modèle transthéorique. Lors de ce stade, l’équipe met en place le traitement et s’assure que le patient arrive à l’appliquer correctement. Les cibles de traitement ont été définies et discutées, et l’équipe travaille avec le patient à les atteindre. Une fois les cibles atteintes, l’équipe passe en mode Maintenir où elle s’assure que le patient reste fidèle à son traitement. Certains patients développeront une expertise vis-à-vis de leur maladie chronique et deviendront très autonomes dans la gestion de leur traitement. L’équipe a cru utile d’identifier parmi ces patients en maintien des patients Experts qui pourraient éventuellement autogérer leur maladie. Avec ces experts qui, selon nos données préliminaires, représenteraient environ 2 % des patients atteints de maladies chroniques, il est possible pour l’équipe de mettre en place un véritable partenariat en vue de la gestion de leurs soins. Le tableau II présente les stades du CIM(E) et leur définition. Dans le cadre du projet DaVinci à l’UMF-GMF de la CSL, cette classification s’est avérée plus facile à mettre en application que le système de Prochaska et DiClemente. Les infirmières, les pharmaciennes et les médecins s’entendent plus facilement sur la catégorie à attribuer à chacun des problèmes chroniques du patient. En effet, CIM(E) est appliqué à chaque problème, car la disposition du patient face à l’action à prendre pour maîtriser ses problèmes n’est pas nécessairement identique d’un problème à l’autre. CIM(E) permet d’orienter et surtout de faire converger les actions de l’ensemble des intervenants dans le but d’optimiser la gestion des soins. Ainsi, lorsque le médecin voit un patient pour le suivi de son diabète, par exemple, et qu’il inscrit dans le dossier un « C » à côté de ce problème, il indique aux autres membres de l’équipe, ou à lui-même pour un prochain rendez-vous, que le patient n’est pas encore convaincu de suivre le traitement. Les intervenants passeront ainsi plus de temps à lui transmettre de l’information et à le motiver qu’ils ne le feraient avec un patient diabétique classé « M » qui a atteint les cibles de son traitement. Cette classification permet également une meilleure gestion du temps limité de la visite, en particulier lorsque plusieurs problèmes chroniques coexistent chez un même patient. Par exemple, le médecin pourra plus facilement concentrer son intervention sur les problèmes classés « I » avec « cibles de soins non atteintes » en titrant la médication, alors que l’infirmière, par sa formation en promotion/prévention, pourra travailler à faire évoluer le patient vers le mode Intensifier pour les problèmes classés « C ». Conclusion Les maladies chroniques nécessitent un suivi au long cours qui parfois s’étend sur des dizaines d’années. Sur une aussi longue durée, il serait surprenant que le patient conserve toujours la même position par rapport à son problème de santé. En effet, le temps passe, la maladie évolue, la connaissance de la maladie s’accroît et se précise, et l’expérience d’une vie avec une maladie chronique (une hypertension ou un diabète par exemple) se définit. De plus, des événements se produisent (p. ex., des exacerbations aiguës de la maladie elle-même; des événements de la vie tels que la perte d’un être cher, la perte d’un emploi, un divorce, la naissance d’un enfant, etc.). L’utilisation d’une classification comme le CIM(E) revêt un intérêt certain dans un tel contexte où il devient particulièrement important d’être attentif au processus de la maladie et de s’assurer que les actions cliniques s’harmonisent avec les désirs et les aspirations du patient et ses capacités de changement tout en visant l’atteinte éventuelle des objectifs cliniques souhaités, laquelle repose sur une bonne observance des recommandations. Notre équipe croit que le système CIM(E) permet à la fois de prioriser les actions de l’équipe et d’en assurer la convergence. CIM(E) devient l’expression concrète d’une vision commune entre les partenaires impliqués dans les soins, contribue à une communication efficace entre eux et permet donc à chacun d’optimiser le temps dont il dispose avec le patient en évitant le piège des actions non convergentes et d’interventions inefficaces parce qu’inadaptées. Références

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