Ma vie de médecin de famille à Sault-Sainte-Marie

Note de la rédaction: Le 31 mai, un peu plus de 10 000 patients ont été désinscrits du Group Health Centre de Sault-Sainte-Marie, en Ontario, en raison d'une pénurie de médecins de famille. La province a annoncé un financement de 2,8 millions de dollars pour l'ouverture d'une nouvelle clinique d'infirmières praticiennes dans ce centre. La Dre Adrianna Schamp a récemment écrit une lettre à son journal local sur le métier de médecin de famille. Selon elle, les réactions ont été très positives, de nombreuses personnes ayant déclaré qu'elles n'avaient aucune idée de ce qu'impliquait ce travail.Je suis médecin de famille et j'aime beaucoup mon travail – la plupart du temps. Les médias sont inondés de nouvelles sur la médecine familiale et, pourtant, on pourrait faire davantage pour informer le public sur les expériences quotidiennes des médecins de famille. Ma journée type au Group Health Centre de Sault-Sainte-Marie est effrénée, exigeante, frustrante, mais aussi très gratifiante. J'espère que mon récit permettra de mieux comprendre la crise de la médecine familiale à Sault-Sainte-Marie.Une journée typique commence avec une clinique qui affiche complet, avec un patient toutes les 15 minutes. Cela signifie que pour chaque visite, je dispose de 10 minutes pour écouter le patient, poser un diagnostic et élaborer un plan de traitement. Je dispose ensuite de cinq minutes pour demander tous les examens nécessaires et documenter chaque visite dans un système médical électronique. Trois personnes appellent à 8 heures du matin, toutes désespérées de me voir ce jour-là. Soudainement, le créneau de rendez-vous de 15 minutes à 10 heures est occupé par deux patients. Le premier patient de la journée arrive avec cinq minutes de retard, ce qui me met en retard dès le départ. Heureusement, les quatre premiers rendez-vous se déroulent sans problème. Un patient souffre d'hypertension artérielle et doit adapter son traitement. Un autre a des genoux arthritiques et veut parler d'une intervention chirurgicale. Un autre souffre de douleurs à l'épaule à la suite d'une blessure au base-ball et nous discutons des options de traitement. Le quatrième patient a une toux, qui s'avère être une pneumonie nécessitant d'urgence des antibiotiques.Le patient suivant, à 9 heures, va très mal. Il souffre de dépression et c'est vraiment grave. Tellement grave qu'il ne peut pas travailler. Je ne lui dis pas que son rendez-vous est terminé. Je m'assois et je discute avec lui pour déterminer s'il peut quitter le cabinet en toute sécurité. Nous établissons un plan. Il repart avec un peu plus d'espoir. J'ai maintenant une heure de retard. Je ressens la frustration des personnes présentes dans la salle d'attente. Je respire profondément. Je me dis que je vais y arriver. C'est alors que mon téléavertisseur se met à biper – une infirmière doit me parler d'un patient malade qui est à la maison. Mon téléphone sonne – un chirurgien me rappelle au sujet d'un patient que j'ai vu l'autre jour et qui souffre d'un nouveau cancer. Des interruptions importantes, mais autant de raisons pour lesquelles je suis en retard sur mon horaire. À lire aussi: Plaidoyer pour abolir la médecine familialeEn tant que médecin de famille, mes journées sont occupées à essayer d'aider les gens. Je suis une détective de la biologie humaine, mais mon travail ne se limite pas à l'investigation. Chaque heure, je trouve le temps, entre deux patients, d'examiner des quantités ahurissantes d'analyses sanguines, d'imagerie, de notes de spécialistes et de rapports de tous les tests imaginables demandés par d'autres médecins; tous ces documents me sont adressés et je dois les lire pour savoir ce qui se passe avec mes patients. Le télécopieur préhistorique crache continuellement des demandes de renouvellement de médicaments de la part des pharmacies. Chaque interaction avec un patient doit être enregistrée dans un dossier médical électronique, ce qui prend énormément de temps. Il est difficile de naviguer dans le système et je dois cliquer à plusieurs reprises pour accomplir de simples tâches comme la demande d'analyses sanguines. L'orientation des patients vers des spécialistes est une tâche importante mais difficile, car elle implique de rédiger une explication détaillée et de fournir toutes les informations pertinentes du dossier. C'est essentiel pour que les spécialistes puissent déterminer la meilleure façon d'aider mes patients, mais cela prend du temps. Malheureusement, il n'y a pas assez de spécialistes dans le nord de la province, ce qui signifie que je passe plus de temps à les chercher dans tout l'Ontario.Parfois, mon travail peut être effrayant, comme lorsque je dois calmer un patient très en colère. Dans d'autres cas, je risque de m'exposer à des maladies contagieuses. De longs formulaires s'empilent sur mon bureau et je passe de plus en plus de temps à les remplir. Le travail est incessant, commençant souvent à 6 heures du matin et se terminant à 23 heures, voire plus tard lorsque des appels téléphoniques urgents des LifeLabs ou des infirmières me réveillent au milieu de la nuit. Je manque des événements sociaux, les activités sportives de mes enfants, les soirées cinéma en famille et il n'est pas surprenant que je sois sur appel lors d'un dîner spécial de la fête des mères.Mon travail est émotionnellement et physiquement épuisant. Et pourtant, il en vaut vraiment la peine. Les journées peuvent ressembler à des montagnes russes remplies de moments merveilleux et de moments tragiques. Accueillir un nouveau bébé et rassurer les parents sur sa prise de poids. Trouver un moyen de calmer un enfant de quatre ans effrayé afin de déterminer si ses maux d'estomac constituent une urgence chirurgicale. Traiter un trouble de l'attention chez un élève afin qu'il puisse atteindre son plein potentiel. Connecter avec quatre générations d'une même famille lorsqu'une arrière-grand-mère me montre la photo du bébé qui vient de naître et qui fait également partie de mon cabinet. Féliciter un patient qui a arrêté de fumer après avoir subi un infarctus massif qui a changé sa vie. Rassurer un patient atteint de diabète de type 2 en lui disant que ses analyses sanguines montrent une amélioration après le début d'un nouveau traitement. Traiter toutes sortes de douleurs, de l'entorse de la cheville au zona grave. Découvrir un cancer du poumon précoce, traitable, et sauver la vie d'une personne. Tenir la main d'un patient alors que je lui annonce qu'il vient d'être diagnostiqué avec une maladie terminale. Ce sont ces moments en médecine familiale qui sont une source d'inspiration et qui me soutiennent dans mon travail.À lire aussi: Le médecin du futurMon travail me permet d'entrer en contact avec les gens à un niveau humain fondamental. En tant que médecin de famille, j'ai le privilège d'aider les patients dans des moments de vulnérabilité, de douleur et de traumatisme incroyables. Les patients se tournent vers moi pour obtenir des conseils, ce qui est une responsabilité pleine d'humilité, parfois écrasante. Ce travail n'est pas pour les âmes sensibles, car les patients peuvent se présenter au cabinet dans toutes sortes de situations de détresse émotionnelle, physique ou financière.La profession de médecin de famille peut être déchirante; j'ai vu des collègues s’écrouler sous le poids de notre charge de travail et de la charge émotionnelle qui nous est imposée. J'ai vu avec tristesse des patients se retrouver sans médecin de famille. Comme beaucoup de mes collègues, je veux aider, mais je sais que je ne peux pas. Je travaille à la limite de ce que je peux supporter.Je raconte ma journée pour expliquer pourquoi le métier de médecin de famille peut être très difficile. Beaucoup de mes collègues vivent des journées similaires, mais nous continuons à travailler dans des conditions difficiles avec l'espoir qu'un jour la charge de travail s'allège et que de nouveaux médecins de famille viennent s'installer à Sault-Sainte-Marie. C'est l'optimisme et ma détermination à aider mes patients qui me motivent à aller travailler chaque jour.Au cours d'une journée normale, je suis en retard presque dès le début. Je rate le déjeuner. Je suis en retard pour aller chercher ma fille à l'école et je manque le match de football de mon fils. Je retourne au travail à 17h30 pour finir de réviser les laboratoires de la journée. Je dîne tard. Je me connecte au système informatique à partir de chez moi avant d'aller me coucher pour me préparer à ce qui ressemble à un autre marathon le lendemain. Le lendemain matin, j'enfile mes chaussures de course et j'essaie d'aider autant de patients que possible.

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