L’urgence, c’est de donner congé?

Mon premier stage étant en établissement, j’ai été surprise de constater la vitesse à laquelle les médecins attribuent le congé des patients. D’un point de vue extérieur, il m’apparaissait que leur objectif de traitement était motivé par le fait de signer le congé le plus tôt possible. Sur un étage de 24 lits, il pouvait y avoir jusqu’à 9 départs dans une journée. Ces départs sont-ils précipités? Chaque congé est-il réellement justifié?Lorsque j’ai questionné un cardiologue s’il ressentait de la pression à attribuer les congés, il m’a répondu: «OUI! Les statistiques de performance sont reliées à la capacité de faire tourner les lits. La pression vient de partout: des départements internes de l’hôpital, dont l’urgence, mais aussi des gestionnaires et du système en soi qui impose d’évaluer une grande quantité de patients». En revanche, les réadmissions ne sont pas prises en compte dans leurs statistiques, sauf celles à l’intérieur de 7 jours et 30 jours. Ainsi, si un patient est congédié trop rapidement et présente une décompensation 3 mois après sa sortie, son retour à l'hôpital n'est pas considéré comme un échec de prise en charge. Ces congés «précoces» manquent-ils d’éthique médicale? Y a-t-il des bénéfices à garder un patient une ou deux journées additionnelles pour s’assurer de la stabilisation de son état? Éviterons-nous ainsi des réadmissions?L’utilitarisme en santé publiqueCes pratiques quotidiennes me rappellent des concepts qui se rattachent à l’utilitarisme, son principe fondamental étant de promouvoir le plus grand bien au plus grand nombre en maximisant l’utilité nette produite. Une des définitions, selon Honderich, est: «la valeur morale des actions, des politiques, des pratiques ou des règles est déterminée en fonction de leurs effets sur la quantité d’utilité dans le monde»1. En cohérence avec cette philosophie, on peut observer que les médecins tentent d’optimiser leurs ressources pour évaluer le plus grand nombre de patients, ce qui se traduit concrètement par la prise en charge de la condition en aigu, puis de le transférer vers d’autres ressources à l’externe pour traiter les comorbidités chroniques. De ce fait, les lits sont libérés pour accueillir de nouveaux patients provenant notamment de l’urgence (libérant ainsi des lits pour les patients sur civière notamment) ou d’une autre unité. L’accessibilité étant augmentée, les inégalités en santé sont réduites. On peut ainsi mieux comprendre que lesdites statistiques de performance sont cohérentes avec cette approche conséquentialiste, positionnées vers une approche populationnelle et non à l’échelle individuelle.Un autre principe fondamental de l'utilitarisme est de maximiser les bénéfices tout en réduisant les coûts. Pour y parvenir, les actions visant le bien commun doivent être à la fois efficaces et efficientes. Cependant, lors de mon stage, j'ai constaté que deux patients occupaient des lits en attendant leur chirurgie cardiaque, bien que leur état soit stable. Leur pontage était prévu dans 7 à 10 jours (!!). Or, s’ils retournaient chez eux, ils perdraient leur priorité sur la liste d'attente. Sommes-nous réellement en train d'optimiser nos ressources financières et humaines? Les failles dans notre système nuisent à sa propre optimisation. Quant à KantÀ l’opposé de l’utilitarisme se trouve l'éthique déontologique, qui met en avant les devoirs et les principes moraux indépendamment des conséquences populationnelles. Dans cette perspective, le fait de libérer rapidement les patients pourrait être perçu comme contraire au devoir médical de prendre soin de chaque individu de manière approfondie et holistique.Selon l’impératif catégorique de la doctrine de Kant, chaque être humain doit être traité comme une fin en soi, et non comme un moyen d’atteindre un objectif plus large, comme atteindre un taux élevé de rotation des lits. Ainsi, chaque patient mérite une attention individuelle, sans que les statistiques de performance puissent venir nuancer les décisions médicales.Dans une perspective éthique de santé, il est essentiel de trouver un équilibre entre ces deux principes, afin d'assurer à la fois une gestion efficace des ressources tout en respectant le bien-être individuel de chaque patient. Plus facile à dire qu’à faire…Quelques pistes de solutionsC’est en écoutant Radio-Canada que je découvre quelques pistes de solutions. France Massé, directrice des soins infirmiers du CISSS de Laval, a mentionné durant son entrevue au 15-18 que plusieurs solutions innovantes ont été proposées pour répondre à la surcharge de l’urgence, atteignant un taux d’occupation prêt de 200% en date du 26 septembre 20242. Parmi ces mesures, la présence d’un physiothérapeute à l’urgence permet d’évaluer rapidement les patients pour lesquels un retour à domicile est probable, s’assurant d’un congé sécuritaire. De plus, la création d’un salon de départ, endroit où les patients peuvent attendre leurs proches une fois le congé signé, améliore la fluidité et permet d’admettre de nouveaux patients plus rapidement. Faire plus avec moinsEnfin… Il n’est pas évident de trouver des solutions maximisant autant l’utilitarisme et l’éthique déontologique, spécialement dans un contexte de ressources très limitées, tel que celui de notre système de santé. Aucune solution n’est parfaite pour rejoindre ces deux philosophies, mais des idées telles qu’implantées à l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé offrent de nouvelles perspectives. Je crois qu’en favorisant une meilleure transition entre les soins, les ressources pourront être optimisées grâce à une meilleure division des tâches entre professionnels de la santé.Références1- Institut national de santé publique du Québec. [En ligne]. L’utilitarisme en santé publique. Janvier 2016. [cité le date 26 septembre 2024]; [environ 12 écrans]; disponible au : https://www.ccnpps.ca/docs/2016_Ethique_Utilitarisme_Fr.pdf2- France Massé (le 26 septembre 2024). L’urgence de Laval déborde; Radio-Canada. Le 15-18. [Émission de radio]. Disponible sur Ohdio. Durée 7min32.

L’urgence, c’est de donner congé?

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Clara Scattolin

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