Loi 2, Loi 26: quand les gouvernements sapent le moral des médecins

On pouvait s’en douter. La mise en œuvre de la Loi 2 au Québec et l’adoption de la Loi 26 en Alberta jouent sur le moral des médecins d’un océan à l’autre. Un nouveau sondage mené par l’Association médicale canadienne (AMC), en collaboration avec la firme Abacus Data, révèle que 43% des cliniciens à l’échelle du pays estiment que les gouvernements ne leur font pas confiance ou ne les respectent pas. Mais ce sont les médecins du Québec (80%) et de l’Alberta (76%) qui envoient les signaux les plus forts: ils jugent faire partie d’une profession mal appréciée. Selon l’AMC, «cet écart de confiance a des conséquences réelles sur le moral, la rétention et la durabilité à long terme du système».En Alberta, le mécontentement n’a rien d’abstrait. La Loi 26 confère au gouvernement un pouvoir direct sur la planification médicale et sur les modalités de rémunération, en plus de limiter la capacité de négociation des médecins. Abacus Data souligne que plusieurs cliniciens praticiens y voient «une ingérence politique qui compromet leur autonomie professionnelle». L’AMC va plus loin et rappelle que ces mesures «fragilisent la relation entre les décideurs et ceux qui assurent les soins». Pour de nombreux médecins, ce nouveau cadre législatif agit comme un rappel brutal que leur jugement clinique peut être relégué derrière des impératifs administratifs.À lire aussi: La FMOQ dépose ses demandes aux tribunaux pour contester la loi 2Au Québec, la Loi 2 n’a pas seulement redessiné les règles du jeu. Elle a été imposée sous bâillon, sans recours à un arbitrage indépendant et en suspendant l’entente-cadre des médecins jusqu’en 2028. De quoi irriter une profession déjà éprouvée. Dès son adoption, l’AMC avait dénoncé un texte «qui place les médecins sous la menace de sanctions et qui risque de détériorer davantage la confiance». Dans le sondage, ce sentiment ressort nettement. Une large majorité de cliniciens québécois ont l’impression que leur expertise est mise de côté, au profit d’une logique de performance qui ne colle pas toujours à la réalité clinique. Plusieurs y voient le signe qu’on ne leur fait plus confiance pour organiser leur propre pratique.Au-delà des pourcentages, c’est la tonalité des commentaires qui frappe. Les médecins sondés décrivent un climat où les décisions gouvernementales «se prennent sans nous et parfois contre nous», selon les termes relevés par Abacus Data. L’AMC parle d’un «dialogue devenu univoque», où la voix médicale ne pèse plus bien lourd dans l’élaboration des politiques. Plusieurs répondants évoquent un sentiment d’être «instrumentalisés» dans des réformes imposées au pas de course. Ce n’est plus seulement une question de contrats, de rémunération ou de cibles; c’est l’idée même d’être traités comme des partenaires qui semble s’effriter.Le saviez-vous? Les pharmaciens propriétaires vont aussi contester des dispositions de la loi 2Un moral en berne, des effets bien réelsLe malaise n’est pas qu’un problème de climat interne. Il se répercute sur l’accès aux soins, préviennent les auteurs du sondage. Une large majorité des médecins interrogés estiment que les récentes décisions politiques «compliqueront la rétention» et accentueront les difficultés de recrutement. L’AMC ne mâche pas ses mots: ces tensions «risquent de détourner des médecins expérimentés du système public et de décourager la relève». Dans un contexte déjà fragile, où chaque départ se traduit par des listes d’attente qui s’allongent, ce diagnostic sonne comme un avertissement. Quand la confiance s’effrite, c’est toute la mécanique du système qui grince.Le sondage repose sur les réponses de 447 médecins à travers le pays, dont 190 en Alberta et 86 au Québec, qui ont été recueillies en ligne entre le 11 et le 17 novembre. L’AMC rappelle que les données ont été pondérées selon la région de pratique à partir des statistiques de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), qui dresse les portraits organisationnels et démographiques des effectifs médicaux au Canada. Un échantillon modeste donc, mais qui capte clairement les signaux d’alarme envoyés par des cliniciens habituellement peu enclins à verbaliser leur lassitude. Abacus Data souligne que les taux de réponse plus élevés dans les deux provinces en crise confèrent un relief particulier aux résultats. Une photographie imparfaite, certes, mais suffisamment nette pour saisir un malaise qui dépasse les frontières provinciales.

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