L'insécurité en santé

Nous vivons une époque d'insécurité. Nous observons comment le monde s'engage à nouveau dans la guerre (Ukraine-Russie, Israël-Hamas) avec des dictateurs qui ont l'intention d'abuser de leur pouvoir. L'emploi demeure un problème, et le chèque mensuel n'amène pas bien loin (essence, nourriture). Les hommes politiques semblent plus souvent qu'autrement nous décevoir (c'est du moins ce que l'on veut nous faire croire). La COVID-19 a creusé un profond sillon entre les remèdes sociaux, et nous sommes tous devenus plus isolés que jamais. La criminalité est en hausse. La violence armée migre vers le nord. Les bastions de la démocratie sont cloués au pilori par ceux qui placent la récompense personnelle au-dessus de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Tous les soirs, les journaux télévisés nationaux en parlent, et nous nous couchons avec l'impression d'être sous l'emprise de la caféine, mais sans la caféine.Glenda Roberts m'a consulté le mois dernier. Elle a 73 ans, c’est une ancienne cheffe de bureau à la retraite, elle est veuve et a trois enfants adultes. Elle consulte pour des palpitations, des essoufflements et des vertiges. «Ma vie a tellement changé l'année dernière, depuis que Jack....» Sa voix s'éteint et elle cherche des réponses sur le sol.Je note mentalement que cette consultation sera plus longue que la moyenne. Une fois la maladie physique écartée, il faudra faire preuve d'empathie, de compréhension, d'explication, de conseil - et peut-être de traitement médicamenteux. J'ai vu une centaine de Glenda cette année. Vous savez, de multiples entrées de journal pendant l'enregistrement Holter (avec 4 PAC et un couplet ventriculaire en dessous). Vous vous souvenez qu'elle souffre d'une hypertension légère, traitée par ramipril 5 mg par jour. Son électrocardiogramme montre un rythme sinusal, avec des tensions limites pour l'hypertrophie ventriculaire gauche.Je lui souhaite la bienvenue et m'efforce d'établir une relation de confiance et une communication ouverte. «Je suis sûr que ces symptômes sont réels et pénibles pour vous. Mon travail consiste à rechercher une cause, qui n'est pas toujours physique. J'espère que nous pourrons examiner votre cœur et votre circulation, et vous donner de bonnes nouvelles aujourd'hui.»Glenda ne veut pas se laisser faire: elle veut simplement se sentir bien. Elle répond volontiers aux questions concernant la consommation de stimulants (caféine, inhalateurs, amphétamines, etc.), une éventuelle hyperthyroïdie (goitre, tremblements), un malaise cardiaque (douleur thoracique à l'effort, syncope, antécédent de malaise ou de défaillance cardiaque), la douleur, la fièvre et le dysfonctionnement d'un organe, etc.«Ma mère a eu un pacemaker à 88 ans...» me dit-elle. Oui, mais dans le contexte d'un âge avancé, d'une cardiopathie valvulaire et d'une BPCO. Glenda a un examen cardiovasculaire normal, à part une tension artérielle systolique de 145 mmHg - «Oh, c'est moins quand je la prends à la maison...». Je consulte les résultats des analyses sanguines et j'en arrive à la conclusion qu'elle va bien. Physiquement. Bien sûr, je vais lui faire passer un test d'effort et revoir l'écho de l'année dernière. Mais je ne vais pas chercher à obtenir des catécholamines urinaires, du zinc sérique ou une IRM cérébrale.«Comment va la famille?» Je pose la question en toute décontraction. «Bien. Eh bien. Ils restent en contact.» «En contact? Alors, où sont-ils maintenant?»J'entends parler de plusieurs villes autour du globe.«Jane a des problèmes d'emploi, comme d'habitude. Ce serait différent si elle avait un mari, mais elle est toute seule, à Sudbury. Je l’appelle tous les jours. Je pense qu'elle a toujours été une source d'inquiétude. Elle n'a pas eu de chance, ni au travail, ni dans sa santé.» Je sens que cette veuve solitaire et intelligente porte le stress comme une croix, en le cachant à ses amis (qui sont peu nombreux). Je m'ouvre un peu: «Oui, je suis passé par là. Les jours ont changé. Vos enfants appelleront toujours maman pour lui demander conseil, hein?» «Le cancer», répond-elle, son regard angoissé captant le mien. «Comment peut-on attraper un cancer de l'ovaire?» Elle ne pleure pas.Son sentiment d'insécurité était intense. Ses mécanismes d'adaptation étaient minimes. Certes, elle avait une maison, de la nourriture, de l'argent et une stabilité sociale. Mais ses symptômes, réels et pénibles, étaient générés par la peur, l'isolement, l'incertitude et l'absence... d'une oreille attentive. Cette rencontre était plus thérapeutique que diagnostique: son excellent médecin de famille connaissait la situation et voulait l'aider du mieux qu'il pouvait.Dans quelle proportion un praticien traite-t-il les conséquences d'une telle insécurité? Un pourcentage important, sans aucun doute. Et les tests sanguins et d'imagerie «juste pour être sûr», qui deviennent de plus en plus courants, ne sont pas sans coût.Lire aussi: De nouvelles lignes directrices pour évaluer et prendre en charge l’anxiété chez les aînésCe sujet est traité en détail dans le livre d'Astra Taylor, The Art of Insecurity(1). Elle y relate que notre ordre social a été construit sur une assise d'insécurité qui est aujourd'hui remise en question par la quasi-impossibilité d'accéder à la propriété, le réchauffement progressif de la planète, les problèmes de santé croissants et la dissolution des valeurs morales que nous associons à un gouvernement stable et à la social-démocratie.Une partie de cette «insécurité» provient de la nature innée de notre humanité, mais d'autres formes sont fabriquées par la publicité, les médias et le gouvernement. Elle cite la remarque de Roosevelt (1935), selon lequel «la civilisation des cent dernières années, avec ses changements industriels surprenants, a eu tendance à rendre la vie de plus en plus insécurisante». Plus que jamais, nous vivons dans un monde où nous avons besoin de protection, qu'il s'agisse de serrures sur nos portes, de mots de passe sur nos ordinateurs ou de circonspection lorsque nous répondons à des inconnus au téléphone. Bien entendu, les moins fortunés (pauvres, chômeurs, sans-abri) sont les plus vulnérables à ce malaise.Quels rapports entre l'insécurité et la santé? Il me semble qu'il y en a beaucoup.Lorsque les mesures de santé publique sont prises en compte, le plus dur reste à faire. Nos aînés, fragiles et isolés, sont souvent mal armés pour faire face aux calamités. Certes, nous ne sommes pas en temps de guerre, nous ne vivons pas une famine mondiale ou une nouvelle Grande Dépression, comme les ont connues nos parents et nos grands-parents. Mais les attentes étaient différentes à l'époque. Les familles s'entraidaient. Les enfants s'occupaient de leurs parents, à domicile. Les mères de 73 ans étaient tranquilles, la plupart du temps.Glenda a accepté de suivre une thérapie - pour l'instant. Et de prendre un somnifère lorsque ses insomnies deviennent gênantes. Elle sait que la dépression franche et l'anxiété sont des maladies que l'on peut traiter avec divers médicaments, et elle reviendra pour un suivi. Jane l'accompagnera la prochaine fois. Ses soignants seront mieux préparés. Les services de santé mentale devraient être plus accessibles, ne pensez-vous pas?Lire aussi: Comment gérez-vous les patients qui somatisent ou présentent des troubles anxieux liés à la maladie?Thomas Hobbes, philosophe du XVIIe siècle, s'est éloigné de l'image stoïcienne du calme mental pour se tourner vers celle de la sécurité physique - en renonçant à une partie de sa liberté personnelle au profit d'une gouvernance forte. Heureusement, le concept de «sécurité» a été reconnu comme un droit inaliénable et figure dans plusieurs documents importants (2). La liberté, telle que nous la connaissons, est un avantage matériel de la sécurité - ce qui me semble être un atout majeur.Quelle est l'importance de l'insécurité des patients en matière de santé? Nous reconnaissons que l'accès aux soins est compromis, que leur complexité croissante les a compartimentés, que leurs coûts sont cachés et moins cachés et, bien sûr, que la COVID-19 (et les restrictions qui s'y sont rapportées) a généré une panique et une anxiété de grande ampleur. Peut-être que si nous nous arrêtions un instant pour reconnaître notre mortalité et célébrer nos libertés et nos succès, nous serions moins inquiets et apprécierions davantage ce que nous avons (plutôt que ce que nous n'avons pas). Je pense qu'il s'agit là d'un défi éducatif. Nous disposons de vaccins et d'antibiotiques, de chirurgies et de programmes alimentaires, de logements et d'institutions de protection - nous devons simplement les faire fonctionner ensemble. La coproduction signifie que les patients sont des partenaires actifs dans cet effort. Ils jugent les indices de qualité des résultats, ils aident à planifier la distribution des soins, ils sont l'instrument de mesure et de retour d'information.Chaque fois que c’est possible, nous devons tous nous efforcer de réduire l'insécurité «fabriquée» (par les médias, internet, le gouvernement, etc.).En ce qui concerne les soignants, Taylor affirme que «le fait de prendre soin des autres nous récompense et nous régénère, en nous permettant de nous assurer que l'on prend soin de nous en retour». Je pense que c'est en grande partie vrai: tant que nous bénéficions du respect et de la compréhension de nos patients, et des ressources appropriées pour faire du bon travail, nous pouvons peut-être faire fonctionner la Médecine. Avec un certain degré de sécurité.RéférencesThe Age of Insecurity. Astra Taylor (Massey Lectures). Anasi Press Inc (2023). ISBN-978148701932La déclaration universelle des droits de l'homme. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. La déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (ratifiée en droit canadien en 2021).

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