L'industrie pharmaceutique a commandité plus d’un million d’événements aux États-Unis

Des comités consultatifs aux publications sponsorisées dans la littérature médicale, en passant par les formations ou les déjeuners au cours desquels des professionnels rémunérés partagent leurs exposés à leurs pairs… Le parrainage d’événements destinés aux professionnels de la santé par les entreprises pharmaceutiques est protéiforme. Mais quelle est exactement son ampleur, et surtout, comment affecte-t-il la pratique des soignants qui y participent? Si ces informations sont difficilement accessibles à cause du manque de transparence de l’industrie, des chercheurs de la Faculté des sciences infirmières Lawrence Bloomberg de l'Université de Toronto ont réussi à quantifier la quantité et la portée de ces parrainages, en compilant les données des Centers for Medicare and Medicaid Services (CMS) Open Payments. Grâce à cette plateforme, créée en 2012 aux États-Unis pour plus de transparence autour des relations entre les cliniciens et l’industrie, l’équipe a pu examiner les relevés de paiements versés par les sociétés pharmaceutiques et les fabricants de dispositifs médicaux aux cliniciens pour la nourriture et les boissons, et ainsi identifier et quantifier les événements en présentiel commandités pour des produits spécifiques.Plus du tiers des prescripteurs a reçu des paiements de l’industrieLeur étude transversale, publiée dans le JAMA Health Forum, révèle donc que l’industrie a commandité plus d’1,1 million d’événements ciblant des professionnels de la santé rien que sur l’année 2022 aux États-Unis. Parmi eux, 99,7% comptaient moins de 20 participants, et 80% étaient considérés comme un déjeuner (dont la valeur était comprise entre 10 et 30$ par personne) – des événements auxquels ont participé soit des infirmières praticiennes (APRN) uniquement, soit des médecins uniquement, soit les deux. Les médecins ont participé à des banquets (dont la valeur était supérieure à 150$ par personne) dans une proportion beaucoup plus élevée que les APRN ou les publics mixtes.À lire aussi: Un médecin expert coupable de conflit d’intérêts«Plus de 70% des 325 000 IP [infirmières praticiennes] de la première ligne aux États-Unis et de ceux qui exercent à temps plein fournissent en moyenne 21 ordonnances par jour. Par conséquent, les APRN représentent une cible importante pour le marketing de l'industrie pharmaceutique», affirment les chercheurs. Ces derniers estiment à 35% la proportion de médecins, d’assistants médicaux et d’APRN ayant reçu des paiements non liés à la recherche, selon les données Open Payments de 2021. Au total, sept entreprises ont parrainé 16 000 dîners pour les 10 principaux produits, répertoriés dans le tableau suivant: Au total, les chercheurs ont recensé au moins 3000 événements par jour commandités par les sociétés pharmaceutiques et de dispositifs médicaux pour les cliniciens prescripteurs, «ce qui induit que les événements sponsorisés font partie de leurs campagnes promotionnelles nationales ciblant les groupes professionnels», selon eux.Les recherches ne révèlent pas de tendance particulière concernant les types de produits les plus susceptibles d’être promus dans ce genre d’événements. Toutefois, davantage d’événements à destination des infirmières praticiennes concernaient en particulier deux médicaments sur les 10 principaux, axés sur la santé mentale.Corrélation entre paiements et prescriptionsCes événements sont préoccupants à plusieurs niveaux, estiment les chercheurs. Ces derniers soulignent plusieurs données probantes selon lesquelles ces événements sont «conçus pour accroître la familiarité et l'utilisation des produits promus parmi les participants et les conférenciers», mais aussi «pour surestimer les avantages du produit promu, minimiser ses risques et exagérer les méfaits des produits des concurrents», «promouvoir les utilisations émergentes ou hors indication des médicaments de marque ou des produits en cours de commercialisation et nouvellement commercialisés», et ce, en dépit du coût, de l’efficacité et/ou de l'innocuité desdits produits. D’autres données probantes ont également établi une relation entre les paiements et le résultat des prescriptions médicales. «Les médecins qui ont reçu un seul repas parrainé lors d'un événement étaient plus susceptibles de prescrire le produit promu, précise ainsi l’étude. De plus, à mesure que le nombre d’événements et la valeur totale en dollars dépensée par médecin ont augmenté, la probabilité de prescrire le produit promu a également augmenté.»À lire aussi: Eli Lilly lance un site web pour promouvoir son nouveau traitement contre l'obésité«Quand on pense au nombre d’événements et au nombre de professionnels de la santé qui y participent, on se fait une idée d’une campagne capable, à l’échelle nationale, d’amplifier les points de vue sur un médicament promu qui sont probablement favorables au commanditaire», observe Quinn Grundy, professeure associée à la Faculté des sciences infirmières, directrice du Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la gouvernance, la responsabilité et la transparence dans le secteur pharmaceutique et co-auteure de l’étude, sur le site internet de l’Université. Si un premier pas vers plus de transparence a été fait il y a trois ans aux États-Unis, via la publication des premières données sur les paiements de la part de l’industrie aux infirmières prescriptrices, le Canada est à la traîne: rien n’oblige les entreprises pharmaceutiques à déclarer des paiements aux prescripteurs (lire à ce sujet notre dossier sur le marketing pharmaceutique). De son côté, la professeure Quinn Grundy espère que cette recherche, financée par le programme Making a Difference Grants de la Fondation Greenwall, «suscitera des discussions dans les cercles professionnels sur la manière d’interagir avec l’industrie de manière à servir au mieux les intérêts de la santé de la population.»

L'industrie pharmaceutique a commandité plus d’un million d’événements aux États-Unis

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