L'importance du mot juste en santé

Il y a déjà trente ans, alors qu’il étudiait en France après avoir terminé sa résidence au Québec, le néphrologue a compris l’importance du mot juste en médecine. «Je trouvais que les cours et les conférences qui étaient donnés était très clairs parce qu’on employait généralement le mot juste», explique-t-il. De retour au Québec au début des années 80, le Dr Quérin n’a jamais cessé de promouvoir la qualité du français et défendre cette langue dans le domaine médical. L’an dernier, son engagement lui a même valu d’être nommé officier de l’ordre des Arts et des Lettres de la République française. Durant les dernières décennies, il s’est toujours rappelé la phrase qu’a dite un jour son collègue aujourd’hui décédé, le Dr Michel Bergeron: «Chaque citoyen a droit à une information scientifique dans sa langue.» «C’est un droit à revendiquer parce que l'on comprend mieux les concepts lorsqu’ils sont expliqués dans notre langue», souligne le néphrologue à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal et professeur au département de médecine de l’Université de Montréal. Évidemment, la littérature, les études cliniques et les livres de médecine sont souvent écrits en anglais. C’est pourquoi les anglicismes ou les calques de l’anglais représentent la principale difficulté du français médical aux yeux du Dr Quérin. Les anglicismes Dans le milieu de la santé, il n’est pas rare d’entendre, par exemple, le mot «colonoscopie». Or, le terme français est en réalité «coloscopie». «Les mots qui se terminent par scopie ont tous la même règle étymologique. On prend le nom de l’organe en question, on enlève la dernière voyelle, syllabe ou consomme, et on met un "o" de liaison», explique-t-il. Depuis le début de la pandémie, souvent le gouvernement ou les autorités publiques vont évoquer le plan de contingence. Ce n’est toutefois pas le bon terme. «En français, il faut dire plan d’urgence ou plan de secours. La contingence, en français, ne veut pas dire la même chose que contingency en anglais. Plan de contingence est un calque de l’anglais.» Autre calque de l’anglais souvent utilisé: parler de «condition cardiaque» plutôt que de «problème cardiaque». Puis, si l’on présente un médecin, plusieurs vont omettre le déterminant, comme dans l’exemple suivant : «Je vous présente Dr Tremblay.» Si cette règle est correcte en anglais (Let me introduce Dr. Tremblay), en français, il faudra toutefois dire «Je vous présente le Dr Tremblay.» Bien nommer les médicaments Le monde de la pharmacie n’échappe pas à cette prédominance de l’anglais. C’est le cas notamment pour les médicaments qui, en anglais, finissent en «in» comme atovastatin et digoxin. Les professionnels de la santé au Québec le prononcent ou l’écrivent de cette façon. Or, en français, le nom de ses médicaments devrait se terminer par «ine». Ainsi, la prononciation change, tout comme le genre puisqu’au lieu d’être masculin les noms de ses médicaments deviennent féminins. À lire aussi: Mieux communiquer avec les patients: le choix des mots Au Québec, peu de personnes gravitant dans le domaine de la santé vont parler de pharmacie d’officine pour décrire une pharmacie Jean Coutu, Uniprix ou Familiprix, par exemple. Elles vont plutôt dire «pharmacie communautaire», qui est en fait emprunté de l’anglais (community pharmacy). «Partout ailleurs dans la francophonie, on utilise «pharmacie d’officine». En fait, le mot «communautaire» a un sens beaucoup plus étroit en français qu’en anglais». Erreur de genre et pléonasme En plus des calques de l’anglais, les erreurs de genre et les pléonasmes représentent des pièges du français médical. Le Dr Serge Quérin évalue qu’une vingtaine de mots causent des difficultés quant au genre à utiliser. Parmi ceux-ci, le mot «urticaire» est souvent utilisé à tort au masculin. Il s’agit en fait d’une urticaire. Parmi les pléonasmes, des médecins vont mentionner à leur patient qu’ils ont, par exemple, une occlusion complète de l’intestin. Or, «une occlusion est forcément complète, sinon cela serait une subocclusion». Ces dernières années, le néphrologue et professeur s’est aussi intéressé aux québécismes. Il en a compté une centaine dans le secteur médical, dont le mot «épidurale». «Dans la francophonie, on utilise principalement "péridurale", mais les deux termes disent pas mal la même chose. Un Québécois qui dit "épidurale" en France va être compris.» Au fil des ans, le Dr Serge Quérin a décortiqué des milliers de mots, de termes et d’expression dans l’un ou l'autre de ses trois Dictionnaire des difficultés du français médical, dont le premier est paru en 1998. Si une quatrième version voit le jour, gageons que des mots en lien avec la pandémie feront leur entrée. Entretemps, il continue son travail sur la langue française médicale sur le réseau social Twitter sous le compte @terminomed.

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