Lettre d’une profession au bord de la rupture

Nous sommes des médecins de famille. Nous sommes formés pour soigner, accompagner, rassurer. Nous avons choisi ce métier par conviction, par passion, par humanisme. Nous avons traversé une décennie d’études, souvent au prix de notre santé mentale et physique, de notre vie personnelle et familiale. Et aujourd’hui, nous levons la main, non pas pour réclamer, mais pour alerter. Nous sommes à bout. Nous sommes à bout d’un système qui nous utilise sans nous écouter. Nous sommes à bout d’un discours politique qui nous accuse, nous infantilise, nous intimide. Nous sommes à bout d’un modèle où notre performance est mesurée en nombre de rendez-vous, sans égard à la complexité, ni à la qualité du soin offert. Nous sommes à bout d’être des citrons trop pressés. Le gouvernement veut plus de rendez-vous, mais sans plus de médecins. Sans plus de moyens. Il veut 100% de prise en charge, alors qu’il manque 2 000 médecins de famille au Québec. Il veut raccourcir les rendez-vous, standardiser la médecine, vider les listes d’attente, quitte à sacrifier l’écoute, la prévention, la relation, le lien humain. Nous, nous voulons soigner. Mais on nous pousse vers la «productivité». Des médecins pleurent dans leur bureau, quittent la pratique ou songent à s'expatrier. Des jeunes finissants en médecine se réorientent avant même d’avoir commencé. Des cliniciens d’expérience, des piliers de leur communauté, sonnent l'alarme aujourd’hui, un ultime avertissement, avant de quitter. Et tout cela, non pas à cause de la charge de travail seule, mais à cause de la violence institutionnelle d’un système devenu sourd, opaque, coercitif. Quand un gouvernement adopte des lois punitives, sans dialogue. Quand il nie l’impact de la surcharge sur notre santé mentale. Quand il balaie du revers de la main nos solutions, pourtant éprouvées et basées sur les données probantes. Quand il instrumentalise notre travail à des fins électorales. Il met en péril toute une génération de soignants. Et ce sont les patients qui en paieront le prix. Nous le répétons. Le problème, ce ne sont pas les médecins de famille.Le problème, c’est un système désorganisé, centralisé à outrance sur le thérapeutique, le curatif, l'hospitalocentrisme, incapable de reconnaître la valeur de la première ligne. La valeur du care. Le problème, ce sont des choix politiques à courte vue, qui échouent depuis 20 ans à assurer un accès durable et équitable aux soins. Qui échouent à prévenir, plutôt qu'à guérir. Ce que nous demandons n’a rien d’excessif.Être soutenus plutôt que contrôlés. Être écoutés plutôt que culpabilisés. Pouvoir offrir des soins humains sans être contraints par des indicateurs déconnectés. Travailler dans un système qui valorise la collaboration, la prévention, l'humanisme et l’interdisciplinarité. Pouvoir exercer notre métier dans la dignité, sans qu’on nous traite comme une variable d’ajustement budgétaire ni un enjeu électoral. Si le gouvernement veut sauver l’accès aux soins, il doit commencer par sauver ses médecins de famille. Et pour cela, il faut d’abord nous respecter. Pas nous brasser.