«L’État n’a pas à payer pour toutes les peines d’amour. Et pourtant...»

Alors que la médecine tend de plus en plus à intégrer le mental et le physique, qu’en est-il de l’accès aux services et aux évaluations psychologiques? Ça laisse à désirer, selon la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, Rose-Marie Charest. «Il y a un coût humain, économique et social élevé à négliger d’apporter remède aux problèmes de santé mentale.»Comment évaluez-vous l’accès à la psychothérapie dans le Québec de 2010?Il est inégal d’un milieu à l’autre. Si vous avez une douleur physique, même si vous n’en connaissez pas la cause, cela vous oriente pour savoir qui consulter. Mais avec une douleur psychologique, il peut arriver bien des choses avant que la personne ne se décide à agir. Pendant tout ce temps, elle se demande ce qu’elle a, se culpabilise, peut accuser les autres ou son travail, mettre en cause son propre manque d’amour ou d’argent, le stress ambiant, etc.Il peut s’écouler beaucoup de temps avant que la personne admette que le prétexte des facteurs précités n’enlève rien au malaise qu’elle ressent, à ses difficultés à gérer ses relations interpersonnelles, à trouver des satisfactions dans sa vie, à se motiver. Pas facile de reconnaître que j’ai besoin d’aide pour quelque chose qui se passe à l’intérieur de moi et que je ne parviens pas toujours à nommer clairement.La tendance semble être de tout médicaliser, entre autres pour des raisons de coût. Qu’en pensez-vous?Les médicaments sont effectivement plus accessibles et à première vue – et je dis bien à première vue – moins coûteux que la psychothérapie. En réalité, au médicament remboursé par l’État, il convient d’ajouter les frais liés au travail du médecin, du pharmacien, etc. Il faut aussi prendre en compte le coût élevé des médicaments achetés et payés, mais non consommés.Alors, au bout du compte, il n’est pas si certain que le médicament coûte moins cher que la psychothérapie.Faut-il opposer les deux?Non. Médicament et psychothérapie peuvent tous deux être nécessaires, simultanément ou en alternance, dans le choix des soins. Le médicament peut parfois aider la personne à franchir un seuil qui lui permettra ensuite de trouver la force d’aller en psychothérapie; il arrive aussi parfois que la psychothérapie suffise à elle seule.L’argent est-il le principal obstacle à l’accès aux services psychothérapeutiques?En bonne partie oui, du moins si j’en crois les médecins de famille que je connais. Ils me disent que si leurs patients détiennent une assurance privée ou ont de l’argent, ils sont heureux de pouvoir, au besoin, les orienter vers la psychothérapie.Le fardeau, pour le médecin, c’est de composer avec la personne souffrant de troubles mentaux qui n’a ni argent ni assurance privée. Quand on regarde le nombre élevé de consultations médicales qui concernent, sous une forme ou sous une autre, la santé mentale, c’est un pensez-y bien!Quel serait l’idéal alors, selon vous?D’intégrer le psychologue à l’équipe médicale, là où c’est possible. Dans une optique de réorganisation des soins, il faut considérer un meilleur accès à la psychologie. Les médecins peuvent par exemple adresser certains patients au psychologue plutôt que de prendre à leur charge ceux qui exigent beaucoup de temps. La rareté de médecins rend plus précieux le temps de ceux qui restent. Pourquoi ne pas intensifier les liens interprofessionnels là où ils apportent un «plus» au patient?L’accès au traitement psychothérapeutique ne saurait être tributaire du seul fait d’avoir ou non de l’argent ou une assurance privée. Si vous avez un accident de travail ou de voiture, si vous êtes victime d’un acte criminel, vous aurez droit à une psychothérapie payée par l’État. Mais si vous perdez un enfant, non. Étrange, quand même!Pourquoi l’État est-il si réticent envers la psychothérapie?Il craint que les gens n’en abusent. L’État, dit-on, n’a pas à payer pour toutes les peines d’amour. D’accord, mais il arrive aussi que certaines peines d’amour mènent à la dépression. Il convient alors de considérer également le coût de la non-intervention en matière de santé mentale et même de santé physique.Voyez par exemple le coût humain, social et financier, de l’absentéisme qu’entraînent des problèmes de santé mentale. C’est là un domaine où nous devons privilégier la prévention avant que le malaise ne dégénère en un arrêt de travail.Mais n’a-t-on pas l’impression que le patient va s’enliser dans une psychothérapie?Aider la personne à faire des choix plus satisfaisants par exemple, ça ne prend pas des années et ça peut faire toute la différence entre un arrêt de travail ou non. Oui, certaines psychothérapies sont à long terme, mais la majorité des psychothérapies sont de courte durée.Le déséquilibre croissant des sexes en psychologie risque-t-il d’affecter l’accès aux soins?Oui, dans la mesure où nous devons assurer une offre de soins diversifiée, à l’image de notre clientèle, elle-même très variée. Or, à l’instar des sciences infirmières, la psychologie tend à devenir une quasi-exclusivité féminine. Il y a de moins en moins d’hommes à l’université, dans cette discipline comme dans d’autres.S’il existe des situations psychologiques où il est neutre d’avoir un thérapeute homme ou femme, dans d’autres cas en revanche, il serait préférable de recourir à un psychologue de l’un ou l’autre sexe. À l’ado de 17 ans qui veut consulter et qui vit seul avec sa mère depuis l’âge de deux ans par exemple, ce serait sans doute une bonne idée de trouver à ce garçon un homme comme psychologue.Faut-il alors instaurer la parité des sexes à l’entrée aux études et à la profession?Notre société, je crois, a la maturité d’en débattre, car nous devons viser l’équilibre social et le bien des patients. Filles et garçons n’apprennent pas pareil, tenons-en compte pour la sélection aux études.Grand ménage dans les psychothérapiesL’Assemblée nationale a adopté, le 18 juin 2009, le projet de loi 21, qui encadre les activités professionnelles dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines, dont la psychothérapie.Les dispositions entreront en vigueur de manière graduelle, mais on peut s’attendre à ce que celles concernant la psychothérapie prennent effet à la fin 2010 ou au début de 2011. Une fois appliquée, la loi devrait mettre fin à l’ambiguïté qui règne dans ce secteur puisque, à l’exception des médecins et des psychologues, tous ceux qui voudront pratiquer la psychothérapie devront détenir un permis délivré par l’Ordre des psychologues.La loi a fait l’objet d’un large consensus entre les ordres directement concernés (psychologues, médecins, infirmières, travailleurs sociaux, conseillers d’orientation, psychoéducateurs et ergothérapeutes). «L’exercice aura permis de créer des liens plus solides et plus productifs entre les professionnels de la santé mentale», note la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, Rose-Marie Charest.

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