Les statines à forte dose liées à un risque accru d’insuffisance rénale aiguë

Les statines encore mises au banc des accusés. Cette fois-ci, on leur reproche d’accroître le risque d’insuffisance rénale aiguë quand elles sont prescrites à forte dose.À la suite d'une étude1 confiée à ses chercheurs, le Réseau canadien pour les études observationnelles sur les effets des médicaments (RCEOEM) recommande aux médecins d’évaluer avec soin les risques et les bénéfices du traitement par statines à dose élevée.«Bien sûr il ne s’agit pas de cesser de donner des statines à haute dose à quelqu’un qui a une histoire d’hypercholestérolémie familiale et qui a déjà fait trois infarctus. Par contre, on devrait peut-être hésiter avant d’en prescrire à une femme de 40 ans qui ne fume pas et qui n’a pas d’hypertension, même si elle a un cholestérol élevé. Une statine à faible dose peut être bien suffisante étant donné le bienfait qu’elle peut en retirer», précise le Dr Pierre Ernst2, un pneumologue montréalais qui a participé à l’étude.Cette dernière, publiée dans le British Medical Journal (BMJ) a révélé une augmentation relative de 34 % du risque d’hospitalisation pour insuffisance rénale aiguë dans les 120 jours suivant le début de l’administration de fortes doses de statines comparées à de faibles doses.Selon les données observées, un patient sur 500 inclus dans l’étude a été hospitalisé pour insuffisance rénale aiguë dans les deux ans suivant le début de l’administration de faibles doses de statines. Parmi les patients soumis à un traitement d'un ou deux ans, ceux qui recevaient de fortes doses du médicament présentaient un risque de problèmes rénaux relatif accru de 15 %.Le RCEOEM a décidé de se pencher sur cette question parce qu’il y avait déjà eu plusieurs alertes à ce sujet, notamment dans l’essai randomisé JUPITER, mais aussi dans des rapports demandés par la Food and Drug Administration, notamment des données fournies par AstraZeneca, le fabricant de Crestor.Une étude terrain auprès de 2 millions de patients!«On avait rapporté un léger excès d’insuffisance rénale aiguë, mais pas statistiquement significatif. On a donc voulu regarder si cet effet était réel dans une population plus générale», précise le Dr Ernst.L’avantage du RCEOEM est de pouvoir effectuer ses recherches dans plusieurs bases de données du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni.Dans le cas particulier de l’étude sur les statines, les chercheurs canadiens ont eu accès aux dossiers rendus anonymes de deux millions de patients. Un volume qui leur a permis d’obtenir rapidement des données concluantes, alors que jusqu’à présent ils devaient se contenter de soupçons ou de résultats non significatifs.Rien de tel que des études terrain pour avoir une idée exacte des effets néfastes ou positifs des médicaments. «Dans les essais randomisés, il y a moins de personnes que dans les études que l’on fait. En plus, ce sont des gens sélectionnés pour être en assez bonne santé et sans comorbidité importante», explique le Dr Ernst. Cependant, pour en faire il faut avoir accès à une population importante, impliquant donc qu’un médicament soit sur le marché depuis un certain temps.«Les statines à haute dose sont des médicaments relativement nouveaux, mais comme on les emploie de plus en plus, il y avait donc une utilisation suffisante pour que l’on puisse avoir accès aux données nécessaires», explique le Dr Ernst.Étudier l’innocuité et l’efficacité des médicaments Le RCEOEM fait partie du Réseau sur l’innocuité et l’efficacité des médicaments (RIEM), financé par Santé Canada et par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Cet organisme, créé il y a deux ans, a pour mandat d’analyser les effets secondaires des médicaments commercialisés au Canada.L’étude des effets des statines à haute dose sur les reins fait partie de deux projets mis en branle par le RCEOEM afin de démontrer à Santé Canada la pertinence de son investissement. «On avait planifié cette étude sur les statines et une autre sur les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) pour montrer ce dont on était capable et qu’il était possible de travailler sur des données tirées de huit bases de données différentes», précise le Dr Ernst. À la suite de ces études, le risque de dommage au rein a été confirmé et il est maintenant prouvé que les IPP – ces bloqueurs d’acide gastrique dont on vient de transférer la responsabilité du prix aux patients – n’augmentent pas les risques de pneumonie grave.«Maintenant, les sujets d’études viennent de Santé Canada ou d’autres organismes qui nous font confiance», souligne le pneumologue. Actuellement le réseau travaille sur une cinquième étude. Les résultats du réseau dépendent, entre autres, de l’accès aux bases de données dans lesquelles les chercheurs puisent.Le Dr Ernst apprécierait d'avoir, comme c’est le cas en Ontario, un accès «direct et immédiat» aux informations, mais il ne juge pas non plus cela «absolument nécessaire». Au Québec, il faut passer par la Commission d’accès de l’information (CAI) ce qui prend un certain temps, même quand on a un accès privilégié comme c’est le cas des chercheurs du RCEOEM.«Il faut quand même passer par toutes les étapes, leur donner le temps de regarder la demande et qu’ils s’assurent de son sérieux et de la protection des données», précise le chercheur. Mais actuellement l’atmosphère entre les chercheurs du RCEOEM et leur fournisseur de données est au beau fixe.«Si l’accès reste ouvert, que la CAI fait bien son travail, que la RAMQ continue de juger que c’est important de nous fournir les données, je ne vois pas le besoin de réclamer un accès plus rapide», conclut le Dr Ernst. 1. Use of high potency statins and rates of admission for acute kidney injury: multicenter, retrospective observational analysis of administrative databases2. Dr Pierre Ernst, professeur en médecine, Université McGill Centre d’épidémiologie clinique, Hôpital général juif de Montréal, Institut Lady Davis Statines dites de forte puissanceLes statines dites de forte puissance comprennent:-la rosuvastatine (ex. : Crestor) à des doses de 10 mg ou plus;- l’atorvastatine (ex. : Lipitor) à des doses de 20 mg ou plus;- et la simvastatine (ex. : Zocor) à des doses de 40mg ou plus.Toutes les autres statines ont été jugées de faible puissance.Source : CNODES- RCEOEM

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