Les pharmaciens en GMF dans l’expectative

Alors qu’il n’a jamais été autant question d’interdisciplinarité en première ligne, les pharmaciens en GMF ont de la difficulté à cerner les signaux envoyés par Québec quant aux missions qu’ils peuvent remplir pour renforcer l’accès aux soins primaires, priorité numéro un du plan de réorganisation de la santé du ministre Christian Dubé. «En fin de compte, on se rend compte que notre rôle est méconnu et mal compris», observe Anne Maheu, pharmacienne au GMF-U de Bordeaux-Cartierville, à Montréal, et coordonnatrice du projet de recherche du Réseau québécois des pharmaciens en groupe de médecine de famille (RQP GMF), une communauté de pratique qui rassemble environ 350 professionnels. Lorsque les négociations s’intensifiaient, durant l'hiver 2020, autour du renouvellement du programme de financement et de soutien professionnel pour les GMF, le RQP GMF avait publié un énoncé de position réclamant une présence accrue des pharmaciens dans les quelque 370 GMF de la province. Alors, 85% d’entre eux employaient des pharmaciens y travaillant en moyenne 16 heures par semaine, des chiffres qui n’ont guère évolué depuis. Le RQP GMF recommandait qu'un temps complet pharmacien soit octroyé par 10 000 patients inscrits dans un GMF. Les financements alloués à l'époque par le ministère de la Santé correspondant à 0,2 temps complet par 10 000 patients, soit une journée par semaine. Les vœux du Réseau n’ont finalement pas été exaucés. Dans le nouveau programme de financement des GMF, entré en vigueur le 1er avril dernier et qui sera valide jusqu’au 31 mars 2025, les montants alloués pour les pharmaciens sont restés stables et leur présence demeure optionnelle. «On aurait aimé avoir un jour de plus par semaine et on avait bon espoir que nos heures allaient augmenter, car avec de petits temps partiels, ce n’est pas suffisant pour s’intégrer adéquatement dans une équipe», déplore Anne Maheu. À lire aussi: Le GMF nouveau: L’interdisciplinarité en mouvement Plus récemment, l’entrevue accordée à ProfessionSanté.ca par Christian Dubé a suscité l’émoi au sein de la communauté de pratique. Interrogé au sujet de la consolidation de l’interdisciplinarité sur la première ligne, le ministre de la Santé avait déclaré: «On n’a pas besoin d’avoir le pharmacien dans le GMF, on a besoin de ce filtre qu’on appelle le GAP [NDLR, guichet d’accès à la première ligne].» Erreur de langage, manque de connaissance du dossier ou propos délibérés? Les intéressés n’ont pas eu le fin mot de l’histoire. Un simple rôle de liaison? Quelques semaines plus tard, Christian Dubé dévoilait son plan de «refondation» du réseau de la santé qui prévoit, entre autres, «davantage d’autonomie et de services offerts par les pharmaciens». De nouveau interrogé par ProfessionSanté.ca afin de savoir où ces derniers pourraient donner plus de services — en pharmacie communautaire ou dans les GMF —, le ministre a répondu «les deux», sans donner plus de précisions. Dans son entourage, on indiquait toutefois, sous couvert d’anonymat, que l’idée était de confier aux pharmaciens en GMF «un rôle de liaison et de coordination» avec leurs pairs du milieu communautaire, à l’instar de celui joué par la pharmacienne Julie-Anne Filthaut dans le cadre du projet de priorisation des fax entre pharmaciens et omnipraticiens déployé dans Lanaudière. Ces activités de liaison figurent dans l’énoncé de position du RQP GMF. «On comprend et on parle le même langage que nos collègues en pharmacie communautaire. Ça facilite les communications pour transférer le suivi pharmaceutique de certains patients souffrant de diabète, d’hypertension ou sous anticoagulothérapie. On peut également être un point de contact pour fluidifier les échanges entre les médecins et les pharmaciens communautaires», reconnaît Anne Maheu qui ne souhaite cependant pas être cantonnée dans ce rôle-là. En faire davantage Plusieurs études ont en effet démontré que, dans un contexte de soins de première ligne, les pharmaciens améliorent la pharmacothérapie, réduisent l’utilisation des services de santé ainsi que les coûts en médicaments, tout en contribuant à l’amélioration clinique de plusieurs problèmes de santé. «On joue un rôle complémentaire à celui des médecins de famille, en les épaulant et en les déchargeant de certaines tâches», affirme Anne Maheu qui souligne que l’expertise et les compétences des pharmaciens leur permettent de s’impliquer dans le suivi des patients ayant des besoins complexes, comme les patients âgés, les malades chroniques, les personnes sensibles aux effets indésirables des médicaments ou ayant vécu plusieurs échecs thérapeutiques, etc. Les pharmaciens en GMF pourraient-ils ainsi être impliqués dans les GAP en cours de déploiement? «Éventuellement, mais notre contribution ne pourrait être que minime en l’état actuel des choses», indique la Fellow de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ). Le programme de financement des GMF prévoit que les pharmaciens qui y travaillent doivent se consacrer aux patients inscrits auprès des omnipraticiens de la clinique. Or, le GAP est pour l’instant destiné à la clientèle orpheline, explique-t-elle À lire aussi: Objectif 1er juin pour le déploiement des GAP Catapultage possible Du côté de l’OPQ, on estime que les activités issues des lois 41 et 31 permettent aux pharmaciens en GMF de «s’éclater», selon le terme employé par son président, Bertrand Bolduc. Il ajoute qu’avec les ententes de partenariat, qui rendent possible une pratique encore plus autonome en facilitant la collaboration avec les médecins et les infirmières d’un GMF pour la prise en charge de certaines clientèles particulières, «on peut vraiment catapulter leur rôle». À l’inverse, le président de l’Ordre n’imagine pas qu’on puisse le réduire. «Si on restreint l’appui qu’ils offrent aux médecins, on ne va vraiment pas aider ces derniers. Les pharmaciens gèrent des cas complexes et font beaucoup de suivis qui soulagent les omnipraticiens.» Lire aussi: Lois 41 et 31: près de 4 millions d’actes posés en 2021 par les pharmaciens Un avis partagé par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), dont les membres se disent «très contents de l’apport des pharmaciens», signale son porte-parole, Jean-Pierre Dion. Celui-ci juge qu’il ne faut pas non plus imposer leur présence, «car les besoins diffèrent selon les GMF». Quant à augmenter leurs heures? «Ça dépend aussi des GMF, mais ça ne semble pas être une priorité.» Le président de l’Association des pharmaciens propriétaires du Québec (AQPP), Benoît Morin, considère que les pharmaciens en GMF peuvent jouer «un rôle pivot avec les pharmacies communautaires», mais il estime que ce serait une erreur de les enfermer dans cette mission-là vu les enjeux d’accessibilité aux soins de première ligne. «On devrait plutôt les utiliser au maximum de leurs compétences pour améliorer la prise en charge des patients.» Quoi qu’il en soit, les choses seraient en train de bouger au sein du ministère de la Santé. Des projets pilotes devraient bientôt être lancés dans quelques GMF de la province afin d’évaluer les bénéfices d’une présence accrue des pharmaciens en leur sein.

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