« Les perturbations du sommeil sont trop souvent perçues comme un trouble marginal »

Une bonne partie de la population éprouve, à un moment ou l’autre de sa vie, des perturbations du sommeil. Parfois, ces perturbations sont temporaires, mais il arrive qu’elles soient persistantes au point de nuire à la qualité de vie de certains patients.Or, malgré la grande prévalence des troubles du sommeil dans la population, ces perturbations sont souvent perçues par les professionnels de la santé comme un élément secondaire du portrait clinique des patients.La psychiatre Diane B. Boivin, fondatrice du Centre d’étude et de traitement des rythmes circadiens humains à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, estime au contraire que le traitement de ces troubles est fondamental.Diane B. Boivin vient d’ailleurs de publier Le sommeil et vous : mieux dormir, mieux vivre. De son propre aveu, l’ouvrage de 191 pages s’adresse autant aux patients qu’aux professionnels de la santé, qui comprennent mal le rôle du sommeil et les conséquences de perturbation.En plus de donner des conseils pour mieux gérer le sommeil, l’auteure aborde aussi dans son livre certains troubles du sommeil plus particuliers comme les apnées, le syndrome des jambes sans repos et le somnambulisme. Les troubles du sommeil sont-ils des maladies à part entière ou les conséquences d’autres troubles ?Les deux. Il existe certaines pathologies spécifiques du sommeil comme le syndrome des jambes sans repos ou les apnées du sommeil, mais certaines perturbations du sommeil sont causées par d’autres facteurs. On peut penser à l’asthme, aux douleurs chroniques ou à l’insuffisance cardiaque, qui vont parfois affecter la qualité du sommeil.Et l’insomnie ?L’insomnie est une difficulté à initier ou à maintenir un bon sommeil la nuit, qui découle, dans la majorité des cas, de plusieurs problèmes d’ordre psychophysiologique. La composante psychologique est donc importante.J’ajouterais que l’insomnie, c’est davantage une maladie de l’éveil qu’une maladie du sommeil, car les patients éprouvent une hyperactivité mentale à l’heure du coucher. Les patients souffrant d’insomnie ont de la difficulté à trouver l’équilibre entre leurs mécanismes de sommeil et d’éveil.Quelle est la prévalence des troubles du sommeil dans la population ?Cela varie beaucoup en fonction du type de trouble et de la population ciblée.Si on regarde plus particulièrement l’insomnie, de 30 à 50 % des gens vont, à un moment ou l’autre, avoir un symptôme qui lui est compatible. De ce nombre, de 10 à 15 % des patients éprouveront des problèmes sévères.Si on regarde du côté des populations psychiatriques, cette proportion monte toutefois jusqu’à 95 %.Qu’entend-on par un problème sévère d’insomnie ?C’est lorsque le problème occasionne chez le patient des troubles de fonctionnement importants durant la journée et lorsque cette situation persiste depuis suffisamment longtemps pour être considérée comme chronique.Évidemment, le médecin se doit d’exercer son jugement clinique, car les besoins de sommeil varient d’un patient à l’autre. C’est pour cette raison qu’il faut porter attention au fonctionnement diurne du patient pour évaluer sa condition.Est-ce grave de manquer de sommeil ?Si nous passons parfois une nuit blanche, mais que nous sommes en mesure de récupérer ce manque de sommeil ailleurs, nous limitons les dégâts sur notre santé.Mais manquer de sommeil de façon constante augmente le risque de développer plusieurs problèmes de santé, notamment métaboliques, comme le diabète ou la prise de poids, et peut contribuer au développement d’une dépression.Compte tenu de l’accessibilité restreinte à un médecin de famille, les autres professionnels peuvent-ils jouer un rôle dans le traitement des troubles du sommeil ?Leur contribution est primordiale, ne serait-ce que pour insister auprès des patients sur l’importance d’une bonne hygiène du sommeil, mais aussi afin de les aider à avoir des attentes réalistes face à leur sommeil.Par contre, si le patient souffre d’un trouble plus sévère comme une apnée du sommeil, cela nécessite une prise en charge médicale.Quels sont vos principaux conseils aux insomniaques ?Le premier conseil, c’est surtout de ne pas regarder l’heure la nuit ! C’est tout simple comme conseil, mais c’est souvent difficile à mettre en pratique pour les patients.Mon deuxième conseil est de relativiser leur anxiété par rapport à l’insomnie. Ce n’est pas le défi d’une nuit, c’est un processus qui s’étale sur le long terme.Mon troisième conseil est de briser l’association qui peut se créer entre la chambre à coucher et le fait d’être éveillé. C’est pour cette raison que nous recommandons aux patients d’apprendre à se détendre dans une autre pièce.Dans quels cas l’usage de somnifères devrait-il être recommandé ?Dans les situations d’insomnie aiguës comme un deuil ou un autre type d’événement difficile pour le patient, il ne faut pas hésiter à en prescrire.Dans le cas d’insomnie chronique, cela peut être approprié d’en prescrire, mais j’estime que cela doit être rattaché à des conseils au patient.Par exemple, il n’est pas recommandé de prendre un somnifère à 4 heures du matin. Ce serait mieux pour le patient d’attendre le lendemain soir, une heure avant le coucher. Il faut aussi qu’il évite d’avoir recours à la médication tous les soirs.Y a-t-il des risques de dépendance physiologique ou psychologique à la médication ?Tout à fait. C’est surtout le cas avec des molécules comme les hypnotiques, qui ont tendance à diminuer le sommeil lent profond, la phase la plus réparatrice du sommeil.Il se crée parfois aussi des escalades de doses, qui entraînent alors des problèmes d’insomnie carabinée lorsque le médecin cesse le traitement. Cela peut créer un cercle vicieux qui renforce chez le patient la perception qu’il a besoin de médication.Heureusement, c’est un peu moins le cas avec les nouvelles molécules, qui perturbent moins l’organisation du sommeil que les générations précédentes de médicaments.Par contre, chez bon nombre de patients psychiatriques, il est incontournable de prendre un somnifère sur une base quotidienne, car ils ont des troubles du sommeil sévères, chroniques et ils deviennent résistants aux traitements.Les différentes instances saisissent-elles bien les enjeux liés au sommeil ?Non. Il faut littéralement que je me batte afin de former des résidents – même en psychiatrie – sur les troubles du sommeil, qui font pourtant partie intégrante du tableau psychiatrique des patients.Trop souvent, les perturbations du sommeil sont perçues comme un élément marginal d’un problème de santé, alors qu’elles contribuent à l’apparition, par exemple, de dépressions.Il y a cependant une exception : la maladie affective bipolaire. Les médecins comprennent bien le fait qu’un patient qui dort moins entre dans une phase d’hypomanie qui risque de s’aggraver ensuite et de se transformer en phase de manie.

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