Les médecins passent des millions d’heures dans la paperasse chaque année

Les omnipraticiens et les médecins spécialistes québécois consacrent annuellement quelque 4,4 millions d’heures à des tâches administratives superflues. Ce temps passé à gérer de la paperasse, qui ne nécessite aucune expertise clinique ou qui est tout bonnement inutile, équivaut à environ 13,2 millions de consultations. En éliminant complètement cette «paperasserie», cela reviendrait à ajouter 1684 cliniciens au réseau de la santé; et en la réduisant de 10% à peine, 1,3 million de rendez-vous médicaux pourraient être honorés en plus chaque année au Québec, selon un rapport de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) publié ce lundi. «Réduire la paperasserie est une action hautement stratégique. Nous devrions chercher des moyens de la réduire, surtout si cela permet de gagner du temps dans les domaines prioritaires», affirme le vice-président de la FCEI, François Vincent. Ce dernier regrette que cette solution «soit trop souvent négligée» alors qu’elle pourrait, commodément et mécaniquement, améliorer la disponibilité des soins de santé. Le rapport de la FCEI (disponible en pied de page) est intitulé Les patients avant la paperasse. Il s’appuie sur les résultats d’une étude menée en 2020 par le Bureau de l’efficacité de la réglementation et des services de la Nouvelle-Écosse. En se basant sur les données de cette étude, la FCEI présente une estimation du fardeau administratif total des médecins de chaque province et territoire. À l’échelle du Canada, les médecins consacrent collectivement 18,5 millions d’heures par année à la paperasse et à des tâches administratives superflues, ce qui correspond à 55,6 millions de consultations. Une tendance à inverser Ces chiffres vont donner du grain à moudre à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), qui avait elle-même calculé qu’en réduisant de deux heures par semaine les tâches cléricales des médecins de famille, ils pourraient offrir 18 000 heures supplémentaires en services à la population. Dans son éditorial de fin d’année, qui présente «les douze travaux de la FMOQ» pour 2023, le président de la Fédération, le Dr Marc-André Amyot, signifiait que «nous devons impérativement renverser cette tendance qui s’accentue depuis trop longtemps». Alors qu’il y a 15 ans, les médecins de famille consacraient en moyenne 10% de leur temps de pratique à la paperasse, celle-ci occupe désormais 9,7 heures sur une semaine de 40 heures (24%), selon un sondage mené en mars dernier auprès de 2248 membres de la FMOQ. Outre des prises de position dans les médias pour dénoncer la situation, la Fédération compte aussi mettre de l’avant des solutions concrètes, comme «la standardisation ou l’abolition de certains formulaires, la révision de plusieurs règles administratives ainsi que le partage de responsabilités avec d’autres professionnels». «Les assureurs doivent faire leur part»… En la matière, les assureurs sont particulièrement dans la ligne mire, nombre d’entre eux exigeant par exemple une note du médecin pour rembourser une visite chez le physiothérapeute, le massothérapeute ou le psychologue alors qu’il s’agit de services déjà assurés. Il existe également des formulaires normalisés et simplifiés qui ont été créés par l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP). Mais leur usage tarde à se répandre. «On va maintenir la pression sur les assureurs, qui vont devoir agir. Certaines façons de faire sont ancrées depuis trop longtemps. Ce n’est plus acceptable», estime Jean-Pierre Dion, le directeur des communications de la FMOQ, qui constate néanmoins que «sociétés d’assurance bougent une à une». Lire aussi: Des scribes pour soulager les médecins et accroître leur disponibilité? En décembre dernier, Beneva, née du regroupement de La Capitale et de SSQ Assurance, a ainsi annoncé qu’elle n’exigera plus «aucune prescription médicale à sa clientèle en assurance collective lors d’une demande de remboursement pour des services de nature paramédicale tels que les services en psychologie, en physiothérapie, en chiropractie, sauf pour de rares exceptions». L’entreprise s’était dite heureuse «de contribuer à diminuer la lourdeur administrative des médecins de famille afin d’augmenter le temps qu’ils peuvent consacrer aux soins de leurs patients, qui sont bien souvent aussi nos assurés». Sans surprise, la décision de la mutuelle d’assurance a été accueillie favorablement par la FMOQ: «C’est une bonne nouvelle d’avoir ainsi été compris par Beneva. Espérons que d’autres emboîteront le pas. Cette démarche apporte aussi des avantages aux compagnies qui adoptent ces manières de faire. En simplifiant la tâche des médecins, ils simplifient également la leur.» … le MSSS aussi La FMOQ s’attend également à ce que le ministère de la Santé et de Services sociaux (MSSS) fasse lui aussi sa part des choses. Dans l’entente visant à accroître l’offre de services en première ligne, conclue en mai dernier, «c’est écrit que le gouvernement doit être proactif pour réduire la paperasse», signale Jean-Pierre Dion. «L’entente signée entre le MSSS et la FMOQ fait mention d’un chantier de réflexion et de révision de l’organisation du travail de première ligne qui devra permettre notamment une valorisation de la pratique de la médecine familiale au Québec», indique par courriel le porte-parole du ministère, Robert Maranda. Il ajoute que le chantier de la réduction des tâches cléricales des omnipraticiens est abordé par le Plan santé et par les travaux qui visent à valoriser la médecine de famille, notamment en diminuant les irritants de la pratique. Lire aussi: Une solution élémentaire pour alléger le fardeau des fax Le porte-parole souligne par ailleurs que le MSSS procède à l’«étude de certains processus avec des organismes gouvernementaux afin de diminuer les visites et la complétion de formulaires non pertinents». Il spécifie également qu’un «projet a déjà été complété avec la SAAQ [Société de l’assurance automobile du Québec], visant à réduire le nombre de visites pour reconduction des permis de conduire des 75 ans et plus». Effective depuis mars dernier, la suppression des examens médicaux et visuels pour ces conducteurs-là revient à «nous épargner 100 000 consultations par année», avait déclaré à l’époque le Dr Amyot. M. Maranda signale enfin que le chantier de la paperasse est «lié à celui de l’augmentation des services offerts de manière autonome par les différents professionnels cliniques agissant en première ligne, permettant de diminuer les besoins de prescriptions médicales». Dans un rapport publié en septembre, qui contient des dizaines de solutions pour améliorer l’accessibilité aux soins de première ligne, le Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ) a par exemple proposé que le diagnostic ne soit plus réservé aux seuls médecins, notamment lorsqu’un patient va consulter un psychothérapeute. Une idée à laquelle le Collège des médecins du Québec et la FMOQ se sont dits ouverts, en posant certaines conditions, comme un meilleur balisage des champs d’exercices des différents professionnels de la santé amenés à poser un diagnostic.

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