«Les infirmières pourraient régler la majorité des problèmes» - Léo-Paul Lauzon

Léo-Paul Lauzon, comptable, est un personnage coloré, réputé pour tirer sur tout ce qui bouge. Ça «swinguerait» si le titulaire de la Chaire d’études socio-économiques de l’Université du Québec à Montréal devenait ministre de la Santé. Voici quelques scénarios issus du bouillonnant cerveau du prof Lauzon. Votre première mesure?Instaurer un nouveau modèle comptable dans lequel une partie du coût des services publics sera capitalisée, et non passée en dépenses de l’année courante. Fini de capitaliser seulement le béton! La santé et l’éducation ne sont pas des dépenses d’épicerie, mais un investissement générant d’importants revenus économiques.Emprunter ensuite les meilleures politiques en santé et services sociaux qui prévalent en Europe et en Amérique latine. Ici, des malades meurent à l’urgence ou faute de recevoir à temps les soins requis. Arrêtons de les traiter comme du bétail. Que feriez-vous pour améliorer les soins?J’implanterais des centres de chimiothérapie et de radiothérapie dans tous les coins du Québec. Ayant moi-même un cancer de la prostate depuis quatre ans, j’ai reçu de l’hormonothérapie et 40 traitements de radiothérapie à l’hôpital Notre-Dame. J’y ai vu de mes yeux des malades, victimes de cancers avancés, venus de Rouyn et de Val-d’Or et d’autres régions. Totalement inhumain et indigne de les contraindre à recevoir leurs soins à Montréal!Quand on a un cancer, on veut être chez soi, auprès des siens, pas dans un hôtel. Avant de subventionner la construction d’un amphithéâtre à Québec pour 400 millions $ projetés (attendez de voir la facture finale!) et l’Orchestre symphonique de Montréal pour 300 millions $ en fonds publics, nous devons établir des priorités plus humaines, plus économiques et faire de meilleurs choix. Mais on accepte tout, au Québec. On est tellement tolérants. Des 20 heures à l’urgence, y’a rien là. On est des valises. Y a-t-il trop de médecins au Québec?Non. Le Canada a la plus faible proportion des pays occidentaux avec 19 médecins pour 10 000 habitants1. L’Allemagne en compte 35, la Suède 36, la France 37, la Norvège 39, la Suisse 40, etc. La solution à ce problème n’est pas structurelle, mais politique.Le Canada compte 34 lits d’hôpitaux pour 10 000 habitants, contre 68 en Finlande, 72 en France et 81 en République tchèque. Cuba fait encore mieux. Quelles mesures adopter pour pallier la pénurie de médecins?1-Signer une entente de collaboration avec Cuba. Pour un certain temps, elle nous enverra des médecins, comme elle le fait avec d’autres pays. Cela permettra de faire face à la pénurie criante de pédiatres, gynécologues, oncologues, etc., à l’absence de services adéquats offerts en région et nous fournira le temps nécessaire pour former de nouveaux généralistes et spécialistes;2-Instaurer des facultés de médecine en région, par le biais du réseau de l’Université du Québec (Rimouski, Rouyn, Gatineau, Saguenay), où l’on formera aussi des spécialistes. Cela fait République de bananes de ne pas former de médecins en région;3-Faciliter, comme en Ontario, la venue de médecins étrangers. Importons-en de France, de Suisse, de Belgique. C’est à l’État d’évaluer leurs compétences, car la santé publique est trop importante pour être laissée entre les mains d’une corporation. Ainsi, on règlera à court terme le problème permanent des urgences et de la pénurie de médecins de famille.Si ça bloque tant dans notre système, c’est en partie parce que les intérêts particuliers ou de groupe passent avant le bien commun. C’est très clair avec «la mafia des médecins», qui est le plus puissant des syndicats, toutes catégories confondues. Faut-il revoir les relations entre les médecins et les autres professionnels de la santé?Oui, et d’abord avec les infirmières. Il faut accroître les responsabilités de celles-ci afin de libérer les médecins pour qu’ils se concentrent sur la médecine. Le programme de formation en soins infirmiers sera modifié en conséquence. Les infirmières pourraient régler la majorité des problèmes, diminuant ainsi les temps d’attente interminables et parfois mortels, en clinique et à l’urgence. Les politiciens ne se moqueront plus de la population, comme l’actuel ministre de la Santé, Yves Bolduc, qui, pour réduire les délais d’opération parfois mortels, a eu la brillante idée de «songer» à publier le temps d’attente par médecin («Choisir un chirurgien à sa liste d’attente?», Le Devoir, 11 février 2011). Faut être imbécile ou nous prendre pour des innocents pour penser améliorer les délais d’opération en publiant une simple liste d’attente. Et les médicaments?Fini les millions de dollars en subventions publiques aux pharmaceutiques et aux entreprises de biotechnologie. Ce secteur est devenu carrément un bar ouvert, un panier percé, le Québec étant le champion pourvoyeur à ce chapitre en Amérique du Nord.On a créé la société d’État Pharma Québec pour effectuer et coordonner la R & D publique de nouveaux médicaments et le traitement de malades en partenariat avec nos universités, mais sans exclure le privé d’ici et d’autres pays comme le Brésil, la Chine, Cuba et l’Inde. Et le prix des médicaments?Il faut aligner nos prix sur ceux pratiqués en Europe, en Asie et en Amérique latine car ils représentent une part importante des coûts de notre système de santé. Ces coûts augmentent à un rythme affolant au Québec, et sans aucun contrôle de nos gouvernements (je dirais même que c'est avec leur complicité), afin de ne pas froisser les compagnies pharmaceutiques de médicaments d’origine et génériques transnationales. Croyez-moi, les prix vont baisser.Fort probable que les pharmaceutiques vont nous menacer de mettre fin à leur approvisionnement. Comme il s’agit d’un domaine d’intérêt primordial, libre-échange ou pas, le Québec fabriquera comme d’autres pays (Brésil, Inde, Cuba, Afrique du Sud) ses propres copies. Il y a une limite au chantage des compagnies transnationales et des gouvernements étrangers, surtout lorsqu’il s’agit de santé publique. Et le secteur privé?Les coûts de la santé privée ne seront d’aucune façon déductibles d’impôts et ne recevront aucune aide gouvernementale. Fini la santé et l’éducation qui n’ont de privé que le nom. Il ne peut y avoir de véritable démocratie si l’État n’assure pas à la population un accès universel à tous les services publics. Ceux qui veulent payer 975 $ par an pour des services médicaux privés à leurs enfants (La Presse, 7 janvier 2011), le feront entièrement à leurs frais, sans aucune déduction fiscale.Les problèmes de notre système public de santé sont réglables en prenant comme exemples plusieurs pays d’Europe et Cuba. Il s’agit d’une question de volonté politique, que les vieux partis n’ont jamais eue. Ils préfèrent satisfaire les besoins des médecins, des pharmaceutiques et des pachas par la création, encouragée par l’État, de soins privés financés massivement par les gouvernements.La santé privée n’est pas la solution, elle ne fait qu’accentuer la crise. Le privé merveilleux à la Philippe Couillard devait désengorger le système public. Ben oui! Comment financer tous ces services publics?Quelques mesures: abolir plusieurs abris fiscaux, couper les subventions aux entreprises et aux écoles privées (le Québec en est le champion canadien); resserrer l’évasion fiscale criminelle vers les paradis fiscaux et les transactions inter-compagnies; imposer une taxe sur les transactions à la Bourse; augmenter, comme aux États-Unis, le nombre de paliers d’imposition de 3 à 6 et réactiver, comme eux, les impôts successoraux. Il faudrait aussi accroître substantiellement les redevances sur nos ressources naturelles et nationaliser ces dernières, en tout ou en partie. Les milliards ainsi récupérés seront investis dans nos services publics en lambeaux.Comme vous voyez, je n’ai pas parlé de surtaxer qui que ce soit, pas même les compagnies et les riches. 1Dernières statistiques officielles du Programme des Nations Unies pour le développement.

«Les infirmières pourraient régler la majorité des problèmes» - Léo-Paul Lauzon

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