Les employeurs veulent conserver un droit de contrôle des absences de leurs employés

Les associations patronales et celle des assureurs privés considèrent que l’objectif du projet de loi 68 «visant principalement à réduire la charge administrative des médecins» est louable. «Nos membres partagent l’objectif du gouvernement», indique la division québécoise de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP Québec) en estimant que «l’allègement du fardeau administratif des médecins fait partie des solutions pour améliorer la performance du réseau de la santé». Le Conseil du patronat du Québec (CPQ) se dit lui «en accord avec les initiatives visant à libérer du temps pour les médecins afin qu’ils puissent se concentrer sur le soin des patients», tandis que la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) soutient l’adoption de ce projet loi qui amène «des changements positifs» pour «prioriser l’accessibilité» aux cliniciens.Cela dit, les trois organisations formulent de sérieuses réserves qu’elles ont présentées mardi et mercredi à la Commission de l’économie et du travail dans le cadre de ses consultations sur le projet de loi 68. L’ACCAP Québec juge ainsi que sa portée est «trop large» et qu’il «pourrait involontairement compromettre la viabilité à long terme des régimes d’assurance invalidité au Québec». Le CPQ et la FCEI redoutent pour leur part que les employeurs soient dépossédés du droit de gérer la présence de leurs employés au travail.Dans sa mouture actuelle, le projet de loi stipule qu’un «employeur ne peut demander (une attestation médicale) pour les trois premières périodes d’absence d’une durée de trois journées consécutives ou moins prises annuellement». «On pense (…) à la grippe, à la gastro, à un accident, à une violence conjugale, une violence à caractère sexuel, (…) ou pour prendre soin d’un enfant, d’un parent. (…) Ce sont des absences de courte durée», illustre le ministre du Travail, Jean Boulet.Pour le CPQ, cette disposition «s’apparente à l’octroi d’un congé personnel automatique sans obligation de justification, et dans bien des cas, totalement rémunéré par l’employeur. Plusieurs conventions collectives contiennent des clauses automatiques de terminaison administrative d’emploi après trois jours d’absence sans justification. Est-ce à dire que toutes ces clauses deviendront nulles et non avenues étant donné que l’employeur ne pourrait plus exiger de preuve d’absence pour une période de trois jours?» interroge le mémoire du regroupement qui représente les intérêts de 70 000 employeurs québécois. Les patrons trouvent normal qu’un employé ayant un mal de tête ne soit pas obligé d’obtenir une attestation médicale alors qu’il n’a pas décidé de consulter un médecin pour son problème de santé. Cependant, ils estiment essentiel qu’«un employé ayant un profil d’absences élevées et étant à la recherche de gains secondaires, qui a le malheur d’avoir eu toutes les maladies du monde, soit tenu d’aller faire constater son problème de santé par un médecin».Quatre semaines de congés en plus sans justificatifLe projet de loi prévoit également que les employeurs ne pourront plus demander d’attestation médicale à leurs salariés pour justifier leurs absences afin de s’occuper de leur enfant ou d’un membre de leur famille quand il est malade, une possibilité offerte 10 jours par an par la Loi sur les normes du travail. Ainsi, «l’employé pourra justifier de neuf jours d’absence (pour raison médicale) sans justification (…) et à ceci ajoutons dix jours d’absence pour obligation familiale sans être tenu de fournir une preuve médicale justifiant cette absence. Donc dix-neuf jours d’absence sans justification correspondent à l’octroi de quatre semaines de congés additionnels sans aucun droit de regard sur leur justification», calcule le CPQ qui, sous cet angle, juge que «le projet de loi fait payer indûment aux employeurs le coût d’un système de santé défaillant et dépourvu de ressources suffisantes». La FCEI comprend quant à elle «la volonté du législateur d’enlever une charge aux médecins pour les employeurs qui pourraient demander systématiquement des billets de médecin pour n’importe quelle absence», a témoigné mardi son vice-président pour le Québec, François Vincent, devant la Commission. Il souligne que cela ne concerne que 4% des petites entreprises au Québec. «La majorité des employeurs ne demandent jamais de certificat médical pour les courtes absences. En revanche, ils veulent conserver la possibilité d’en solliciter un quand ils soupçonnent des abus», intercède M. Vincent en soulignant qu’en l’état actuel, le projet de loi «enlève la possibilité à un employeur d’utiliser un outil dans le cas où il pense qu’un employé se sert d’un congé maladie à des fins de congé non autorisé».Lire aussi: Charge administrative des médecins: du mieux, mais trop peuEn réponse aux craintes formulées par le CPQ et la FCEI, le ministre Jean Boulet observe que «dans les milieux syndiqués, beaucoup de conventions collectives mentionnent qu’un billet du médecin n’est pas nécessaire pour les absences de quatre jours et moins». Le député de Trois-Rivières leur indique également que le projet de loi s’applique aux absences d’une durée de trois jours consécutifs ou moins, en insistant sur le moins. «Donc un employé qui prend trois fois un jour de congé pourra se faire demander un billet.» Une précision qui a rassuré François Vincent. «De la façon dont s’est rédigé, on croyait qu’un employé qui prend deux jours tous les trois mois, on ne pourrait pas utiliser le billet médical» pour justifier ses congés.«N’utilisez pas le médecin comme police»Conviée à témoigner dans la foulée du vice-président de la FCEI, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a recommandé que cette mesure soit étendue à une période de cinq jours. L’idée étant de s’aligner sur les autres provinces, notamment la Nouvelle-Écosse, mais aussi sur la science, signale son président le Dr Marc-André Amyot. «La majorité des conditions qui nécessitent des absences de trois à cinq jours, ce sont des conditions infectieuses telles que la grippe, l’influenza, la Covid ou la gastro. Et ça, non seulement ce n’est pas médicalement requis d’obtenir un certificat médical, mais c’est médicalement nuisible», explique-t-il en soulignant que le risque était d’exposer les salles d’attente des médecins à des infections.Invité par le ministre Boulet à réagir aux craintes de la FCEI, le Dr Amyot ne veut pas remettre en cause le droit de gestion des employeurs. «Mais s’il vous plaît, n’utilisez pas le médecin comme police pour justifier ou non le comportement des employés», plaide le médecin de famille en soulignant que ses pairs ont déjà de la difficulté à fournir des services médicalement requis. «N’en ajoutez pas des non médicalement requis.»Le président de la FMOQ a de plus pris le cas d’un patient qui viendrait le voir pour attestation parce qu’il a eu des diarrhées ou des vomissements. «Qui suis-je pour lui dire “je ne te crois pas”? Dans le cadre de la relation patient-médecin, je dois croire mon patient.»Lire aussi: La technologie pour s’extirper de la paperasse médicaleConserver l’accès aux médecinsPour des raisons différentes des employeurs, les assureurs veulent eux aussi «pouvoir continuer à exiger un rendez-vous médical ponctuel lorsque certains événements précis se produisent», indique le président du Mouvement Desjardins, Denis Dubois. Le membre du comité permanent de l’APPAC Québec énonce que «la collaboration entre le patient, le médecin, l’assureur et l’employeur est essentielle pour assurer la santé et le retour au travail des assurés».Si elles se disent prêtes à simplifier et numériser leurs formulaires, les compagnies d’assurance affirment néanmoins qu’«il n’est pas possible d’éliminer complètement les demandes d’information. En fait, il est indispensable que le libellé de l’orientation visant l’invalidité (dans le projet de loi 68) permette aux assureurs de continuer d’avoir accès à toutes les informations médicales nécessaires pour évaluer la situation de la personne assurée et gérer correctement les demandes de prestations d’invalidité», spécifie le mémoire de l’ACCAP Québec.En la matière, le projet de loi interdit aux compagnies d’assurance «d’exiger d’un assuré qu’il reçoive un service médical (pour) maintenir le versement de prestations d’invalidité». Il reviendrait alors au médecin de déterminer la fréquence et la pertinence des visites.L’ACCAP Québec dit comprendre que «l’intention du gouvernement est que la fréquence des suivis médicaux d’un patient soit établie uniquement par son médecin et non par un tiers» et elle adhère à cet objectif. Elle recommande d’ailleurs que le libellé de la future loi porte clairement sur l’interdiction d’imposer une fréquence de rendez-vous. «Cela enverrait un message clair que cette pratique est désormais interdite», souligne sa présidente, Lyne Duhaime. Cependant, les assureurs demandent aux législateurs «d’introduire un paragraphe qui reconnaît qu’un assureur peut, lors de certains moments clés, exiger qu’un rendez-vous médical ait lieu.» Ils citent par exemple le cas d’un assureur ou d’un employeur qui aurait des motifs raisonnables de croire que la condition médicale d’un assuré nécessite un suivi médical (adhérence au traitement, évaluation de la capacité à entreprendre un programme de réadaptation ou à retourner au travail) ou si la la couverture invalidité de la personne serait affectée en l’absence de suivi (passage en invalidité de longue durée au-delà de 24 mois).

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