Les défis de l'observance

Je me souviens du camionneur longue distance que j'ai vu, il y a peut-être 25 ans. Il avait 52 ans et souffrait d'hypertension. Son généraliste l'avait mis sous diurétique. Quand je l'ai vu, il a admis que son contrôle était mauvais – pour des raisons évidentes. Il ne prenait pas sa pilule à 1 cent tous les matins. «Je ne peux pas m'arrêter toutes les deux heures pour faire pipi, pouvez-vous trouver autre chose?» Dans son cas, Adalat XL 60mg a été son salut – et 135/85, sa moyenne de tension artérielle. Cela m'a fait réfléchir. Nous pensons tous que nous faisons un excellent travail pour (a) prescrire et (b) ajuster les médicaments. Mais les patients ne comprennent pas toujours leurs traitements, ou ne les suivent tout simplement pas. Il y a certains enjeux par rapport à la perception des effets secondaires (les bêtabloquants vous ralentissent), aux inquiétudes engendrées par les notices jointes aux médicaments (listant des effets secondaires sans incidence mais ne mentionnant aucun avantages), au coût (certaines pilules coûtent 3 $ par jour!) et aux comorbidités (si vous avez une hyperplasie bénigne de la prostate et une prostatite, vous ne réagirez pas bien à la prescription d'un diurétique). L'effet secondaire que je vois le plus souvent est un œdème de la cheville, lorsque la dose d'amlodipine est augmentée à 10 mg ou plus. Il ne s'agit pas d'un «effet secondaire», mais de la dilatation des artères de la partie inférieure des jambes, qui permet l'accumulation de liquide dans les tissus. Il ne s’agit pas non plus d'une insuffisance cardiaque. C'est un effet d’ordre esthétique, qui indique une dilatation réussie des vaisseaux. Il peut être contré par (a) une diminution de la dose, (b) une élévation des jambes (c) des bas de contention. Nous avions l'habitude de nous inquiéter de l'hypokaliémie provoquée par les diurétiques (rarement symptomatique), de la respiration sifflante et des extrémités froides provoquées par les bêtabloquants (souvent chez les fumeurs atteints de maladie périphérique artérielle), de la toux provoquée par les inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (oui, dans 20 % des cas) et des douleurs musculaires provoquées par les statines (10 %). Puis nous avons cessé de faire des dépistages réguliers, et la gestion est restée la même. Gardez l'esprit ouvert, utilisez des combinaisons et concentrez-vous sur les cibles de la pression artérielle moyenne à domicile. Parfois, votre seuil d'inquiétude est vraiment justifié, comme dans le cas de l'amiodarone (hypothyroïdie, neuropathie, toxicité pulmonaire, etc.). Et certaines complications rares apparaîtront quoi que vous fassiez (pancréatite avec les inhibiteurs des canaux calciques, par exemple). J'ai lu un article qui disait plus ou moins que si vous prescrivez à un diabétique 10 pilules (pour la glycémie, la pression, la dyslipidémie et l'athérosclérose), la 10e pilule sera souvent abandonnée – pour payer le loyer ou acheter le dîner. De nombreux patients âgés n'ont pas de couverture médicale étendue et dépensent l'héritage de leurs enfants en pilules. D'autres ont une vision et une ouïe défaillantes, une mauvaise mémoire et une compréhension limitée de la physiopathologie cardio-pulmonaire (sans surprise!). Et pourtant, nous leur prescrivons 10 médicaments (en plus de leurs suppléments) à consommer de manière systématique chaque jour. Si ce n'est pas de l'optimisme à son apogée... La tension artérielle est un bon exemple de la difficulté de faire respecter les conseils relatifs au mode de vie (les médecins n'ont pas vocation à faire la police). Dites à un fumeur de 66 ans, en surpoids, qui boit trois bières par jour, de réduire sa consommation de sel et d'anti-inflammatoires, de perdre 20 kilos – et de renoncer à ses addictions –, et vos chances de le convaincre de dépenser 3 dollars par jour pour une maladie asymptomatique sont nulles. «Bien sûr, un accident vasculaire cérébral ça semble terrible, mais ça n'arrive qu'aux autres, non? Et je n'ai que 66 ans. Je ne sais pas ce que signifie l'HVG, mes reins font leur travail, et je n'ai pas de maux de tête.» Cela revient à l'éducation, sur la santé et les maladies, dès l'école et tout au long de la vie. Et qu'en est-il de l'observance pour d'autres maladies, comme la ventilation en pression positive continue pour le syndrome d'apnée obstructive du sommeil, la consommation de glucides pour le diabète, l'exercice pour la claudication, les ajustements sociaux pour la dépendance, les anticoagulants pour la fibrillation auriculaire? La population est-elle confiante et comprend-elle que nous avons ses intérêts à cœur? La rétractation de la profession médicale au début de la pandémie de COVID-19 a érodé la confiance, et ce qui aurait dû être une pratique universelle (la vaccination) a été difficile à faire accepter. Les humains ne sont pas nés pour suivre des règles. Ils ont évolué en apprenant à faire face à l'adversité, qu'il s'agisse de la famine ou de la guerre, d’une éviction ou du chômage. À l'époque romaine, l'obésité était un signe de réussite. Il y a quelques décennies, la publicité disait aux patients que les cigarettes conféraient un statut et du bien-être. L'alcool, substance génératrice de taxes, est devenu un sédatif socialement acceptable. L'omniprésence des transports signifie que l'exercice physique est devenu un choix, plutôt qu’une obligation. Et les médecins disposent d'un temps limité pour un nombre restreint de problèmes, ce qui constitue un énorme désavantage lorsqu'il faut éduquer les patients sur le mode de vie. J'aimerais que «Santé et maladies» devienne l'un des principaux cours enseignés dans chaque école, chaque université. Une série obligatoire de conférences et d'examens, pas nécessairement complexes, mais axés sur la façon de surmonter les défis à chaque étape de la vie, de la toxicomanie à la dépression, de l'obésité à la paresse. Et quelque part là-dedans, des cours sur les maladies dégénératives, comme l'hypertension, le diabète, l'infarctus et les accidents vasculaires cérébraux. C'est quelque chose que nous, médecins, essayons d'enseigner, mais de manière post-hoc.

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