Les allergies à la pénicilline sont surdiagnostiquées

Environ 10% de la population est étiquetée allergique à la pénicilline. Cette prévalence serait en réalité 100 fois moins élevée. La conséquence de ce grand écart: les médecins se privent de prescrire cet antibiotique à ces patients-là alors que son efficacité est avérée, et élevée, pour nombre d’infections respiratoires et sanguines. Face à cet enjeu de santé publique, une équipe du Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval propose une nouvelle approche «fiable, sécuritaire et moins coûteuse» pour identifier les patients véritablement allergiques à la pénicilline.Les directives actuelles recommandent de diagnostiquer l’allergie à la pénicilline à l’aide d’un test cutané par piqûre intradermique, complété ensuite par une provocation orale graduée, répartie sur au moins deux doses. Dans une étude publiée dernièrement par le Journal of Allergy and Clinical Immunology, les chercheurs québécois démontrent qu'un test par provocation orale seul s'avère nécessaire dans la plupart des cas. «C’est l'étalon d'or pour déterminer si l'antibiotique est bien toléré», indique le Dr Jean-Philippe Drolet, pédiatre allergologue-immunologue au CHU de Québec – Université Laval.L’étude qu’il a dirigée portait sur une cohorte de 1002 adultes qui ont consulté un allergologue entre octobre 2018 et janvier 2023 pour une évaluation d’allergie à la pénicilline. Leur âge médian était de 39 ans; 72,5% étaient des femmes. Moins du tiers d’entre eux (28,5%) ont autodéclaré une allergie à la pénicilline, et 14,8% se sont dit allergiques à un autre médicament. Les personnes ayant subi une anaphylaxie à la pénicilline au cours des cinq dernières années ou une réaction tardive sévère ont été exclues, de même que celles présentant une comorbidité cardiorespiratoire importante.Les participants ont tous été soumis à un test cutané et à un test de provocation orale. Au final, «3% des sujets, soit 28 personnes, ont réagi au test cutané. Une seule d'entre elles a eu une réaction lors du test de provocation orale. La valeur prédictive des tests cutanés pour dépister la présence d'une allergie à la pénicilline est de 3,6%. C'est très faible», souligne le Dr Drolet. Par ailleurs, aucun patient n'a eu de réaction sévère au test de provocation orale et 1% (10 personnes) ont eu une réaction légère.L’idée que la pénicilline, ou ses dérivés comme l’amoxicilline, provoque des allergies reste malgré tout bien ancrée dans la culture médicale. «La situation épidémiologique a bien changé depuis les années 1960 et 1970», note pourtant le pédiatre allergologue-immunologue. «L’antibiotique était alors fabriqué de façon plus artisanale, avec de gros amas de molécules allergisantes. Les protocoles des tests cutanés ont été validés dans ce contexte et à l’époque, ils étaient relativement fiables. Aujourd’hui, les pénicillines sont d’origine synthétique. Elles sont très purifiées et très stables», signale-t-il, en affirmant que «des nouvelles allergies à la pénicilline, on n’en voit presque plus depuis 20 ans». Lire aussi: Antibiotiques: ces allergies chez les enfants qui n'en sont pas réellementAssociations erronées de réactions cutanéesMalgré cette évolution, le dossier médical d’un patient sur dix porte une mention d’allergie à la pénicilline. «Lorsqu’une personne présente une réaction cutanée en pharmacie, aux urgences ou en cabinet, on la déclare allergique, car cette réaction est spontanément associée à l'antibiotique, alors qu'elle est souvent causée par l'infection elle-même ou qu’elle peut être la conséquence d’effets secondaires», explique le Dr Drolet. De plus, les véritables allergies à la pénicilline disparaissent généralement d’elles-mêmes dans les années qui suivent l'événement initial. Cette étiquette amène néanmoins les médecins à prescrire des antibiotiques à large spectre qui «génèrent plus de résistance et d’effets secondaires», observe le clinicien en ajoutant que ces patients dits allergiques, mais qui ne le sont pas, ont des taux de complication et de mortalité plus élevé en cas d’hospitalisation.Forts des résultats de leur étude, les chercheurs du CHU Québec - Université Laval préconisent que seuls les patients ayant eu une anaphylaxie à la pénicilline dans les cinq années précédentes passent un test cutané. Tous les autres peuvent se contenter d’un test de provocation orale. Au-delà de la réalité clinique, il s’agit d’une question d’efficience et de pertinences des actes médicaux, estime le Dr Drolet. Ce dernier mentionne par ailleurs qu’un test cutané prend du temps et qu'il coûte quelque 200 dollars - sans compter les salaires des professionnels de la santé qui les préparent et les administrent - en plus d'identifier des personnes allergiques alors qu'elles ne le sont pas. «C’est d’autant plus valable d’éliminer ces tests qui n’ont pas de valeur ajoutée pour la très grande majorité des patients», insiste-t-il, en indiquant que cette approche est adoptée depuis un an pour les milliers de tests d'allergie à la pénicilline effectués chaque année au CHU de Québec – Université Laval.

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