Les 40 ans de la Charte de la langue française: le droit d’être soigné en français pas encore acquis

Délais déraisonnables de traduction, professionnels unilingues anglophones et dossiers patients rédigés uniquement en anglais : dans certains établissements du système public québécois, la vie semble se dérouler comme avant 1977.Au Québec, la Charte de la langue française reconnaît, depuis quatre décennies, aux citoyens le droit d’être servi en français, et ce, dans l’ensemble du réseau public de santé. « Toute personne a le droit que communiquent en français avec elle les services de santé et les services sociaux », précise par écrit le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), peu importe l’établissement que fréquente le citoyen.Il s’agit d’une obligation institutionnelle à laquelle doivent se soumettre tous les établissements de santé québécois, qu’ils desservent des clientèles principalement francophones ou anglophones.Pourtant, encore aujourd’hui, des patients francophones sont lésés malgré tout dans leur droit d’être soignée en français. Dossiers médicaux, prescriptions et résultats uniquement en anglais, professionnels incapables de s’exprimer en français aux patients francophones font partie des plaintes les plus courantes.« À certains endroits, il y a des résidents en médecine qui ne parlent pas du tout français », déplore l’avocat en droit médical et chroniqueur à Profession Santé Jean-Pierre Ménard.En 2016-2017, 44 plaintes ont été déposées auprès des commissaires et des médecins examinateurs des organisations où le régime d’examen de plaintes s’applique, c’est-à-dire autant dans les secteurs public que privé. « Toutes ces plaintes, sauf une, provenaient de la région de Montréal », informe la porte-parole du MSSS, Marie-Claude Lacasse.« L’application est très inégale », fait valoir Me Jean-Pierre-Ménard. On s’aperçoit qu’il est parfois difficile pour les francophones d’avoir des services complets dans leur langue maternelle.Le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) est souvent montré du doigt quant à l’insatisfaction liée à l’utilisation de la langue française, selon Me Ménard.Ce que dit la Charte de la langue française:Dans les services de santé et les services sociaux, les pièces versées aux dossiers cliniques sont rédigées en français ou en anglais à la convenance du rédacteur. Toutefois, il est loisible à chaque service de santé ou service social d’imposer que ces pièces soient rédigées uniquement en français. Les résumés des dossiers cliniques doivent être fournis en français à la demande de toute personne autorisée à les obtenir.Ce que dit la Loi sur les services de santé et les services sociaux: Toute personne d’expression anglaise a le droit de recevoir en langue anglaise des services de santé et des services sociaux, compte tenu de l’organisation et des ressources humaines, matérielles et financières des établissements qui dispensent ces services et dans la mesure où le prévoit un programme d’accès visé à l’article 348.Pourtant, depuis 1977, la Charte de la langue française est claire à cet égard : « Dans les services de santé et les services sociaux, les pièces versées aux dossiers cliniques sont rédigées en français ou en anglais à la convenance du rédacteur. Toutefois, il est loisible à chaque service de santé ou service social d’imposer que ces pièces soient rédigées uniquement en français. Les résumés des dossiers cliniques doivent être fournis en français à la demande de toute personne autorisée à les obtenir. »En d’autres mots, rien n’interdit aux professionnels de langue anglaise de travailler dans leur langue.Par contre, les établissements ont le devoir de faire traduire leur documentation aux bénéfices des patients francophones.Le français, pas une priorité Pour la porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé et d’accessibilité aux soins. Diane Lamarre, il est important de réaffirmer ce droit des patients.La porte-parole du Parti québécois en matière de santé et d’accessibilité aux soins, Diane Lamarre, estime que les coupes budgétaires imposées par le ministère de la Santé et des Services sociaux depuis trois ans pourraient avoir poussé certains établissements à négliger les services en français pour les patients francophones. Bon nombre doivent, pour des raisons médicales ou géographiques, fréquenter des établissements anglophones, comme le Jewish General Hospital ou McGill University Health Center, chefs de file mondiaux pour le traitement de certaines maladies.« Les services de traduction semblent avoir passé dans la moulinette, ce qui fait en sorte que l’accès à des résultats en français est retardé. Il faut éviter cela », soutient la député, qui déplore que les patients francophones soient pénalisés puisqu’ils demandent à recevoir des explications dans leur langue maternelle.Le service des communications du CUSM, assure pour sa part que « les membres du personnel se font toujours un devoir de s’adresser aux patients dans la langue officielle de leur choix » et que s’ils sont incapables de le faire, ils trouveront une personne en mesure de communiquer l’information.« Assurer la qualité et la sécurité des soins »Pourquoi est-il important de recevoir des services dans sa langue maternelle? Le président-directeur général de l’Hôpital Montfort, dans la région d’Ottawa, Dr Bernard Leduc répond spontanément que lorsqu’une personne est malade, elle n’est pas bilingue.« Plusieurs personnes sont fonctionnelles dans une conversation, pour les besoins du quotidien, mais quand il vient le temps d’exprimer des sentiments, d’apporter des nuances ou encore d’identifier des symptômes, ça devient un problème », explique-t-il.Selon Bernard Leduc, des études américaines démontrent que « la durée de séjours à l’hôpital est prolongée, les réadmissions plus nombreuses et le recours à des tests plus fréquent » chez les patients qui ne sont pas servis dans leur langue maternelle, et ce, vis-à-vis les patients dont ce droit serait respecté.Là où le bât blesse, c’est du côté du consentement éclairé. « Quand le médecin divulgue des informations au patient, il faut que le médecin et le patient soient capables de se comprendre. Toutefois, lorsqu’il n’est pas en mesure de lui parler dans sa langue maternelle, ça pose problème », s’insurge Me Ménard.Exprimer ses besoins Il faut rehausser la barre et exiger plus de services en français.– Jean-Pierre Ménard, avocat en droit médicalLa solution à ce problème : s’exprimer haut et fort. « Il faut rehausser la barre et exiger plus de services en français », soutient Me Jean-Pierre Ménard. De plus, il est important que les patients dont les droits ont été brimés portent plainte afin que la situation soit corrigée.Pour Me Ménard, le faible nombre de plaintes souligne la complexité du processus de plaintes, qui compte de trop longs délais. « Ce sont des recours qui sont peu pratiques pour les citoyens. Les gens veulent avoir des services en français dans l’immédiat et les plaintes comptent un délai de 45 jours. Si on se tourne vers l’Office de la langue français, cela peut prendre des années », affirme-t-il.La place de l’anglaisDès la création de la Charte de langue française, les droits fondamentaux de la communauté anglophone avaient été reconnus en matière de santé. Notamment, l’article 15 de la Loi sur les services de santé et services sociaux dit que « toute personne d’expression anglaise a le droit de recevoir en langue anglaise des services de santé et des services sociaux. »Ce droit n’est toutefois pas généralisé à l’ensemble du réseau public de la santé, et ce, en raison de la fluctuation des ressources humaines, matérielles et financières dans les établissements. Seuls les établissements et installations désignés par le gouvernement, une soixantaine au public et une dizaine au privé, sont tenus d’offrir tous leurs services en anglais.Tous les autres établissements sont toutefois tenus d’élaborer des plans de services en anglais, plans qui doivent être révisés aux trois ans.Diane Lamarre reconnait qu’il est important que la minorité anglophone puisse elle aussi recevoir des soins dans sa langue maternelle. Mais alors que les services de traduction de l’anglais vers le français semblent souffrir de coupures budgétaires, elle fait remarquer que des efforts importants ont été faits pour accroître l’accès aux services en anglais au Québec.Ainsi, Santé Canada a accordé 45 M $ au ministère de la Santé et des Services sociaux, entre 2008 et 2013, afin d’améliorer la situation. De ce montant, 23 M $ ont été remis à l’Université McGill pour son projet de formation et de maintien en postes des professionnels de la santé anglophones.Elle conclut en disant que le Québec doit toutefois rester vigilant et ne pas négliger le français pour augmenter l’offre anglophone. « Au Québec, ce n’est pas un bilinguisme que l’on doit mettre de l’avant, mais d’abord une offre de service assurée en français dans tous les établissements », plaide-t-elle.

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