Le temps est venu d'utiliser l'échographie pour installer une jugulaire interne à l'urgence

Le Dr Claude Topping Claude.topping@mfa.ulaval.ca Urgence RÉSUMÉ Objectif Déterminer si l’utilisation de l’échographie au département d’urgence pour guider par vision directe l’insertion d’un cathéter dans la veine jugulaire interne peut être utile pour améliorer le taux de succès, diminuer le nombre d’essais, le temps d’intervention et les complications, en la comparant à la technique classique des points de repère anatomiques. Conception Essai clinique randomisé. Contexte Une salle d’urgence d’un hôpital tertiaire d’enseignement. Treize praticiens ont assisté à une séance éducative de deux heures pour apprendre la nouvelle technique et réviser la méthode traditionnelle. Cinq médecins ont été considérés comme expérimentés dans cette dernière, car ils l’avaient déjà effectuée au moins 25 fois. Participants Un échantillon de 130 patients adultes vus non consécutivement entre août 2003 et mai 2005, pour lesquels le médecin décidait de la nécessité d’une voie centrale par la veine jugulaire en fonction de ses propres critères cliniques. Interventions Les patients étaient randomisés à l’une ou l’autre des techniques d’intervention, soit la méthode traditionnelle des repères anatomiques, soit la technique d’insertion de cathéter par vision directe échographique avec un appareil Sonosite 180. Après trois essais infructueux, le médecin devait essayer l’autre méthode à trois reprises. Le patient et le médecin apprenaient à quel groupe ils appartenaient seulement après l’ouverture d’une enveloppe opaque numérotée. Principales mesures des résultats La mesure principale des résultats était définie comme le taux de succès de l’insertion d’un cathéter central dans la veine jugulaire interne. Le nombre d’essais, le laps de temps jusqu’à l’obtention d’un retour sanguin et la durée totale jusqu’à ce que le soluté s’écoule(le temps de préparation de l’appareil d’échographie n’était pas compté)ainsi que les complications étaient également évalués. Résultats Les deux groupes comprenaient chacun 65 patients. Le groupe de patients chez qui l’insertion du cathéter se faisait par guidage échographique incluait plus de patients obèses, avec anomalies de la coagulation, et de patients intubés et hypotendus. L’insertion d’un cathéter central a été un succès chez 93, 9 % des patients par guidage échographique et chez 78,5 % des patients de la technique traditionnelle. Une différence significative entre les deux groupes, en faveur du guidage échographique, était observée pour le taux de succès global(15,4 %, p = 0,009; IC à 95 % : 3,8 % à 27 %)et le taux de complications(16,9 % vs 4,6 %, -12,3 %, IC à 95 % : -1,9 % à -22,8 %). Le nombre d’essais, le laps de temps du retour veineux et le temps de perfusion étaient moindres lors du guidage échographique, mais ces différences n’étaient pas significatives sur le plan statistique. Conclusion La méthode de l’échographie à l’urgence augmente significativement le taux de succès global et diminue les complications. La technique devrait devenir un standard de soins à l’urgence, si un appareil est disponible. COMMENTAIRE Pertinence de l’étude Devrais-je utiliser l’échographie pour installer un cathéter central dans une veine jugulaire interne ? L’utilisation de l’échographie pour guider la technique de canulation d’une veine centrale est déjà démontrée comme étant efficace et sécuritaire lorsque employée à la salle d’opération ou aux unités de soins intensifs. Mais qu’en est-il à l’urgence ? Vaut-il la peine que j’apprenne cette technique, si je travaille à l’urgence ? Il y a peu d’études sur ce sujet au département d’urgence. Leung et ses confrères nous présentent leurs résultats de la première étude randomisée sur l’installation d’un cathéter intraveineux central spécifiquement sur la veine jugulaire interne, par vision directe à l’aide d’un appareil d’échographie, comparée à la méthode classique des points de repère, au département d’urgence. Ils ont étudié le taux de succès, les complications et le temps d’exécution. Cette technique améliore significativement le taux de succès d’insertion et diminue les complications. Importance des résultats Cette étude suggère que même des médecins inexpérimentés peuvent acquérir cette compétence avec un meilleur taux de succès(NPT pour un succès supplémentaire = 6)et moins de complications(NPT pour éviter une complication supplémentaire = 8)après une courte séance d’apprentissage. Les résultats sont d’autant plus éloquents que le groupe échographie semble présenter des caractéristiques cliniques impliquant une plus grande difficulté technique. La durée de la technique a été rallongée de quelques secondes. Critique de la méthodologie Voici un essai clinique dont la randomisation a été déterminée par un ordinateur et qui respecte les principaux critères d’un essai clinique de bonne qualité. La mise en parallèle avec la méthode traditionnelle constitue un bon point de comparaison, car c’est la technique la plus utilisée. Par contre, le biais lié au fait que la cohorte de patients n’était pas vue de façon consécutive ne peut être totalement ignoré. Comme pour toutes les procédures, on ne peut pas cacher l’appartenance au groupe assigné. Par contre, les auteurs se sont assurés de limiter ce biais en s’assurant que le patient était inclus dans l’étude avant le processus de randomisation. Mise en perspective des résultats selon l’état des connaissances En 2001, l’Agency for Healthcare Research and Quality américaine publiait 11 recommandations pour augmenter la qualité des soins aux patients, après une étude extensive des évidences scientifiques dans la documentation sur de nombreux sujets1. L’utilisation de l’échographie pour guider l’insertion d’un cathéter dans une veine centrale était l’une de celles-ci. De même, le National Institute for Health and Clinical Excellence d’Angleterre recommandait déjà en septembre 2002 cette technique dans des situations électives2 et suggérait qu’elle devait être prise en considération en situation d’urgence. Cette étude vient donc confirmer de façon scientifique la supériorité de cette nouvelle habileté qui devrait être utilisée chaque fois qu’un accès à une veine centrale est nécessaire. Références 1. Making Health Care Safer : A Critical Analysis of Patient Safety Practices. Evidence Report/Technology Assessment no 43. AHRQ Publication no 01-E058, juillet 2001. Agency for Healthcare Research and Quality, Rockville, MD. 2. National Institute for Health and Clinical Excellence. Technology Appraisal Guidance no 49 : Guidance on the use of ultrasound locating devices for placing central venous catheters. www.nice.org.uk. Déclaration d’intérêts Je suis membre de la Société canadienne d’échographie au département d’urgence et donne des cours d’échographie au département d’urgence sous ses auspices.

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