Le Paxlovid peut-il être prescrit à tous les patients?

Pas moins de 19 classes de médicaments, incluant 37 molécules différentes, sont contre-indiquées avec la prise de Paxlovid. S’y ajoutent quelque 120 autres médicaments pour lesquels Santé Canada a émis des mises en garde à l’issue du processus d’approbation du traitement antiviral de Pfizer contre la COVID-19. De prime abord, cette longue liste peut paraître impressionnante, voire rédhibitoire, mais elle ne surprend pas du tout les médecins et pharmaciens consultés par ProfessionSanté.ca. Le Paxlovid combine en effet deux médicaments, le nirmatrelvir et le ritonavir, pour empêcher le SRAS-CoV-2 de se répliquer une fois qu’il a infecté un patient. Or c’est le ritonavir, un agent antirétroviral de la catégorie des inhibiteurs de la protéase - utilisé depuis deux décennies dans les thérapies contre le VIH - qui produit de multiples interactions. «Dans certains cas, assez rares, le ritonavir peut agir comme un inducteur du métabolisme qui réduit l’efficacité des traitements associés. D’ordinaire, il agit plutôt comme un inhibiteur empêchant l’élimination des autres médicaments administrés, qui s'accumulent en exposant le patient à des risques de complications», explique le pharmacien Benoit Lemire. Ce dernier officie au Centre universitaire de santé McGill et s’intéresse au traitement du VIH depuis 20 ans, donc au ritonavir par la force des choses. «C’est assez courant de gérer ses interactions, alors on est habitués à composer avec», ajoute-t-il. À lire aussi : Paxlovid approuvé par Santé Canada: des questions subsistent 90% des patients admissibles Sa consoeur Nancy Sheenan, qui pratique dans le même hôpital au sein du Services des maladies virales chroniques, convient elle aussi que le ritonavir «se gère assez facilement. Ses interférences sont répertoriées et on peut les contourner. Ce ne sera pas un obstacle pour le Paxlovid», assure-t-elle. La pharmacienne indique à cet effet qu’elle a participé au début de la pandémie à une étude CATCO sur un autre traitement contre la COVID-19, le Kaletra, qui s’est finalement avéré inefficace. «Il combinait du lopinavir et du ritonavir. On a examiné ses interactions et les données montraient qu’elles seraient sévères pour 10% des patients. Autrement dit, il pouvait être administré à 90% des patients, moyennant des ajustements et des suivis. Ce sera pareil avec le Paxlovid», estime celle qui contribue également au Programme provincial de dosage des médicaments antirétroviraux qui offre la pharmacométrie clinique à toutes les personnes vivant avec le VIH au Québec. À lire aussi: Paxlovid: la longue liste des médicaments contre-indiqués Comme pour tout traitement thérapeutique, les prescripteurs devront prendre le temps de s’enquérir de tous les médicaments - d’ordonnance et en vente libre - pris par le patient, ainsi que des produits naturels qu’il consomme. Puis, ils vont devoir s’ajuster en conséquence. «Chaque cas est unique, mais pour certaines interactions, comme celles en lien avec les anticoagulants, c’est assez facile de substituer le médicament par un autre», signale l’omnipraticien Marc Steben, dont la patientèle se compose de patients atteints du VIH. «Pour les traitements à long terme de maladies comme l’hypertension, le diabète ou le cholestérol, ce n’est pas dramatique non plus de les suspendre durant les cinq jours de prise du Paxlovid», considère Benoit Lemire de son côté. En revanche, «ce sera un casse-tête pour les patients dont on ne peut pas arrêter la médication temporairement, comme ceux souffrant de tuberculose, du sida, d’épilepsie ou d’hépatite C. Heureusement, ces patients-là ne sont pas très nombreux», souligne le pharmacien. L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a d’ailleurs précisé ce mardi que les personnes souffrant d’insuffisance rénale sévère, d’une maladie hépatique ou du VIH, ainsi que les femmes enceintes ne pourront pas recevoir le Paxlovid. Gare au fentanyl Si la gestion des interactions, en général, ne le soucie guère - «c’est business as usual» -, le Dr Marc Steben s’attend à de «drôles de surprises avec les drogues récréationnelles», notamment avec le fentanyl qui, sous l’effet du ritonavir, peut très vite devenir mortel. «Il va falloir surveiller ça très attentivement», selon le médecin de famille. Benoit Lemire nourrit quant à lui une autre inquiétude: «Que la population ne bénéficie pas du Paxlovid par manque d’information des médecins. Il ne faudrait pas qu’ils interprètent la monographie à lettre», prévient-il en espérant que les pharmaciens seront impliqués dans la prescription. «La gestion des interactions, c'est plus notre spécialité que la leur.»

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