Le médecin du futur

Quelle que soit l'époque à laquelle on imagine une clinique médicale, il me semble que l'on aura toujours le besoin d'avoir un médecin derrière tout cela. Quelqu'un qui montre son visage au patient, quelqu'un qui l'évalue physiquement, quelqu'un qui veille à ce que l'art de la médecine ne soit pas complètement perdu au profit d'un algorithme. Quand je pense à l'aspect le plus gratifiant de mon travail, c'est toujours dans les moments où je peux établir un lien personnel et émotionnel avec un patient. Malheureusement, alors que la demande de médecins continue d'augmenter et que de nouvelles technologies, des capacités de l'IA et de superbes avancées cliniques sont introduites pour rendre les cliniques plus efficaces, je crains que l'accent mis sur l'aspect humain de la médecine ne soit relégué à l'arrière-plan de nos esprits.Je n'ai pas souvent l'occasion de connaître mes patients au-delà de leurs problèmes de fertilité. Il est intéressant de noter que ce sont généralement les patients dont la situation est la plus délicate, difficile et souvent déchirante que j'apprends à connaître le mieux. Bien que nos rendez-vous de suivi soient remplis de déception et de frustration face à un nouvel échec ou à une prochaine étape incertaine, les détails de ces rendez-vous comprennent des émotions difficiles, de la vulnérabilité, de la compassion et un partage de nous-mêmes qui va au-delà de la portée de leur infertilité. C'est avec ces patients que l'on peut vraiment faire l'expérience de l'honneur et de la récompense que représente le fait d'être le médecin de quelqu'un.Alex (nom fictif) n'était pas ma patiente, mais il se trouve que j'étais de garde chaque fois qu'elle venait en clinique. Je l'aimais bien et, en apprenant à mieux la connaître, j'ai eu la conviction que si nous nous étions rencontrées dans d'autres circonstances, nous aurions pu devenir des amies. Une fois, au début de son parcours dans notre clinique, elle m'a même dit qu'elle m'admirait parce que j'étais si jeune, si accomplie, si gentille, que j'avais trois enfants et que j'avais manifestement le temps de faire de l'exercice. Je me souviens d'avoir essayé de me sentir flattée et de m'être entendue dire: «Si vous saviez ce qui se passe vraiment dans ma vie, vous ne penseriez pas cela.»Ce jour-là, près d'un an après avoir commencé à nous voir, elle venait passer un examen obstétrique précoce pour confirmer la localisation et la viabilité d'une grossesse qu'elle avait obtenue après des mois d'échecs de transferts d'embryons et de fausses couches. Je savais – nous savions tous – que ce rendez-vous ne serait pas facile pour elle. J'avais de l’empathie pour elle, profondément. Je m'inquiétais aussi pour moi-même, me disant que le scanner devait être bon parce qu'elle le méritait tellement, mais aussi parce que je ne pensais pas avoir la réserve d’énergie mentale et émotionnelle nécessaire pour lui annoncer une mauvaise nouvelle et m'asseoir à ses côtés dans un tel moment.Alex s'est présentée ce matin-là avec sa mère, alors qu'elle vient habituellement seule. Dès qu'elle est entrée dans la clinique, elle s'est effondrée, comme si elle était capable d'ignorer la réalité tant qu'elle était à l'extérieur des murs de la clinique de fertilité. Dans son anxiété paniquée, nous l'avons amenée dans la salle d'échographie et, avant de s'asseoir sur le lit, elle m'a dit: «Je sais que ça va mal se passer. Je sais que je ne suis pas enceinte.»Sa mère a essayé de la réconforter, de la rassurer en lui disant qu'elle pouvait se tromper et d'attendre que le médecin fasse l'échographie. Mais Alex s'est installée sur le lit, a ouvert les jambes et a orienté sa tête vers le plafond, incapable de regarder l'écran devant elle. Il ne me faut pas plus de quelques secondes pour savoir si un début de grossesse se présente comme prévu. Ce n'est que quelques secondes plus tard que mon cœur a réagi aux images et a commencé à traiter les émotions liées à la façon dont je vais gérer les prochaines étapes. J'ai retiré la sonde d'échographie sans dire un mot et Alex a lentement laissé ses jambes se refermer tandis qu'elle se recroquevillait sur elle-même et pleurait.J'ai touché ses pieds nus, que j'ai guidé pour les sortir des étriers, avant de l'inviter à s'assoir à mes côtés. Sa mère a commencé à me poser des questions, notamment sur la manière dont je pouvais savoir en si peu de temps, sur la manière dont je pouvais en être sûre, et sur le fait que je ne pensais pas que je devais regarder à nouveau pour être encore plus sûre. Je lui ai dit que lorsqu'Alex serait prête, je répondrais à toutes ces questions.Quand elle a été prête, elle m'a donné la permission de regarder à nouveau et cette fois, elle regardait l'écran avec moi. J'ai effectué l'échographie correctement cette fois-ci, en cochant toutes les cases de la liste de contrôle de l'échographie de début de grossesse, en prenant les mesures appropriées et en formulant les mots pour la suite de la conversation. Lorsque j'ai eu terminé, elle m'a demandé: «Que dois-je faire ensuite? Dre Mills, j'ai besoin que vous soyez honnête avec moi.»À lire aussi: Lorsque le pire survientDans ces moments-là, il est facile de revenir à la sécurité et au confort du monde clinique de la médecine. Je me réfère souvent (à juste titre) aux lignes directrices pour le diagnostic d'un début de grossesse non viable et j'explique que dans presque toutes les situations, il est préférable de répéter l'échographie dans une semaine pour être sûr à 100%. J'ai commencé à expliquer à Alex cette même approche sûre, clinique et logique de sa situation. Mais elle m'a interrompu.«Dre Mills, je ne veux pas entendre parler des directives ou des recommandations. Je veux entendre ce que vous pensez être la vérité, sur la base de vos connaissances, de votre expérience et de votre honnêteté. Je sais que vous allez me dire de revenir dans une semaine pour être sûre. Mais j'en suis déjà sûre, et j'ai besoin de savoir si vous l'êtes aussi.»«Alex, ai-je entamé. Je ne peux jamais prétendre être certaine à 100% de ce genre de choses. Je peux te dire qu'en me basant sur tout ce que je sais de cette situation, je ne suis pas optimiste sur le fait qu'attendre une semaine changera quoi que ce soit. Bien que je ne peux pas vous dire quoi faire, je vous soutiendrai dans tout ce dont vous avez besoin en ce moment.» La mère d'Alex m'a interrompu pour me demander comment je pouvais lui ôter tout espoir de voir cette grossesse aboutir, et j'ai répondu que sa fille ne m'avait pas demandé de l'espoir – elle m'avait demandé de l'honnêteté, et c'est ce que je lui donnais.Je n'ai plus jamais revu Alex à la clinique après ce jour. Cela fait maintenant plusieurs mois et je ne fais plus partie de son équipe médicale. Comme nous vivons dans une petite communauté et que nous avons le même âge et la même situation socio-économique, je l'ai rencontrée par hasard dans un cadre non clinique. Je l'ai contactée en privé à ce moment-là et je lui ai fait savoir que je pensais souvent à elle. Nous avons discuté de la vie et elle m'a parlé de sa pause en matière de fertilité et de sa décision de prendre du recul pendant un certain temps. Je lui ai dit qu'elle m'inspirait, que j'aurais aimé la connaître dans d'autres circonstances et que j'aimerais rester en contact avec elle si elle se sentait à l'aise.Le choc sur son visage a rapidement été remplacé par de la gratitude, lorsqu'elle a dit: «J'étais une véritable épave quand t’ai vue. Je ne sais pas comment tout cela peut t’inspirer ou comment tu peux encore vouloir être mon amie en sachant qui je suis vraiment.»«Alex, tu es une source d'inspiration pour moi en raison de ton humanité – j'ai pu voir les meilleures et les pires parties de toi, et ensemble, elles font de toi une personne remarquable.»En lui disant ces mots, je me suis souvenu de ma réaction lorsqu'elle m'avait dit être inspirée par moi et j'ai réalisé que je ne me définissais pas seulement par ce que les gens voient à l'extérieur, mais aussi par les aspects qui font de moi un être humain. Et c'est cet aspect du métier de médecin qui fait que cela en vaut la peine à chaque fois.Si l'avenir de la médecine est riche en nouvelles technologies, en avancées scientifiques et en intégration de l'IA pour nous aider à devenir plus efficaces et à offrir de meilleurs soins cliniques, je n'ai pas encore vu d'avancée technologique capable de remplacer adéquatement l'aspect humain de la médecine. J'accueille favorablement les technologies destinées à faciliter notre vie de médecin afin que nous puissions être moins épuisés tout en continuant à offrir d'excellents soins aux patients. Toutefois, nous devons nous garder de confondre «excellents soins aux patients» et «offres technologiques». Nous ne pouvons pas oublier que la clinique du futur aura toujours besoin d'un médecin humain qui, grâce à son soutien technologique, pourra mieux s'asseoir avec les patients dans leur humanité.

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