«Le gouvernement oublie parfois que les résidents sont aussi des apprenants» - Dr Ghassen Soufi

Le Dr Ghassen Soufi vient de quitter la présidence de la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ). Un poste qu’il a occupé du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025 en même temps qu’il accomplissait sa cinquième et dernière année de résidence en psychiatrie à l’Université McGill.Entre les négociations tendues de l’entente collective des résidents, qui est échue depuis mars 2021, l’adoption du projet de loi 83 qui contraint les jeunes médecins à pratiquer au Québec et dans le réseau public en début de carrière ou le dépôt du projet de loi 106 qui tend à réformer le mode de rémunération des médecins en y associant des mesures de performance, l’année écoulée n’a pas manqué de sujets de controverses et de tractations.Profession Santé en dresse le bilan avec le Dr Soufi au cours d’une entrevue qu’il nous a accordée en visioconférence depuis le Missouri, où il faisait étape sur la route qui le menait en voiture à l’Université Stanford, au sud de San Francisco, pour y débuter son fellowship en médecine des toxicomanies. À titre personnel, quel bilan dressez-vous de votre année passée à la présidence de la FMRQ? Que retiendrez-vous de cette expérience?Je pense que ça a été une expérience extrêmement enrichissante. Travailler dans le milieu syndical, au contact du monde académique, ça permet d’ouvrir un peu les yeux sur toute la réalité de la formation des résidents au Québec, en lien avec tous les partenaires avec lesquels on collabore. Durant cette année, beaucoup, beaucoup de choses ont bougé. Évidemment, il y a eu la négociation de notre entente avec le gouvernement qui a bien avancé. Il y a eu aussi l’accentuation du discours politique à travers les projets de loi 83 et 106. Il y a également tous les dossiers qu’on a menés en parallèle sur les standards de formation avec nos partenaires dans le reste du Canada, le Collège des médecins du Québec, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, etc. Donc ça a été une année très très occupée, mais aussi très enrichissante sur ces aspects-là. J’ai beaucoup appris.Les négociations de la nouvelle entente collective des résidents ont traîné en longueur. Au début de l’hiver, la FMRQ a mis la pression sur le gouvernement en brandissant la menace d’une grève. Puis une entente de principe est intervenue début avril. Où en êtes-vous à présent?Il est important de rappeler le contexte. On négocie avec le gouvernement depuis novembre 2022 et on va dire que ça a été plus long que prévu. Il y a beaucoup d’acteurs du réseau public de la santé qui ont aussi eu des négociations assez longues, assez ardues. On le voit maintenant aussi avec les fédérations médicales, la FMSQ et la FMOQ. Ce ne sont pas des négociations faciles et ce n’est pas propre aux résidents. On l’a vécu comme tous les autres. Actuellement, notre négociation est en cours de finalisation. Avec la signature de l’entente de principe, on a essentiellement résolu tous les conflits. Là, on est rendu à l’étape de la rédaction des différentes clauses au niveau juridique. On espère que l’entente finale sera signée par le ministre de la Santé le plus tôt possible, mais c’est difficile de prédire quand. Considérant l’histoire passée, ça peut prendre quelques semaines, voire quelques mois, surtout qu’on est en période estivale.Sur quoi les négociations ont-elles achoppé?Les points de friction concernaient notamment la question des rythmes de travail, mais surtout du travail accompli par les résidents. C’est quoi un médecin résident? Qu’est-ce que ça fait? Quelles sont les différences avec un médecin en exercice ou les autres professionnels de la santé? On sentait qu’il y avait tout le temps un manque de compréhension et souvent un manque de désir de comprendre. Quand ça l’avantage, le gouvernement oublie qu’on reste des apprenants et quand il trouve son compte, il oublie qu’on est des travailleurs. On a répété à plusieurs reprises que notre priorité est de continuer à prodiguer des soins à la population québécoise sans réduire les services, mais qu’on devait trouver des solutions pour que ce travail ne soit pas délétère pour la santé des résidents. Nos membres nous rapportent de plus en plus qu’ils sont épuisés après leur journée de travail.La précédente entente prévoyait que les résidents puissent travailler jusqu’à 70 heures par semaine et 19 jours consécutifs. Une des revendications de la FMRQ était d’avoir un jour de congé par semaine. Quel compromis avez-vous trouvé?C’était effectivement notre grande demande. Pour l’instant, les modalités de l’entente sont confidentielles. Donc je ne peux pas en parler. Mais on est arrivé à un compromis qu’on a jugé très, très raisonnable et dont on est très fiers. Il permet d’atteindre nos objectifs et ceux de la partie adverse. Au niveau salarial, la FMRQ demandait un rattrapage équivalent à celui obtenu par les autres professionnels du réseau de la santé. L’avez-vous obtenu?Là encore, même réponse: les modalités de l’entente restent confidentielles. Néanmoins, la question du respect de notre travail, c’est quelque chose qui nous tient vraiment à cœur. Surtout dans la foulée des projets de loi 83 et 106, où l’on a entendu que les médecins, mais aussi les médecins résidents, sont paresseux et qu’ils ne travaillent pas suffisamment, alors qu’on fait des horaires de fou. C’est assez insultant. Quand on est résident, on comprend que notre salaire ne reflète peut-être pas nécessairement toute l’étendue de notre travail. Mais on l’accepte parce qu’on est en formation. Cela dit, on veut que notre rémunération reflète un peu ce travail, cet effort qu’on fournit. Au final, on est arrivés à une solution satisfaisante pour nos membres.Le projet de loi 83 est entré en vigueur le 24 avril. Il vise particulièrement les jeunes médecins en les obligeant à pratiquer au Québec et dans le réseau public. L’idée d’une contestation juridique de ces obligations est-elle toujours d’actualité?Il y a deux volets à cette loi. S’agissant de l’obligation de travailler au public, cette disposition s’applique aux médecins qui viennent de graduer. Certains d’entre eux avaient des plans et nous ont écrit pour savoir s’ils pouvaient encore pratiquer au privé. Selon les termes de la loi, c’est clair, ils ne le peuvent pas. C’est moins clair en revanche concernant l’obligation de pratiquer au Québec. Il est question de contrat à signer par les finissants. Ces contrats-là n’existent pas encore à notre connaissance. Ils devraient être élaborés en collaboration avec le MSSS, probablement avec les facultés de médecine, pour voir comment et quand cette obligation s’appliquerait. Donc pour l’instant, elle ne s’applique pas, mais c’est quelque chose qui pourrait venir dans les prochaines semaines, mois ou années. Si c’est le cas, évidemment, on envisagera une contestation judiciaire. On l’a dit à maintes reprises: c’est une mesure discriminatoire envers les jeunes médecins, alors qu’on évolue dans un système médical pancanadien. Il y a des étudiants qui vont chercher des spécialités ailleurs et qui reviennent. Il y a des résidents d’autres provinces qui viennent se spécialiser au Québec et qui parfois y restent. Mettre fin à cet échange d’idées à travers le Canada serait délétère pour le Québec et ses facultés de médecine. Je vais prendre mon exemple personnel. Je vais faire en Californie un fellowship en médecine des toxicomanies. Ce que je vais y apprendre, j’espère pouvoir le rapporter ici et le redonner à la population québécoise. Puis si jamais cette nouvelle restriction entre en vigueur, elle pourrait dissuader des étudiants de l’extérieur du Québec de venir ici, et de ce fait affaiblir un peu notre système de santé de même que les savoirs qu’on a. C’est ça un peu notre grande crainte.À lire aussi: Projet de loi 83: les va-et-vient entre réseau public et secteur privé se poursuiventPeut-on aussi craindre que des médecins québécois comme vous, qui vont se surspécialiser ailleurs au Canada, aux États-Unis ou en Europe, n’aient plus envie de revenir au Québec en raison de ces contraintes?C’est une inquiétude qu’on a beaucoup entendue dans les médias. Mais la très, très grande majorité des résidents à qui l’on parle, ils veulent rester au Québec. C’est là où ça blesse. Le discours politique quand le projet de loi 83 est sorti, c’était que les jeunes médecins ne voulaient pas rester au Québec et ne voulaient pas travailler dans le réseau public. En fait, c’est l’inverse. La très, très grande majorité veut rester ici et les finissants veulent pratiquer dans le système public. Le gouvernement devrait se demander pourquoi des jeunes qui veulent rester là se voient obligés de regarder d’autres options. Est-ce parce que les conditions de pratique ne sont pas nécessairement favorables? Est-ce que les types de pratique que ces personnes veulent effectuer sont trop balisés ou ont trop de restrictions? Je pense que c’est sur ces questions-là qu’on doit plutôt s’attarder avant que ces obligations s’imposent.L’autre gros morceau des derniers mois, c’est le projet de loi 106. On a beaucoup parlé des modes de rémunération des médecins et plus encore d’indicateurs de performance. Est-ce pertinent d’en définir et d’y associer une partie de la rétribution des spécialistes comme des omnipraticiens?Cette question nous concerne moins dans la mesure où la rémunération des médecins résidents est fixée à l’année et que nous travaillons dans un cadre assez différent de celui des médecins spécialistes et des omnipraticiens. La question des mesures de performance est discutée depuis des décennies. En soi, le modèle de rémunération à l’acte est une des méthodes de rémunération à la performance des médecins. Je pense tout à fait approprié qu’on définisse certaines mesures de performance dans le système de santé, pas seulement pour les médecins, mais pour l’ensemble du réseau public. On comprend que ce gouvernement est dans la perspective des chiffres, performance, etc. Il y a cependant une différence entre cette idée-là, de mesurer la performance de l’ensemble du réseau, et celle d’imposer certaines mesures de performance qui pourraient avoir des effets pervers dans la pratique de la médecine au Québec. C’est pour cela qu’il y a eu une levée de boucliers contre ce projet de loi. Des mesures de performance doivent être travaillées conjointement avec tous les acteurs du réseau pour s’assurer qu’on atteigne les bons objectifs. L’autre enjeu que nous avons soulevé en commission parlementaire concerne le temps des médecins qui n’est pas comptabilisé dans la rémunération à l’acte. Ce fameux «temps mort» ou «temps fantôme», comme le ministre Dubé l’appelait. Il y a toutes sortes de tâches qui rentrent dans ce temps-là, l’enseignement, la participation à divers comités hospitaliers, la formation professionnelle continue, etc. Tout ce temps-là n’est pas pris en compte dans le projet de loi.Si des cibles de performance finissaient par être données aux médecins, individuellement ou collectivement, faudrait-il qu’elles soient modulées en fonction de l’expérience du médecin? En partant du principe que les attentes vis-à-vis d’un finissant diffèrent de celles d’un médecin ayant 30 ans de pratique?C’est possible… Honnêtement, c’est une bonne question. Je ne saurais pas trop quoi vous répondre. Hum. Je pense que c’est une question qui mérite d’être posée. Des mesures de performance qui s’appliquent mur à mur, qui ne discriminent pas en fonction de l’âge, de la pratique, du milieu de pratique, de l’expérience, etc., ce n’est peut-être pas optimal. À lire aussi: Projet de loi 106: «Le vif émoi des médecins est tout à fait normal»L’autre enjeu dont il est régulièrement question, à la FMRQ comme à la FMOQ, c’est la revalorisation de la médecine de famille. Des progrès ont-ils, selon vous, été réalisés?Il y a de plus en plus d’étudiants intéressés à explorer cette avenue et il y a plusieurs programmes qui réussissent à les rejoindre avec l’ouverture des nouveaux campus décentralisés, des stages en région. On le voit dans les chiffres du CaRMS de cette année. La plus grande cohorte de jeunes médecins de l’histoire du jumelage commence ce mois-ci leur résidence en médecine de famille. Les efforts portent leurs fruits.C’est difficile et dommage de voir que tous ces efforts quand même titanesques accomplis ces dernières années ont été balayés d’un revers de la main avec un discours de plus en plus confrontant et hargneux. Le message qu’on envoie à ces étudiants qui ont un intérêt pour la médecine de famille, c’est que les omnipraticiens sont des paresseux et qu'ils vont avoir plus d’obligations. Dans l'ensemble, tout ce discours très négatif qui a entouré la sortie du projet de loi 106 a affecté les médecins résidents. Beaucoup nous ont écrit ou nous ont dit qu’ils étaient heurtés, qu’ils se sentaient insultés.Des projets-pilotes sont lancés par les quatre facultés de médecine du Québec afin de bonifier et d’allonger la résidence en médecine de famille qui pourrait passer de deux ans actuellement à des formules variables allant de trois à 12 mois supplémentaires. Lorsque le Collège des médecins de famille du Canada a voulu allonger le format de la résidence en 2023, la FMRQ s’y était opposée. Qu’en est-il aujourd’hui?Les gens qui vont en médecine de famille veulent être polyvalents et ils veulent pouvoir choisir un peu leur domaine de pratique. L’ajout d’une troisième année de résidence obligatoire pourrait dissuader de choisir cette voie. En même temps, la pratique de la médecine de famille s’est extrêmement complexifiée au courant des dernières décennies. Parce que les patients sont plus vieux, plus malades, qu’il y a plus de choses à faire et qu’elles prennent plus de temps, etc. On essaie d’explorer avec les facultés de médecine la possibilité d’offrir aux résidents qui souhaitent, sur la base du volontariat, parfaire leurs connaissances dans des domaines spécifiques d’effectuer des stages en gynécologie-obstétrique, en santé mentale, ou en médecine des toxicomanies par exemple. Ce qu’on redoute avec le prolongement d’une année complète pour tous les résidents, c’est que nos milieux de formation sont déjà pleins. Les cohortes en médecine sont en train d’augmenter et les facultés nous disent déjà qu’elles vont manquer de places pour les résidents qui s’en viennent. Dans ces conditions, on ne voit pas où les résidents pourront faire leur troisième année de manière à ce qu’elle leur apporte quelque chose en plus. À lire aussi: Vers un allongement de la résidence en médecine de famille

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