Le Dr Michel Chrétien reçoit le prix Armand-Frappier 2022

Des prix scientifiques et des distinctions publiques, le Dr Michel Chrétien en a récolté une ribambelle au fil de sa carrière débutée à l’orée des années 1960. Le natif de Shawinigan, frère cadet de Jean, l’ancien premier ministre du Canada, a entre autres été élu officier de l’Ordre du Québec, de l’Ordre du Canada et de la Légion d’honneur, en France. Il est «fellow» de la prestigieuse Société royale de Londres, de l’American College of Physicians et lauréat du Temple de la renommée médicale canadienne. Sans oublier ses cinq doctorats honoris causa ou son entrée dans le Petit Larousse. Le prix Armand-Frappier, qui lui est décerné ce 2 novembre par le gouvernement du Québec, a toutefois une signification sans pareil pour l’endocrinologue. «C’est un honneur particulier parce que le Dr Frappier a été mon professeur à l’Université de Montréal», explique l’intéressé en reconnaissant que le pionnier de la vaccination au Québec a été à la fois son «héros de jeunesse» et son mentor. «Il m’appelait souvent et m’a donné de nombreux conseils précieux.» Pour le Dr Chrétien, le microbiologiste, surnommé «le Louis Pasteur du Canada», a été un modèle de rôle. «Il considérait que la recherche doit servir au plus grand nombre et il a concentré les siennes sur des applications concrètes, comme le vaccin du BCG», explique le clinicien qui rappelle que le Dr Frappier était aussi un visionnaire. En effet, ce dernier a acheté en 1939 une ferme à Laval pour y développer les activités de l’Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université de Montréal qu’il avait fondé un an plus tôt. C’est sur ce terrain-là, où a depuis été érigée la Cité de la biotech, que la pharmaceutique Moderna va construire une usine de production de vaccins. «Sans lui, ça ne serait jamais arrivé. Sa grande œuvre profite encore au Québec, 60 ans après.» Lorsqu’il a lui-même commencé ses travaux de recherche en endocrinologie et en chimie des protéines, vers 1964, le Dr Chrétien n’avait pas de plan carrière. «On ne peut pas décider d’avance de faire de la recherche toute sa vie, car c’est un métier très difficile et compétitif. Mon but premier était d’améliorer mes connaissances de base pour devenir un meilleur endocrinologue», indique-t-il. Une théorie décisive pour la suite Très vite, le jeune chercheur se focalise sur la chimie des hormones hypophysaires et travaille sur une intuition qui l’amène à formuler dès 1967 la théorie des Prohormones, à l’origine de sa renommée et selon laquelle l’organisme fabrique les hormones à partir de protéines inactives. Cette théorie «a ouvert une boîte d’exploration dans laquelle je suis entrée et qui m’a ensuite ouvert des portes vers des horizons inattendus en sciences fondamentales et cliniques», explique-t-il en signalant avoir «cheminé au hasard, par sérendipité, jusqu’à aujourd’hui». Initialement proposée pour quelques hormones, sa théorie s’est en effet révélée applicable à un large éventail de protéines: neuropeptides, neurotrophines, facteurs de croissance et de transcription, récepteurs, protéines de la matrice extracellulaire, toxines bactériennes, glycoprotéines virales, etc. En 1976, il découvre ainsi la bêta-endorphine humaine, en explique sa fabrication et se rend compte que toutes les hormones du cerveau sont synthétisées de la même manière. Puis en 1990, il co-découvre avec le Dr Nabil Seidah les proprotéines convertases. Ces enzymes, dont il soupçonnait l’existence depuis 1967, participent au découpage moléculaire des prohormones et à un grand nombre d’autres fonctions biologiques. Ces trois observations fondamentales ont ouvert le champ d’une nouvelle spécialité en biologie médicale, l’endoprotéolyse fonctionnelle. Elles ont également permis d’expliquer pourquoi certains gènes peuvent simultanément produire différentes substances. Des applications multiples et insoupçonnées Cliniquement parlant, les travaux du Dr Chrétien ont permis de mieux comprendre les causes de certaines maladies tels le diabète, l’obésité, la dyslipidémie, le cancer, l’athérosclérose et la maladie d’Alzheimer, en menant à des pistes de traitement novatrices. Il a par ailleurs mis en évidence — «de manière fortuite» — une mutation génétique de convertase chez quatre familles québécoises en 2011. Cette mutation du gène PCSK9, qui abaisse le mauvais cholestérol et prévient les maladies du cœur et du foie, est «présente uniquement au Québec», souligne le chercheur. Il y voit une avenue «très intéressante» pour de nouveaux traitements contre les maladies cardiovasculaires et hépatiques, mais aussi dans l’immunothérapie anticancéreuse ou contre les infections virales de l’Ebola et de la COVID-19. Si le prix Armand-Frappier vient honorer son immense carrière en recherche fondamentale et clinique, ponctuée par la publication de plus de 600 articles scientifiques, il vient également saluer l’implication du Dr Chrétien dans la promotion de la recherche et la formation de la relève. Professeur à l’Université de Montréal depuis 1967, directeur de l’Institut de recherches cliniques de Montréal de 1984 à 1994 (où il a toujours son labo) puis de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa de 1998 à 2002, où il a également créé l’Institut de la biologie des systèmes d’Ottawa, l’endocrinologue a toujours défendu avec ferveur la liberté académique tout en étant un promoteur opiniâtre du financement de la recherche scientifique. Ces 50 dernières années, il a formé près de 100 collègues chercheurs, dont plusieurs sont eux-mêmes devenus des chefs de file dans le monde universitaire. Reconnaissant, il se dit chanceux d’avoir formulé puis validé sa théorie des Prohormones. «J’ai fait toute ma carrière avec ça et grâce aussi aux infrastructures d’éducation et de recherche du Québec. On a la science médicale la mieux organisée au pays», affirme le Dr Chrétien qui, à 86 ans, ne songe absolument pas à la retraite. «C’est un métier extrêmement difficile, mais tellement intéressant. J’ai fait ça toute ma vie et je ne veux pas en changer. J’ai un petit labo, de beaux projets, des associés très dévoués et nous avons de belles hypothèses à investiguer.»

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