Le Dr Gaétan Barrette, médecin et négociateur: «Un avantage pour les médecins, un inconvénient pour la population» - Dr Réjean Hébert

Le Dr Réjean Hébert a récemment fait le post-mortem de son passage de 18 mois au poste de ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec.Il a dressé son bilan lors d’un récent 5 à 7 tenu à Montréal par le Groupe Espace Santé, sur le thème «Rencontre avec le Dr Réjean Hébert: la santé et les services sociaux vus de l’intérieur!»ProfessionSanté l’a rencontré en marge de l’événement. Comment avez-vous vécu votre récente défaite électorale?Difficilement, tant au plan personnel que comme ex-ministre de la santé, car je vois bien que 18 mois, ce n’est pas assez pour faire des changements pérennes. Au moins avons-nous bien amorcé la réflexion sur l’assurance autonomie, aujourd’hui hélas jetée au rebut par le gouvernement, alors que Philippe Couillard lui-même, quand il était conseiller chez Secor, reconnaissait le bien-fondé d’une telle initiative.Cela dit, j’ai terminé mon mandat de ministre sur une bonne nouvelle: j’ai atteint en fin d’exercice ma cible budgétaire. Le budget de la santé atteignait en effet 32,4 milliards $, au lieu de 32,6. Donc, 200 millions de moins que prévu. On n’a jamais vu ça en neuf ans de règne libéral.Comment voyez-vous la situation des finances publiques en regard de la santé?Elle n’est pas reluisante. J’avais obtenu 976 millions $ de plus pour la santé dans le budget Marceau, et c’était déjà limite. Or, le budget Leitão, lui, ne prévoit que 750 millions $ de plus. Je lui souhaite bonne chance pour maintenir ce réseau avec de telles sommes. Elles sont insuffisantes pour le maintenir dans son état actuel. Les seules augmentations salariales déjà prévues dans les conventions collectives vont gruger cela. Donc, on va diminuer les services et le programme de procréation assistée figure en premier sur la liste. C’est vrai aussi, en passant, que ce programme était mal monitoré.Déjà, le Parti libéral du Québec a renié ses promesses d’investir 150 millions $ en soins à domicile. Pour les IPS, rien non plus dans le budget Leitão et même, en fait, moins d’argent que l’an passé, soit 9 millions $ contre 12 sous notre gouvernement. Je suis très inquiet pour l’accès à la première ligne et les soins à domicile. Nous avions préparé aussi une Politique nationale de prévention, mais elle n’est plus dans les cartons de ce gouvernement.Comment estimez-vous l’action de votre successeur à la tête du MSSS?On attend de voir là où le ministre Barrette va agir. Concernant les médecins, il se situe des deux côtés de la table. C’est certes un avantage pour les médecins, mais un inconvénient important pour la population. Il est en conflit d’intérêt évident, pour avoir reçu une prime de 1,2 millions $ de la FMSQ. Je ne comprends pas qu’on tolère un tel conflit d’intérêts. Que le Commissaire à l’éthique se penche sur la situation du ministre Barrette à cet égard.Selon moi, la portion des négociations avec les médecins doit être conduite par quelqu’un d’autre, par le président du Conseil du Trésor par exemple. Le ministre Barrette doit se retirer des négociations avec les médecins. C’est comme si Jean Lacharité, de la CSN, devenait président du Conseil du Trésor! On ne le tolèrerait pas. Alors, pourquoi tolérer cela avec le Dr Barrette? Cela dit, je lui souhaite bonne chance dans ses négociations avec les docteurs.Craignez-vous qu’il ne cède à leurs demandes?Non, mais il ne leur enlèvera rien, ce qui revient au même. Je crains surtout un marché de dupes, soit de transférer la hausse d’augmentation prévue pour l’année en cours pour la faire servir de base de négociation lors de la prochaine entente. Autrement dit, donner moins aux médecins maintenant, pour leur donner plus, plus tard. Page 1/2Y-a-t-il trop de cadres dans le réseau de la santé?Pour gérer une entreprise de 32 milliards $, il faut des cadres, non? Il y a en fait confusion sur l’appellation même de cadres. Le Commissaire aux plaintes par exemple, ou une infirmière clinicienne, rentrent dans cette catégorie. Il faudrait distinguer entre les cadres hiérarchiques, les cadres cliniques, les cadres-conseils, tous réunis sous l’ancienne appellation de «syndicables non syndiqués».Qu’est-ce qui vous inquiète le plus pour les prochains mois?L’incertitude, car le gouvernement n’a pas encore identifié là où il va couper dans le réseau. En gros, la moitié du budget de la santé va à deux postes: les docteurs et les médicaments. Est-ce là qu’on va comprimer les dépenses? Va-t-on couper les docteurs? Nous avons déjà dépensé pour rien 1,5 milliard $ de hausse de rémunération pour les médecins dans les dernières années, et je dis «pour rien», car cela s’est accompagné… d’une baisse de leur productivité!Alors, que quelqu’un nous dise où est la solution. On va couper, oui, mais où? Je reproche au gouvernement actuel de rester muet à ce chapitre. Peut-il préciser, par exemple, les éventuels services que le régime public ne couvrira plus?Pour les médicaments, est-ce une solution de faire des ententes particulières avec l’industrie?J’ai des réserves à cet égard. D’abord, ces ententes ne sont pas transparentes, car elles se font sous le sceau du secret. Ensuite, c’est inéquitable, car ça veut dire qu’on négocie un prix pour les assurés du régime public, mais que ceux qui sont avec une assurance privée vont payer le gros prix. Ce n’est pas équitable.Créer Pharma Québec, comme le propose Québec Solidaire, est-ce une option valable?Nous l’avons étudiée, cette option, mais elle n’est pas une solution non plus. Ça voudrait dire que les pharmas vont se délester des médicaments pas payants, ceux-là mêmes que Pharma Québec devra produire à perte. S’il y avait là des millions à aller chercher là pour le Trésor public, il y a longtemps qu’on l’aurait fait.Pour la performance de son système de santé, le Québec fait figure de cancre, selon les études de Damien Contandriopoulos*. Qu’en pensez-vous?Il devrait changer ses lunettes s’il voit la chose ainsi, car ce n’est pas la réalité. D’une part, les indicateurs de santé ne sont pas vraiment au point. D’autre part, et c’est le point majeur, le principal indicateur, celui de l’espérance de vie, est excellent au Québec, qui arrive deuxième à ce chapitre après la France. Le système de santé fait donc une différence. Il ne faut pas céder à la tentation de le banaliser.Allez-vous vous présenter à la course à la chefferie du Parti québécois?Je n’ai pas encore pris de décision. Je vais d’abord m’assurer que les valeurs sociales-démocrates restent au premier plan dans le programme du Parti québécois.*Professeur agrégé, faculté des sciences infirmières, Université de Montréal. Chercheur régulier à l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal.À lire aussiLe Dr Réjean Hébert fait son post-mortem: «J’ai de l’amertume face à l’abandon de l’assurance autonomie»Page 2/2

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