Le dépistage du cancer de la prostate : la controverse persiste... 1e épisode !

RÉSUMÉObjectifDéterminer l’effet du dépistage du cancer de la prostate sur la mortalité par ce cancer.ConceptionEssai clinique randomisé. Contexte Compte rendu de la branche « prostate », de l’étude Prostate, Lung, Colorectal and Ovarian (PLCO) Cancer Screening menée dans 10 centres hospitaliers des États- Unis.ParticipantsPlus de 76 000 hommes âgés de 55 à 74 ans ont été recrutés de 1993 à 2001. Étaient exclus les patients ayant une histoire de cancer (prostate, poumon ou colorectal) ou un traitement anticancéreux en cours. À partir de 1995, les hommes ayant reçu un dépistage sanguin (PSA) durant les trois années précédentes ont également été exclus.InterventionsLes patients ont été répartis au hasard en deux groupes, celui avec dépistage (n = 38343) et l’autre recevant des soins dits « usuels » (n = 38350). Le dépistage consistait en un test sanguin annuel (PSA) effectué durant six ans et en un examen rectal digital, pendant quatre ans. Une valeur de PSA supérieure 4 ng/ml était considérée comme positive. L’examen rectal digital était fait par des infirmières, des assistants médicaux et des médecins. L’examen était considéré comme suspect si la prostate était « indurée » ou si un nodule était palpé, entre autres. Les patients dépistés positifs étaient ensuite adressés à leur médecin traitant pour évaluation diagnostique.Principales mesures de résultatsLa mortalité causée par le cancer de la prostate constituait la mesure primaire. L’incidence, le stade et le taux de survie du cancer de la prostate ont aussi été compilés.RésultatsLe statut vital des patients a été obtenu pour 98 % des sujets à sept ans et pour 67 % à 10 ans. La durée médiane de suivi des patients des deux groupes a été de 11,5 années. L’observance du protocole dans le groupe dépistage a été de 85 %, alors que jusqu’à 52 % des hommes du groupe soins usuels ont eu un dépistage. Les cancers prostatiques ont été détectés plus souvent dans le groupe dépistage (7,3 % vs 6,0 %; risque relatif [RR] 1,22; intervalle de confiance [IC] 95 % 1,16-1,29 à sept ans). Toutefois, les taux de mortalité à sept ans demeurent très bas et sans différence statistiquement significative entre les groupes : 50 morts (2 par 10 000 hommes-années à risque) attribuées au cancer de la prostate dans le groupe dépistage versus 44 (1,7 par 10 000 hommes-années à risque) dans le groupe témoin (RR 1,13; IC 95 % 0,75-1,70). Les données à 10 ans vont également dans le même sens.ConclusionSur une période de 10 ans, cette étude ne permet pas de démontrer que le dépistage systématique du cancer de la prostate réduit la mortalité causée par ce cancer.COMMENTAIREPertinence de l’étudeLe test de la PSA est offert depuis environ 20 ans, mais l’effet du dépistage du cancer de la prostate sur la mortalité est inconnu à ce jour. Bien que la mortalité due à ce cancer soit en diminution, nous ne pouvons affirmer que cette diminution est en lien avec le dépistage de la maladie. Devons-nous, dans ces conditions, proposer à nos patients un dépistage du cancer de la prostate ?Importance des résultatsBien qu’après 7 et 10 ans de suivi le dépistage systématique du cancer de la prostate permette d’identifier un peu plus de cancers dans le groupe expérimental que dans le groupe témoin (environ 13 de plus chez 1000 hommes dépistés), le stade de la maladie au moment du diagnostic et l’incidence de décès par cancer de la prostate sont très faibles et semblables dans les deux groupes.Les risques liés au dépistage sont minimes, à savoir choc vagal lors de la prise de sang ou inconfort occasionné par le toucher rectal. Par contre, les complications des procédures diagnostiques et des traitements sont bien décrites dans la documentation scientifique et comprennent l’anxiété liée à l’investigation, l’infection, l’impuissance ou l’incontinence. Une analyse de l’effet de ces complications sur la qualité de vie est d’ailleurs en cours chez les patients de cette même étude.Critique de la méthodologiePlusieurs points positifs caractérisent cette étude. En ce qui concerne la validité, on note que les patients ont été réellement répartis au hasard. Les caractéristiques de base des deux groupes étudiés sont très semblables. Des évaluateurs indépendants ont révisé les causes de décès sans connaître le groupe d’étude des sujets. On utilise dans l’analyse primaire « l’intention de dépister » (intention- to-screen) pour faire la comparaison de mortalité entre les deux groupes. Finalement, l’observance du protocole de dépistage, très standardisé, est adéquate (85 %), considérant l’estimation a priori (90 %) des chercheurs.Malgré le nombre considérable de sujets, la puissance statistique demeure faible, comme en témoigne le large intervalle de confiance. Cela fait en sorte qu’à sept ans l’intervalle de confiance obtenu laisse croire que le dépistage pourrait être associé à une réduction relative de mortalité par cancer de la prostate de 25 %, jusqu’à une augmentation de 70 %. À 10 ans, l’intervalle de confiance s’amenuise légèrement à cause du plus grand nombre de décès dû au cancer prostatique. Le peu de contraste entre les deux groupes est toutefois le principal point négatif de l’étude. Cette absence de contraste provient d’abord du fait que tant chez les témoins que chez les sujets du groupe expérimental, une forte proportion des sujets avait déjà eu un ou plusieurs dosages de la PSA et/ou un toucher rectal avant leur inclusion dans l’étude. Puis la « contamination » du groupe témoin a été importante. En effet, plus de 50 % des sujets du groupe témoin ont subi au moins un dosage de la PSA entre la première et la sixième année de suivi. Cela peut expliquer la faible différence dans la fréquence de cancers dépistés entre les deux groupes et l’absence d’effet sur la mortalité par cancer de la prostate.On pourrait aussi s’interroger sur la durée relativement limitée du suivi à la suite du diagnostic (médiane = 6,3 et 5,2 ans pour le groupe dépistage et témoin, respectivement).Par contre, le stade clinique étant pratiquement superposable dans les deux groupes au moment du diagnostic, on peut penser que la durée du suivi n’a pas eu d’influence majeure sur la mortalité par cancer de la prostate. Nous aurons les résultats finaux de cette étude dans quelques années, lorsque tous les patients auront un suivi de 13 ans.Mise en perspective selon l’état des connaissancesBien que le sujet prête à controverse1-4, les lignes directrices actuelles des divers organismes qui ont un intérêt pour le cancer de la prostate sont unanimes sur le fait que le dépistage de cette maladie ne doit plus être fait de façon systématique. Pour les hommes qui manifestent un intérêt pour le dépistage, nous devons les renseigner sur les bénéfices hypothétiques et les risques potentiels, et leur laisser prendre la décision de se soumettre ou non au dépistage5-6. Par ailleurs, si la décision de procéder au dépistage est retenue, il est recommandé de ne plus procéder à une investigation par biopsie sur la base d’une seule mesure anormale de la PSA6. Cette étude n’apporte rien qui puisse changer ces recommandations, si ce n’est de confirmer que l’incertitude persiste. La critique d’un autre essai clinique7 sera publiée sous peu dans ces pages.Contribution à la prise de décision cliniqueCette étude montre que le dépistage du cancer de la prostate ne réduit pasla mortalité due à ce cancer. Le manque de contraste entre les groupes peutexpliquer cette absence de différence.Vous voulez répondre efficacement à vos questions cliniques ?Vous désirez apprécier de façon critique la qualité de l’information scientifique ?Inscrivez-vous aux modules interactifs d’autoapprentissage des habiletés de lecture critique et de gestion de l’information d’InfoCritique en visitant le infocritique.fmed.ulaval.ca et en cliquant sur Développement professionnel continu dans le menu de gauche. InfoCritique vous permet d’obtenir 18 heures de crédits de DPC.* Sébastien Laflamme, résident en médecine familiale, et Pierre Frémont, MD, Ph. D, CCMF Article de référenceAndriole GL, Crawford D, Grubb RL III, Buys SS, Chia D, Church TR et coll. Mortality results from a randomized prostate- cancer screening trial. N Engl J Med 2009; 360 (13): 1310-9.Références1. Fradet Y. Should Canadians be offered systematic prostate cancer screening ? Yes. Can Fam Physician. 2007 Jun; 53(6):989- 92, 994-7.2. Labrecque M, Légaré F, Cauchon M. Should Canadians be offered systematic prostate cancer screening ? No. Can Fam Physician. 2007 Jun; 53(6):989-92, 994-7.3. Fradet Y. Rebuttal : Should Canadians be offered systematic prostate cancer screening ? YES. Can Fam Physician. 2007 Jul; 53(7):1140-3.4. Labrecque M, Légaré F, Cauchon M. Rebuttal : Should Canadians be offered systematic prostate cancer screening ? NO. Can Fam Physician. 2007 Jul; 53(7):1140-3.5. Screening for Prostate Cancer, Topic Page. August 2008. U.S. Preventive Services Task Force. Agency for Healthcare Research and Quality, Rockville, MD. www.ahrq.gov/clinic/uspstf/uspsprca.htm6. 2009 AUA Prostate-Specific Antigen Best Practice Statement : 2009 update. American Urological Association 2009. p.7. Schröder FH, Hugosson J, Roobol MJ, et coll. Screening and prostate-cancer mortality in a randomized European study. N Engl J Med 2009; 360:1320-8.9. www.auanet.org/content/guidelinesand- quality-care/clinical-guidelines/ main-reports/psa09.pdfPour lire le 2e épisode, cliquez ici.

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