Le Collège des médecins réclame une plus grande sévérité pour certaines fautes graves

Une radiation de deux mois. Telle est la sanction qu’avaient initialement réclamée le syndic du Collège des médecins et l’avocat de l’intimé à l’endroit du Dr Kenneth Chan, un obstétricien-gynécologue qui, malgré les appels répétés d’urgentologues, avait refusé de se rendre à l’hôpital à plusieurs reprises alors qu’il était de garde chez lui. La patiente, âgée de 27 ans, pour laquelle il avait été appelé est décédée le lendemain des complications d’une fausse couche. Ces événements se sont déroulés en 2008 et ont valu au Dr Chan et à deux autres médecins de l’Hôpital Santa Cabrini de Montréal une poursuite civile de 1,5 million $.Traduit devant le Conseil de discipline, le Dr Chan a plaidé coupable. Le Conseil n’a toutefois pas suivi les recommandations du syndic ni de l’avocat du médecin, et vient plutôt de le radier pour une durée d’un an.N’empêche, la peine de radiation de deux mois, qui avait été négociée par les deux parties, a soulevé de nombreuses critiques, y compris de la part de la première ministre Pauline Marois. Lors de son séjour à Davos, en Suisse, Mme Marois a déclaré qu’il y avait lieu de s’interroger sur la sévérité de la sanction pour une faute aussi grave que le décès d’une patiente.Même le président du Collège, le Dr Charles Bernard, est d’avis que la sanction pour un cas de ce genre méritait d’être plus sévère.Longs délaisCe n’est pas sa seule doléance à l’égard du Conseil de discipline. En entrevue à L’actualité médicale, le Dr Bernard a souligné qu’après son entrée en fonction en 2010 il avait observé deux éléments boiteux dans le système disciplinaire.En premier lieu, il juge inacceptables les délais entre le dépôt d’une plainte et la décision rendue par le Conseil de discipline. Dans le cas du Dr Chan, il s’est écoulé près de cinq ans entre les événements et la tombée de la sanction. Ces longs délais, fait-il valoir, font pleuvoir des critiques sur le Collège. « Cela nous fait paraître malhonnêtes. Les gens pensent qu’on ne fait pas notre travail et qu’on protège nos membres. On nous accuse de corporatisme ou de laxisme. »Pourtant, rappelle le Dr Bernard, le Collège ne joue aucun rôle dans le temps que met le Conseil de discipline à prendre des décisions parce que ce tribunal, tout comme le syndic, est complètement indépendant du CMQ. Le Collège a donc réagi à cette situation afin d’améliorer cet aspect. Il a rencontré ses syndics, ainsi que les avocats qu’ils affrontent le plus souvent pour leur demander qu’on diminue le plus possible les remises de peine. Il a aussi envoyé des signaux à l’Office des professions ainsi qu’au ministre de la Justice, Bertrand St-Arnaud. Selon le Dr Bernard, le Collège des médecins n’est pas le seul ordre professionnel à se plaindre de la longueur des délais. M. St-Arnaud doit déposer un projet de loi afin d’améliorer l’efficacité des tribunaux administratifs.Les sanctionsL’autre aspect pour lequel le Collège aimerait voir une amélioration est la sévérité des peines. Le Conseil de discipline s’appuie sur la jurisprudence dans ses décisions et prend note des recommandations communes émanant des deux parties. « On s’est rendu compte que, dans certaines causes, des médecins acceptent de plaider coupable en échange d’une peine moindre, et ce, en négociant avec le syndic qui les poursuit », observe le Dr Bernard.Le Collège dit ne pas être opposé à cette pratique. Dans certains cas, cela peut avoir du bon, commente son président. Mais dans des cas d’inconduite sexuelle ou de fautes majeures, le Collège et le conseil d’administration ne sont pas d’accord pour ce type d’arrangement à rabais. « On considère que des sanctions ont été négociées trop à la baisse, déplore le Dr Bernard. Le message que l’on envoie à nos syndics et au Conseil de discipline est de donner des sanctions proportionnelles à la faute. Les inconduites sexuelles quand on est médecin et en situation de pouvoir, c’est tolérance zéro, et on veut que les sanctions soient significatives. »Dans le cas du Dr Chan, le Dr Bernard estime qu’il avait commis une faute grave et qu’elle nécessitait au moins un an de radiation. Il n’est toutefois pas en faveur de peines minimales automatiques pour certaines sanctions. L’Ontario, dit-il, a adopté cette pratique pour des inconduites sexuelles, mais les médecins condamnés l’ont contestée et la province songerait à l’abolir. Le Dr Bernard préfère donc que le Conseil de discipline continue à juger au cas par cas, tout en souhaitant une aggravation des peines pour les fautes les plus graves.Réforme de la loiDepuis quelques jours, le Dr Bernard a toutefois matière à se réjouir. Le 13 février dernier, le ministre de la Justice, Bertrand St-Arnaud, a annoncé le dépôt du projet de loi 17 visant à réformer le Code des professions en matière disciplinaire.Parmi ces changements, certains visent un traitement plus rapide des plaintes en matière disciplinaire et d’autres portent sur la sélection des présidents des tribunaux administratifs disciplinaires. Ces nominations étaient de nature politique et partisane.Le Dr Bernard s’est réjoui de cette annonce. « C’est avec une grande satisfaction que j’accueille cette nouvelle, puisque le Collège réclamait ce projet de loi, a-t-il commenté. Le ministre de la Justice a entendu nos représentations sur le manque d’encadrement du processus disciplinaire et sur les délais de délibération des conseils de discipline, actuellement inacceptables. »Les principales décisions et sanctions rendues en 2012Au cours de 2012, le conseil de discipline du Collège des médecins du Québec a rendu 24 décisions. Un tableau synthèse (voir p. 12) des cas sur lesquels le Conseil s’est prononcé durant cette seule année et réalisé par L’actualité médicale confirme les critiques au sujet des délais, exprimées par le président du Collège, le Dr Charles Bernard.Le Dr Bernard répète depuis deux ans qu’il trouve trop longs les délais pour parvenir aux décisions et déplore qu’il faille parfois des années entre les faits qui ont mené au dépôt d’une plainte et les décisions rendues par le conseil de discipline. Le fil des séquences lui a encore donné raison en 2012. Certains événements sur lesquels le Conseil a émis des sanctions remontaient à cinq ans, voire dix ans.Dans l’histoire du Dr Gabriel Jean, un orthopédiste qui exerçait en Gaspésie, les circonstances qui avaient amené une patiente à porter plainte contre lui remontaient à 2003. Le dernier épisode de cette longue saga est survenu en août 2012, lorsque le Conseil a accepté le rejet de la plainte par la plaignante. Mais le Dr Jean n’aura pas pu jouir très longtemps de cette décision. Il est décédé le même mois. Dans le cas qui concerne le cardiologue Léonidas Dragatakis, le Conseil a rendu sa décision sept ans après la mort du patient concerné.Même les plaignants peuvent venir du milieu médical. La femme qui avait porté plainte contre le psychiatre Norman Hoffman était une étudiante en médecine de l’Université McGill qu’il avait suivie en psychothérapie. Il avait établi avec elle une relation oscillant entre la relation père-fille et une relation amoureuse. Le Dr Hoffman travaillait auprès des étudiants depuis 24 ans. Après cette affaire, il a dû renoncer à son poste de directeur des Student Mental Health Services, de l’Université McGill.Le Dr Gilles Mercier, un chirurgien, a écopé en 2012 d’une radiation de trois mois ainsi que d’une amende de 15 000 $ pour des faits survenus en 2011, mais il a fait appel de ces sanctions devant le Tribunal des professions. Dans une autre cause impliquant ce même Dr Mercier, le Tribunal des professions, devant lequel il avait aussi interjeté appel, a maintenu la plupart des sanctions pour d’autres faits remontant à 2009. Ces amendes s’élevaient au total à 15 000 $. Le Tribunal a toutefois infirmé la décision sur culpabilité et sur sanction du chef numéro 1, et annulé l’amende de 1000 $ sur ce chef précis.Par ailleurs, les plaintes déposées par Valery Fabriquant, cet ancien professeur qui purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour le meurtre de quatre collègues universitaires, ont été rejetées par le conseil de discipline et n’apparaissent pas dans le tableau qui résume 17 des 24 principales décisions rendues en 2012 par cet organisme disciplinaire (p.12).

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