Le CMQ veut mettre un frein à la croissance du privé en santé

Alors qu’il y joue un rôle grandissant au Québec et que de plus en plus de médecins quittent le réseau public, le Collège des médecins du Québec (CMQ) prend position sur la place du secteur privé en santé. Dans un texte de 500 et quelques mots, publiés lundi sur son site web, son conseil d’administration exhorte le gouvernement à suspendre «immédiatement l’expansion du secteur privé en santé» tout en lui demandant que «les soins privés existants soient rigoureusement régulés et encadrés». Le Collège rappelle aussi à ses membres «l’importance du contrat social existant entre les médecins et la société, duquel découlent des responsabilités individuelles et collectives».Claire et nette, cette prise de position est le fruit d’une réflexion approfondie menée ces derniers mois par les administrateurs du CMQ. Elle a été alimentée par la consultation d’experts et nourrie par une série de constats qui montrent que la pérennité des caractères universel et accessible du réseau public de la santé et des services sociaux n’est plus assurée.Premier constat: bien qu’elle soit garantie par des lois et des règlements, «l’accessibilité aux soins et aux services de santé est de plus en plus compromise», comme en témoignent les difficultés éprouvées par nombre de patients pour consulter un médecin de famille ou les listes d’attente en médecine de spécialité et en chirurgie qui ne cessent de s’allonger. Le Collège observe également que la prestation de services de santé financés ou dispensés par le privé est en croissance «même si des données probantes démontrent que cela n’améliore pas l’accès aux soins de santé ni ne réduit les coûts de système». Enfin, il note que «le contrat social fondamental entre les citoyens, l’État et les professionnels de la santé, dont les médecins, vacille» tandis que «les responsabilités sociales et individuelles s’étiolent».Lire aussi: Québec veut obliger les nouveaux médecins à pratiquer dans le réseau publicPartant de là, le CMQ juge que la «situation est préoccupante», en sous-entendant que le secteur privé y contribue, puisqu’il provoque notamment un exode des professionnels de la santé en les incitant à déserter le réseau public. D’où la nécessité de reconsidérer sa place et de mieux l’encadrer. En entrevue avec Profession Santé, le président du Collège, le Dr Mauril Gaudreault, précise qu’«on ne prône pas que le privé disparaisse complètement. On veut qu’il cesse de s’étendre et qu’il soit là uniquement pour soutenir le réseau public». Autrement dit, qu’il ne le concurrence pas et qu’il ne menace pas son universalité. Le CMQ est ainsi d’avis que «le financement des services offerts au privé doit demeurer totalement public et n’occasionner aucun déboursé supplémentaire de la part du citoyen».Le Dr Gaudreault se dit particulièrement préoccupé par le nombre croissant de médecins québécois séduits par la pratique dans le secteur privé. Il tient à leur rappeler le contrat social qui les unit à la population. À titre d’exemple, il évoque «ces jeunes médecins qui sortent de la faculté et s’en vont directement au privé. C’est le signe d’un effritement du rôle social de la profession». Encadrer les allers-retours des médecins entre le public et le privéLe président du Collège tient également à leur rappeler leurs obligations déontologiques. Lors de sa tournée des pôles en santé de la province, plusieurs médecins lui ont en effet rapporté que des confrères du privé ne prennent pas en charge les complications de leurs patients. «Cela reste de leur responsabilité de s’en occuper, même les soirs et les fins de semaine», souligne le Dr Gaudreault. Pour enrayer cet exode et résoudre les problématiques qu’il suscite, le CMQ appelle une régulation étroite des conditions et des modalités pour offrir des soins et des services dans le secteur privé. Il demande aussi un resserrement de l’écart des honoraires versés pour un même service dans le public et le privé de même qu’un encadrement strict des changements de statut de médecin participant à non-participant au système public. «Aujourd’hui, c’est facile de faire des allers-retours entre le public et le privé. Si c’était plus compliqué et mieux balisé, ça découragerait certains», estime le président du Collège qui trouve anormal que des médecins se servent de ces allers-retours pour inciter des patients à court-circuiter les listes d’attente en se faisant opérer au privé. «Ces sollicitations sont à mon sens illégales et déontologiquement questionnables.»Ne manquez pas: Christian Dubé annonce une nouvelle politique nationale de prévention pour le MSSSComme il l’a déjà évoqué lors de son audition à l’Assemblée nationale concernant le projet de loi 67, le CMQ demande par ailleurs que «les entités tierces (personnes morales) auxquelles les médecins peuvent s’associer dans l’exercice de leur profession doivent être encadrées professionnellement et juridiquement». À ce sujet, le Dr Gaudreault indique que le Collège «a déjà eu de la difficulté à inspecter des médecins qui pratiquent dans des GMF appartenant à des non-médecins». Un tel encadrement professionnel et juridique devrait entre autres permettre au CMQ d’exercer ses responsabilités habituelles en matière d’inspection et d’observance de la déontologie.Compte tenu de ses précédents échanges sur le sujet avec le ministre de la Santé, Christian Dubé, le Dr Gaudreault pense que ce dernier «va bien recevoir» l’énoncé de position du CMQ et qu’il pourra en discuter prochainement avec lui. «Le Collège devient un acteur social. On se prononce sur de gros enjeux et on a un pouvoir d’influence.»

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