Le Canada a besoin d’une stratégie en santé des femmes: des vies en dépendent

Les femmes sont plus susceptibles que les hommes de mourir d’une crise cardiaque. Elles sont plus susceptibles de développer une démence. Elles sont plus susceptibles de souffrir de dépression et d’anxiété.Bien que ces affections courantes touchent à la fois les femmes et les hommes, les menaces qui pèsent sur la santé des femmes sont souvent plus importantes, entraînant des taux plus élevés de maladies chroniques et une diminution de la qualité de vie.Les maladies qui touchent de manière disproportionnée la santé des femmes sont nombreuses et variées, mais un fil conducteur relie bon nombre d’entre elles: la recherche visant à en comprendre les causes et à développer des traitements ignore souvent les femmes ou les exclut.Historiquement, les femmes ont été exclues de la recherche et des essais cliniques par crainte pour leur santé reproductive et pour le risque de malformations congénitales. Pourtant, les femmes utilisant une contraception, celles dont les partenaires masculins avaient subi une vasectomie et celles qui n’étaient pas sexuellement actives avec des hommes étaient également exclues, ce qui soulève des questions quant à la validité de cette politique.Aujourd’hui, les protocoles d’essais exigent fréquemment que les femmes en âge de procréer utilisent une contraception, sans égard pour l’orientation sexuelle, l’activité sexuelle ou le statut du partenaire. Cela constitue un obstacle à la participation et limite encore davantage la généralisabilité des résultats.`À lire aussi: Ménopause: des soins disponibles, mais inaccessibles pour de nombreuses femmesIl a également été avancé que la variabilité hormonale chez les femmes qui menstruent compliquerait les études, une affirmation non étayée par les données probantes. En réalité, les hommes présentent eux aussi des variations hormonales.Ces mythes entourant la biologie des femmes et l’ignorance qui les a entretenus sont loin d’un simple manque de rigueur scientifique.Dans les années 1980 et 1990, les avancées en recherche cardiovasculaire ont amélioré les résultats chez les hommes, mais beaucoup moins chez les femmes. Plus préoccupante encore est l’augmentation des hospitalisations pour infarctus observée chez les femmes de moins de 55 ans – une tendance absente chez les hommes.Plus récemment, l’essai REBOOT a montré que les «bêtabloquants» - un groupe de médicaments couramment utilisés pour traiter l’insuffisance cardiaque - étaient moins efficaces chez les femmes; dans certains cas, ils augmentaient même la mortalité. D’autres travaux suggèrent un effet médicamenteux propre au sexe dans l’insuffisance cardiaque: des doses plus élevées d’agents cardiovasculaires étaient associées à des hospitalisations et à une mortalité accrues chez les femmes, mais pas chez les hommes.L’exclusion des femmes des essais pharmacologiques a conduit à ce qu’elles subissent des effets indésirables presque deux fois plus souvent que les hommes, ainsi qu’un taux plus élevé d’hospitalisations liées à ces réactions. Exclure activement - ou en pratique - les femmes de la recherche biomédicale a eu un coût considérable pour leur santé.Testez vos connaissances: Vaccination et grossesse: quelles sont les recommandations?Les bases de ce biais en santé des femmes sont profondes, et il faudra des efforts concertés pour construire un environnement plus équitable.Mais c’est possible.À bien des égards, le Canada a été un chef de file mondial en recherche sur la santé des femmes. Les lignes directrices sur l’intégration du sexe et du genre dans la recherche, élaborées par les Instituts de recherche en santé du Canada, ont servi de modèle international pour d’autres organismes subventionnaires. Mais d’importants enjeux persistent.Nous invitons le Canada – ses citoyennes et citoyens, ses établissements d’enseignement, ses entreprises et ses gouvernements – à s’appuyer sur ces acquis et à améliorer la santé des femmes en poursuivant les objectifs suivants:Un financement équitable de la rechercheÀ l’échelle mondiale, moins de 5% du financement en recherche et développement est consacré à la santé des femmes. Au Canada, seulement 6,8% du financement fédéral soutient la recherche en santé des femmes. Au regard du produit intérieur brut (PIB), la fracture canadienne en santé des femmes figure parmi les plus coûteuses.Augmenter les investissements est essentiel pour combler les lacunes de connaissances. Ce financement doit soutenir l’ensemble du continuum: recherche fondamentale, essais cliniques et initiatives de santé publique.Il ne s’agit pas seulement d’une dépense, mais d’un investissement. Les données montrent que chaque dollar investi dans la recherche génère un rendement économique plusieurs fois supérieur. Réduire la fracture en santé des femmes ajouterait 37 milliards$ au PIB du Canada.L'augmentation du financement de la recherche est un investissement dans la santé physique, mentale et économique des Canadiens.Intégrer la santé des femmes à l’éducationLa santé des femmes devrait faire partie intégrante de l’éducation en santé, du primaire à l’université, ainsi que de la formation des professionnels de la santé. L’intégration dans les programmes existants enrichit le contenu et normalise la santé des femmes en tant qu’enjeu de santé globale.Cette éducation doit concerner tout le monde, pas seulement les filles et les femmes. Cette approche pourrait sauver des vies: les symptômes de crise cardiaque diffèrent chez les femmes, et près de 80% des signes précoces sont manqués. Une meilleure connaissance de ces signes par l’entourage pourrait favoriser une prise en charge rapide.Élargir la définition de la santé des femmesNanette Wegner, cardiologue et professeure émérite à l’Université Emory, a inventé le terme «bikini medicine» pour dénoncer la réduction de la santé des femmes aux organes reproducteurs.Une revue récente montre que près de la moitié des études en santé des femmes se concentrent sur la santé reproductive, alors que des domaines essentiels - maladies cardiovasculaires, troubles musculosquelettiques, maladies infectieuses - sont sous-représentés. Cette définition étroite de la santé des femmes a conduit à négliger les circonstances uniques auxquelles les femmes sont confrontées pour les problèmes médicaux non reproductifs, qui représentent un grand nombre des principales causes de morbidité et de mortalité au cours de la vie.La recherche sur l’ensemble des systèmes du corps doit être incluse. L’enseignement doit également couvrir les affections qui touchent les femmes différemment ou de façon disproportionnée.Une stratégie nationale en santé des femmesLe Canada est le seul pays du G7 dépourvu d’une stratégie nationale en santé des femmes. Une planification à long terme est essentielle pour recruter et retenir les chercheurs et les professionnels de la santé. Un plan coordonné et fondé sur des preuves pour réduire l'écart dans la santé et la recherche concernant les femmes est essentiel pour créer une base solide d'innovation et de soins.Une stratégie nationale permettrait de définir des cibles mesurables, de publier des rapports publics et de lier le financement à l’atteinte des objectifs.Ces initiatives sont ambitieuses, mais réalisables. Le Canada bénéficie de l’expertise de nombreuses chercheuses, chercheurs, cliniciennes, cliniciens et éducateurs. Les investissements dans la recherche et l’amélioration des systèmes de soins ont déjà démontré leur impact positif.Les obstacles sont bien réels. L’opposition politique aux initiatives d’équité est importante et croissante. Ces positions reposent souvent sur une incompréhension des objectifs et une culture de misogynie persistante. Les leaders d’entreprise, les institutions universitaires, les chercheurs, les travailleurs de la santé et les éducateurs doivent expliquer pourquoi le soutien accru à la santé des femmes bénéficiera à l’ensemble de la société.Accroître les dépenses publiques en période d’incertitude économique est difficile, mais les retombées économiques contrebalancent ces inquiétudes. La communauté scientifique, avec l’appui des institutions et de l’industrie, doit s’engager auprès du public et des décideurs pour faire valoir ces arguments.En somme, la voie à suivre pour prioriser la santé et le bien-être des femmes doit être tracée par les voix des Canadiennes et des Canadiens, qui inspirent des changements politiques, sociaux et économiques à travers le monde.Les vies des femmes en dépendent.Cet article, initialement publié sur le site web Healthy Debate, a été traduit par Profession Santé.

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