Le b.a.-ba de l’inspection professionnelle des pharmaciens

C’est un passage obligé pour les 10 000 pharmaciens du Québec. Chaque année, 20% d’entre eux sont sélectionnés aléatoirement pour procéder à leur auto-inspection. Jugé assez laborieux par le passé, ce processus obligatoire a été revu en 2020. Le questionnaire d’évaluation de la pratique a été allégé – le nombre d’énoncés a été divisé par trois. Les professionnels salariés ne doivent plus soumettre qu’un plan de prise en charge en pharmacie (PPCP) – au lieu de trois auparavant. Les propriétaires et gestionnaires en établissement doivent quant à eux présenter un PPAI, un plan de projet d’auto-inspection dans le jargon de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ), qui détaille des stratégies d’amélioration avec un échéancier, des livrables et des outils de contrôle. D’apparence anodine, la démarche n’est pas à prendre à la légère. «Ce n’est pas juste un questionnaire à remplir et un exposé à produire. C’est une réelle inspection professionnelle reconnue comme telle par l’Office des professions», signale Chantal St-Arnaud, la directrice de l’inspection professionnelle à l’OPQ. «On est dans une logique d’amélioration continue de la pratique, et l’auto-inspection est un levier de changement», précise-t-elle, en mentionnant que tous les PPCP et les PPAI sont lus avec une grande attention. «On voit une évolution constante de la qualité des plans soumis.»Salariée dans une pharmacie de moyen débit en région, Anne-Marie Fragasso a effectué son auto-inspection il y a six mois. Auparavant «c’était très didactique, pas très pratique et ça prenait plusieurs heures à remplir. Là, c’est un peu moins fastidieux», observe-elle. Se considérant «très à jour», la pharmacienne, qui déclare accomplir «deux fois plus d’heures de formation continue qu’exigé», a néanmoins stressé. «Le délai d’un mois est assez court et on doit présenter un cas complexe sur lequel on est intervenu, afin de montrer notre savoir-faire sur plusieurs problématiques de santé. Ce n’est pas évident de choisir lequel et de le détailler.»Le président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) est passé par là il y a quelques semaines. «La première fois, je m’étais senti pas bon», se souvient Benoit Morin. Cette fois-ci, il a trouvé que la démarche était formatrice: «Ça m’a permis de réactiver mes connaissances, de me demander si mon organisation est à la bonne place, de réfléchir sur la pratique», observe-t-il, jugeant cette nouvelle approche «plus positive».Si son auto-inspection est concluante, le professionnel reçoit un compte-rendu sommaire par courriel. «Quand tout est OK, on adresse des mots d’encouragement. On peut aussi suggérer des pistes d’amélioration ou amener des questionnements», indique Chantal St-Arnaud. Son retour d’évaluation, Anne-Marie Fragasso en garde un souvenir amer, estimant s’être fait taper sur les doigts. «Ça commence par des critiques. Il y avait cinq ou six commentaires sur des éléments que j’aurais pu inclure à mon plan de traitement. On me disait par exemple qu’il fallait penser à telle ou telle cible, alors que je sais que ce n’est pas pertinent», relate la pharmacienne, frustrée et dubitative. «Je me demande si nos évaluateurs ont déjà mis les pieds dans une pharmacie communautaire et s'ils tiennent compte du contexte de notre milieu.»L’an passé, seuls cinq pharmaciens n’ont pas satisfait aux exigences de l’auto-inspection. Ces dernières années, ils sont en moyenne moins de 5% dans ce cas-là. Parce qu’ils n’ont pas rempli le questionnaire avec sérieux ou car «leur PPCP ou leur PPAI était trop succinct, on ne voyait pas leur démarche, il y avait des éléments inquiétants ou dangereux», indique pêle-mêle Chantal St-Arnaud. En pareilles circonstances, «on ne ferme pas leur dossier», poursuit-elle en expliquant que cela aboutit à une visite d’inspection en bonne et due forme. «L’auto-évaluation n’est pas une méthode de sélection des pharmaciens à inspecter», précise toutefois l'inspectrice en chef.200 visites d’inspection par anChaque année, les onze inspecteurs de l’OPQ réalisent 200 inspections sur le terrain. Il peut s’agir d’«inspections individuelles», qui s’attachent à la pratique d’un professionnel en particulier, d’«inspections sur le circuit du médicament», qui concernent uniquement les propriétaires, ou d’«inspections sur l’organisation des soins et services pharmaceutiques», qui visent les chefs de département de pharmacie en établissement. En fonction de la veille effectuée sur les registres des incidents et erreurs des pharmacies, d’autres inspections ciblées peuvent être réalisées lorsqu’un risque est identifié en matière de préparation de magistrales, de gestion des substances désignées ou de délivrance des piluliers.Dans le lot, Chantal St-Arnaud distingue les inspections aléatoires de celles qui ne le sont pas. Moins nombreuses, les premières s’intéressent à des professionnels «tirés au hasard par ordinateur. On n’a pas de matrice de risque comme le Collège des médecins», signale la directrice. Elle précise que «90% des dossiers d’inspection aléatoire sont fermés d’entrée», l’immense majorité des professionnels satisfaisant aux standards de pratique de l’OPQ. Quand il s’agit d’une inspection non aléatoire, «notre état d’esprit n’est pas le même», convient Chantal St-Arnaud. Les pharmaciens visés sont en grande partie référés par le bureau du syndic de l’Ordre, qui a des raisons légitimes de suspecter des pratiques à risque pour le public. Les autres font l’objet d’un signalement de la part d’un pair ou d’un professionnel de la santé. «En général, la situation mérite une correction et celle-ci a souvent déjà été apportée», observe la directrice, ajoutant que son équipe n’a pas une approche punitive. «On n’est pas des enquêteurs et on n’a pas de stratégie d’enquête. L'événement est derrière eux, l’idée est de les aider à le corriger pour éviter qu’il ne se reproduise.»À lire aussi: 7 façons de s'assurer de ne pas rater d’information cruciale sur les patients pour éviter les incidents médicamenteuxDédramatiser l’inspectionAléatoire ou non, l’inspection commence d'abord par une rencontre virtuelle avec l’intéressé. «C’est une première prise de contact. On répond à leurs questions, on leur explique pourquoi ils sont inspectés et comment ça va se dérouler», renseigne Chantal St-Arnaud, l’objectif étant de réduire le stress inhérent à cette situation jamais plaisante. Le pharmacien a ensuite quatre semaines pour se préparer à la visite sur place de l’inspecteur, qui dure de deux à trois heures. «On vient dans leur bulle les observer sans les interrompre dans leur travail.» Dans les jours qui suivent, une nouvelle rencontre virtuelle de débriefing est organisée.L’inspecteur rédige ensuite son rapport en suivant une grille d’évaluation qui permet de jauger les compétences du professionnel. «S’il y a quelques éléments à corriger, on formule des recommandations, puis on ferme le dossier», indique la directrice. Huit fois sur dix, l’inspection se conclut ainsi. Pour les 20% restants, elle débouche sur un suivi plus ou moins serré. «On peut demander une preuve de correction des lacunes observées dans un échéancier donné. S’il y a des enjeux pour la protection du public, on peut aussi décider d’effectuer une inspection de contrôle dans les un à deux ans suivants. Enfin, il arrive qu’on enclenche une inspection complémentaire si on a constaté des pratiques à risque dans le cadre d’une inspection individuelle», détaille Chantal St-Arnaud.Dans cette dernière éventualité, qui survient bon an mal an une dizaine de fois, le professionnel passe une entrevue orale durant laquelle on lui soumet des cas cliniques à résoudre. «En cas d’échec à cet examen, on peut imposer au professionnel des formations et/ou des stages», explique l’inspectrice en chef de l’OPQ. D’après les témoignages reçus, celle-ci est à l’aise d’affirmer qu’à l’issue d’une inspection, «les pharmaciens sont rassurés de constater que leur ordre fait bien son travail pour sécuriser le public. C’est un travail apprécié.» Une opinion partagée par Anne-Marie Fragasso: «J’ai le sentiment que l’OPQ se soucie du professionnalisme des pharmaciens, mais aussi de leur bien-être et de la réalité de leur pratique. Ça aussi, ça a un impact sur la protection du public.»

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