La visite de l’Office québécois de la langue française

J’aurais vraiment aimé écrire cette histoire en français, langue dans laquelle s’est déroulée la majeure partie de cette histoire. (NDLR: Veuillez noter que ce texte initialement publié par le Canadien Healthcare Network a été traduit par Profession Santé.)Mes compétences en français, bien que certainement fonctionnelles dans un contexte médical, ont été érodées par les huit années que j’ai passées à Toronto. Mon français écrit, qui n’a jamais été particulièrement bon, ne me permet pas d’écrire correctement tout en étant convaincante et spirituelle. Alors, chers lecteurs francophones, je vous prie de m’excuser.Ceux d’entre vous qui vivent au fond d’une grotte ou dans le ROC (Rest of Canada) ne connaissent peut-être pas l’Office québécois de la langue française (OQLF), l’organisme gouvernemental responsable de l’application des lois sur la langue française dans la province. Il dispose d’inspecteurs qui, je suppose, sont de vrais défenseurs du français, des chiens d’attaque bureaucratiques, chargés de repérer n’importe quel cas d’utilisation illégale de l’anglais. Ils conseillent ensuite des changements ou infligent des amendes. Dans le pire des cas, ils peuvent même fermer votre organisation. Même si les établissements de santé sont censés être exemptés, l’OQLF a décidé qu’il y avait suffisamment de raisons pour inspecter notre CIUSSS. Lorsqu’ils ont décidé de nous honorer de leur visite, la réaction générale a été, comment dire, peu enthousiaste. Ce CIUSSS est une entité complexe, centrée sur un hôpital universitaire de soins tertiaires. Il comprend cinq CLSC, cinq unités d’enseignement en médecine familiale, des centres de réadaptation et des hôpitaux gériatriques. Il s’agit de la communauté la plus diversifiée de la province sur le plan culturel et ethnique, 38% de sa population étant des nouveaux arrivants au Canada et 13% ne parlant ni l’anglais ni le français. Comme le financement des CLSC est basé sur le nombre de patients couverts par le régime provincial d’assurance-maladie, nous sommes également confrontés à des difficultés financières et devons faire plus avec moins. Lorsque nous avons appris que l’OQLF était sur le point de débarquer, cela a causé beaucoup de stress à la clinique du CLSC, car nos secrétaires qui travaillent fort, au lieu de téléphoner aux gens pour prendre rendez-vous et de faire appel à nos traducteurs pour informer nos patients de leurs consultations à l’hôpital dans une langue qu’ils peuvent comprendre, couraient partout dans l’immeuble pour vérifier les affiches et écrire sur les contenants à aiguilles. Une de mes collègues francophones a fait un cauchemar: un inspecteur s’était fait passer pour un patient et, au vu de ce qu’il lui avait dit ou de son accent, elle avait supposé qu’il s’agissait d’un anglophone. Elle s’était donc adressée à lui en anglais et s’était fait licencier. Je me suis réveillée en criant: «Je parle français, je vous le promets », m’a-t-elle raconté, et nous avons ri. Tout le monde était sur les nerfs. Je suis allée voir ma propre médecin, qui travaille dans un de nos autres CLSC. Elle m’a raconté qu’elle était en train de faire des téléphones lorsqu’une équipe de l’OQLF a ouvert la porte. Ils lui ont dit: «On ne veut pas vous déranger». «Et pourtant… », leur a-t-elle répondu. Ils sont entrés dans son petit bureau et ont discuté un moment pour savoir s’il était acceptable de laisser au mur un dessin d’enfant légendé par «I love you Dre M.» Ma médecin leur a demandé s’ils pensaient que cette activité était une manière productive d’utiliser l’argent des contribuables, compte tenu de l’état du système de santé. «Maintenant, vous pouvez partir et me laisser retourner à mon vrai travail», leur a-t-elle lancé. Ils ont battu en retraite.Je n’étais pas là lorsque l’inspectrice est venue sur notre site. J’ai eu de la chance, car je ne sais pas très bien me faire oublier. Quelqu’un l’a décrite comme se promenant - tap, tap, tap - sur ses talons hauts, habillée d’un tailleur, perles autour du cou, avec son bloc-notes dans une main et un appareil photo dans l’autre. Elle se distinguait du reste du personnel soignant, qui portait des blouses et des chaussures confortables. À un moment donné, elle est entrée dans un bureau qu’une résidente avait quitté pendant quelques minutes pour revoir le cas avec l’équipe. La patiente en avait profité pour aller aux toilettes et, à son retour, elle a constaté que l’inspectrice était entrée et qu’elle était en train d’arracher des affiches sur un des murs. La patiente est restée sur le pas de la porte, regardant l’inspectrice avec incrédulité et stupéfaction. Lorsque la résidente et ses collègues sont revenus dans la pièce, ils ont trouvé la patiente en train de regarder les restes en lambeaux des affiches colorées qui avaient rendu le bureau si accueillant. D’une petite voix, elle a déclaré: «Je pensais que c’était un endroit sûr!» Beaucoup de nos patients ont subi des violences de toutes sortes. Une fois, un de mes patients s’est écrasé au sol en entendant une porte claquer de l’autre côté du couloir. Une grande partie de ce que nous enseignons dans nos CLSC consiste à aborder les patients avec les yeux grand ouverts, prêts à faire face aux effets continus des traumatismes. La préservation de la langue française au Québec est une chose importante, et beaucoup de gens le ressentent profondément. C’est aussi le résultat d’un traumatisme générationnel. Le gouvernement fait plein de déclarations qui me semblent être des fantasmes et déforment les statistiques pour faire paraître la situation plus grave qu’elle ne l’est. La plupart des enfants de parents immigrés parlent couramment le français et sont capables de réussir à l’école et au travail grâce à leurs compétences linguistiques. Pourquoi le gouvernement se soucie-t-il de la langue qu’ils parlent dans l’intimité de leur foyer, dans leur chambre à coucher ou dans le cabinet de leur médecin?Dans notre clinique, où nous nous efforçons de soigner des personnes qui comptent parmi les plus vulnérables sur les plans médical, économique et social, prétendre qu’après six mois passés dans la province, les gens devraient être capables de composer avec les complexités du système de santé dans la langue de Molière est une chimère à laquelle nous ne pouvons pas nous permettre de croire. Notre équipe hétéroclite de professionnels de la santé est prête à faire de son mieux pour aider nos patients à se nourrir, à vivre dans un endroit sûr, à être pris en charge médicalement et à éviter autant que possible les salles d’urgence. Nous ne nous soucions guère de la langue que nous utilisons pour y parvenir. En passant, nous avons obtenu d’excellents résultats au terme de notre inspection.La Dre Perle Feldman est médecin de famille et pratique à Montréal.Vous souhaitez vous aussi faire valoir votre point de vue sur un enjeu du système de santé? Apporter une réflexion vis-à-vis de votre profession?Envoyez-nous un texte d'opinion à titre de professionnel de la santé ou d'association en santé, afin qu'il soit relayé sur le site. Plus d'infos >

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