«La rétention de la main-d'oeuvre infirmière est notre priorité» - Marie-Hélène Carbonneau

Comme d'autres établissements de santé de Montréal, l'Institut de cardiologie fait présentement face à une lourde demande de patients qui doivent se faire opérer.Privé pendant plusieurs mois d'un bloc opératoire et devant composer avec une pénurie d'une vingtaine d'infirmières aux soins intensifs sur 120 postes disponibles, l'Institut de cardiologie a dû réorganiser en profondeur sa façon de gérer le personnel infirmier.Rencontre avec l'une des architectes de cette refonte, la directrice des soins infirmiers Marie-Hélène Charbonneau.Contrairement à d'autres hôpitaux, l'Institut n'a pas recours aux services des agences privées en soins infirmiers. Pourquoi?L'Institut offre des soins ultraspécialisés, qui nécessitent des mois de formation pour les infirmières que nous embauchons. C'est complexe de traiter un patient cardiaque !Bien que je ne remette pas en cause les compétences générales des infirmières d'agences, nous n'avons aucune marge de manœuvre dans les interventions réalisées à l'Institut.Nous préférons donc reporter certaines chirurgies électives plutôt que d'offrir des soins qui pourraient se révéler de moindre qualité.Y a-t-il beaucoup de ces reports?Idéalement, nous pourrions effectuer une quarantaine de chirurgies par jour. Or, cela oscille présentement entre 30 et 40.Pour atténuer le retard accumulé, nous effectuons certaines chirurgies en urgence et nous en faisons aussi les fins de semaine. Chaque patient est évalué sur une base quotidienne. Mais cela risque de prendre plusieurs mois...Avez-vous recours aux heures supplémentaires obligatoires afin de garder les infirmières en poste?Très peu. Dans les neuf derniers mois, on parle d'un total d'une trentaine d'heures supplémentaires obligatoires, causées en bonne partie par trois greffes survenues durant une seule fin de semaine.Depuis deux ans, nous essayons de recourir le moins possible au TSO (temps supplémentaire obligatoire), car les effets à long terme sont désastreux sur les relations de travail. C'est un cercle vicieux.Nos infirmières sont des êtres humains, pas des robots. J'ai vu trop d'infirmières traverser les couloirs en larmes lorsqu'elles venaient d'apprendre qu'elles devaient rester.Comment faites-vous alors pour éviter la rupture de services?Il faut constamment faire preuve de créativité. À l'Institut, chaque heure de soins infirmiers est planifiée de façon très serrée. Ce n'est pas simple, mais c'est une démarche essentielle pour s'assurer que nos infirmières n'aient pas trop de pression.L'importance est mise sur la rétention de notre main-d'oeuvre. Lorsqu'une infirmière démissionne, nous la rencontrons pour qu'elle nous explique ses raisons. Certaines trouvaient notamment que les équipes étaient trop grosses. Eh bien, nous avons réduit leur taille.Nous avons fait le calcul: chaque infirmière qui nous quitte équivaut à une perte nette de 10 000 $ pour l'Institut. Si on perd cinq infirmières, que peut-on faire avec cet argent pour mieux faire les choses ?Et les horaires?Il faut tenir compte de la réalité de nos infirmières. On parle souvent de conciliation travail-famille, mais il y a aussi la conciliation travail-études ou la conciliation travail-trafic routier ! Nous offrons donc des quarts de travail de 12 heures ou des horaires sur quatre jours.Nous avons aussi amélioré la gestion de nos quarts de nuit. Par exemple, plutôt que de forcer une infirmière des soins intensifs à faire des heures supplémentaires obligatoires, nous demandons à l'une de ses anciennes collègues, maintenant rendue aux soins coronariens, si elle veut rester.Une ou deux fois par année, nous rehaussons également, pour les infirmières qui le désirent, tous les postes à temps partiel en postes à temps plein, incluant ceux des quarts de jour. Cela accroît ainsi le nombre d'heures payées à temps régulier, réduisant du coup les heures supplémentaires.Quel est le principal défi relié au fait de gérer des équipes de jour, de soir et de nuit?La plupart de nos infirmières expérimentées travaillent le jour, alors que les jeunes infirmières travaillent le soir et la nuit. L'une des mesures que nous avons mises en place pour corriger ce problème est d'offrir la possibilité aux infirmières de ne travailler qu'une semaine sur trois si elles acceptent de faire les quarts de nuit durant cette fin de semaine.Il reste cependant difficile de favoriser le mentorat et la transmission de connaissances. Nous avons deux monitrices qui ont accepté de travailler les soirs, mais nous n'avons personne la nuit.Comment intégrez-vous les IPS?Nous avons présentement six infirmières praticiennes spécialisées en cardiologie à l'Institut, mais nous en voudrions douze.Elles font un travail exceptionnel. Elles peuvent intervenir sur des cas très complexes impliquant plusieurs pathologies. Elles sont très présentes dans des domaines comme l'insuffisance cardiaque ou les soins palliatifs, où une grande attention est nécessaire. Les médecins sont ravis de leur présence.Là où le bât blesse, c'est que, comme d'autres établissements, nous n'avons pas les ressources financières pour en embaucher davantage à même nos budgets de soins infirmiers. Il faut que le gouvernement nous donne des budgets protégés pour l'embauche des IPS.Comment percevez-vous le leadership du gouvernement et du ministre de la Santé?Je pense que le ministre ne peut pas porter tout le blâme. Il est arrivé à son poste avec un boulet attaché à sa cheville. Mais le boulet grossit...Je ne sais pas si c'est la vision qui est déficiente ou si on ne pense pas assez à long terme, mais un élément important nous manque.Par exemple, nous avons 33 % plus d'infirmières aujourd'hui qu'en 2003, pourtant je n'annulais pas de chirurgies en 2003 ! Le problème n'est pas le nombre, mais le contexte dans lequel il se trouve.Le vieillissement de la population, la complexification des cas et l'utilisation de traitements de plus en plus poussés sont probablement les éléments qui font en sorte que le système ne s'améliore pas.Une autre lacune importante entoure tout ce qui touche aux soins de première ligne et aux soins à domicile. Par exemple, si on sait à l'hôpital que notre patient sera complètement seul et isolé à la maison, sans nourriture fraîche dans son réfrigérateur, nous ne pouvons pas lui donner son congé.Comme société, il faut responsabiliser nos patients et leurs familles. Les patients ont le droit d'obtenir des soins de qualité, mais leurs familles doivent aussi s'en occuper. C'est un sujet qu'on aborde peu et qui mériterait qu'on s'y attarde.Accorder la priorité à l'écouteLorsqu'elle est devenue directrice des soins infirmiers de l'Institut de cardiologie, Marie-Hélène Carbonneau raconte que plusieurs lettres contenant des griefs syndicaux l'attendaient. « Je me suis dit: "oh non, ça ne fonctionnera pas comme ça avec moi !" »La gestionnaire priorise l'écoute avant tout. « Les infirmières savent où est mon bureau. On se croise dans le couloir. On peut se parler. Bien sûr, je ne peux pas accéder à toutes leurs demandes, mais je suis à l'écoute de leurs besoins. C'est bien plus simple comme ça ! »Biographie1983: Obtient son permis de pratique comme infirmière;1983-85: Travaille comme infirmière à l'Hôpital général juif de Montréal;1985-1990: Travaille à l'Institut de cardiologie de Montréal;1991-2006: Retour à l'Hôpital général juif;2006-aujourd'hui: DSI de l'Institut de cardiologie.

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