La recherche sur le cancer prend son envol

L’environnement de faible gravité que procure l'espace présente diverses qualités qui peuvent accélérer la recherche sur la croissance et le comportement des cellules cancéreuses, ainsi que la mise au point de nouvelles molécules pour traiter le cancer. En effet, une avancée est déjà utilisée en pratique clinique. Il s’agit d’une version améliorée du médicament Keytruda (pembrolizumab), utilisé pour traiter plusieurs cancers.Avant de faire l'objet de recherches sur la Station spatiale internationale (SSI), le Keytruda était administré via une ligne ou un port, indique Bill Nelson, administrateur de la NASA.Mais «à bord de la station, nos astronautes ont pu mettre au point des méthodes de croissance des cristaux de protéines qui ont permis d'administrer le Keytruda d'une nouvelle manière: par injection intraveineuse», qui peut être administrée en 20 minutes seulement, a-t-il précisé. Le Dr Nelson a participé à un récent événement virtuel organisé par la NASA et consacré à la recherche sur le cancer dans l'espace.L'année dernière, la NASA a obtenu une augmentation du financement de la recherche sur le cancer dans l'espace dans le cadre du programme Moonshot Cancer du président américain Joe Biden. La SSI orbite autour de la Terre toutes les 90 minutes et, depuis novembre 2000, près de 4000 expériences différentes ont été menées dans diverses disciplines par plus de 5000 chercheurs de plus de 100 pays. Cela inclut des utilisateurs commerciaux, universitaires et gouvernementaux.La SSI offre un environnement unique pour la recherche, avec un domaine d'intérêt majeur: la médecine. À l'origine, il s'agissait notamment d'étudier les effets de l'espace sur les astronautes. La microgravité entraîne une perte osseuse, des modifications de la vision et de la forme des globes oculaires, des effets cardiovasculaires, et plus encore. À cela s'ajoutent les effets des radiations. À titre d'exemple, en 2009, l'astronaute canadien Bob Thirsk a réalisé des expériences et a recueilli des données dans le cadre du projet CCISS (Canadian Cardiovascular and Cerebrovascular Control). Le projet CCISS a été lancé en grande partie à cause du phénomène d'étourdissement et d'évanouissement ressenti par les astronautes.Bien qu'il s'agisse de sujets liés aux voyages dans l'espace, il existe un grand nombre d'applications pour les habitants de la Terre.«Nous explorons l'espace pour scruter le ciel et améliorer la vie sur Terre, notamment en nous attaquant à cette maladie redoutable qu'est le cancer», indique le Dr Nelson. C'est pourquoi la NASA participe au programme Moonshot du président.En bref, trois catégories de recherche génèrent des résultats prometteurs dans l'espace: la croissance des cristaux de protéines, les nanoparticules et l'ingénierie tissulaire, et les cellules souches.À lire aussi: EZResus à la conquête de l’espaceÀ bien des égards, l'espace est un meilleur endroit pour travailler et cultiver des modèles de tissus en 3D.Avec la gravité terrestre, «il est plus difficile de cultiver des modèles 3D de certains tissus, de cellules souches et de nombreux tissus d'organes, également connus sous le nom d'organoïdes. En revanche, en microgravité, nous pouvons cultiver ce type de tissus et les utiliser comme terrains d'essai pour le dépistage et la détection des cancers liés aux cellules souches. Nous pouvons également tester différents médicaments sur des organoïdes infestés de cancer», explique le Dr Nelson.Selon Michael Roberts, docteur en microbiologie, la SSI mène actuellement de nombreuses expériences avec diverses entreprises et chercheurs universitaires qui se concentrent sur l'amélioration de l'administration de médicaments à l'aide de nanoparticules. M. Roberts est directeur scientifique de la SSI et vice-président du Centre pour l'avancement des sciences dans l'espace (CASIS).Les nanoparticules peuvent être utilisées pour améliorer l'efficacité du ciblage des médicaments anticancéreux, des chimiothérapies ou des thérapies cellulaires. Elles peuvent également servir de «cadres ou de structures sur lesquels on peut construire, par exemple, du cartilage pour réparer des lésions tissulaires».Mais pourquoi l'espace est-il spécial pour ce travail?En microgravité, «il n'y a pas de convection par rebond. Les éléments les plus lourds ne se déposent pas au fond des liquides, et les éléments les plus légers ne flottent pas toujours au sommet. Cela permet aux systèmes biologiques, aux cellules à plusieurs niveaux ou aux organismes entiers, y compris les humains, de réagir à ce changement d'environnement», précise le directeur scientifique de la SSI.Les effets de ce changement, même au niveau moléculaire, sont profonds.Il est important de noter que «selon une découverte récente, ces effets peuvent entraîner une accélération de l'apparition et de la progression des changements physiologiques, et des changements au niveau moléculaire qui reproduisent l'apparition de certaines maladies et leur progression», ajoute-t-il. Cette accélération de l'activité cellulaire ouvre d'autres portes à la recherche.La Dre Catriona Jamieson, de l'Université de Californie à San Diego, a expliqué que son équipe avait créé des organoïdes tumoraux, ou mini-modèles de tumeurs. Ils ont ensuite été envoyés dans l'espace, où les astronautes ont recueilli et transmis des images.«Nous avons constaté que le cancer dans l'espace peut tripler de taille en seulement 10 jours à bord de la SSI. C'est un environnement accélérant», révèle-t-elle. Elle est également cofondatrice d'Aspera Biomedicines.À lire aussi: Ottawa investit 15,3 M$ dans le développement de l'intelligence artificielle en santéEn quoi le cancer est-il différent dans l'espace? «Il commence à subir ce clonage, ce potentiel de réplication qui est dormant et qui se libère dans des conditions de stress ou d'inflammation, et c'est ce que nous voyons dans l'espace. Ces divisions symétriques qui définissent une cellule souche, c'est ce que nous voyons dans le cancer et c'est ce que nous voyons se produire rapidement à bord de la SSI», explique la Dre Jamieson.Il a été observé que les signaux inflammatoires et de stress plus intenses dans un environnement spatial pouvaient déclencher l'apparition d'un cancer, d'un précancer et d'une progression d'un précancer vers un cancer à part entière. Après sept missions dans la SSI, elle et son équipe de recherche ont décidé d'étudier deux médicaments, le rebecsinib et le fedratinib, pour tester leurs effets sur ces processus.Le rebecisnib est un médicament expérimental et les chercheurs travaillent à la création d'un comprimé.Le fedratinib avait déjà été approuvé par la FDA pour la myélofibrose avant d'être envoyé à la SSI. La Dre Jamieson a déclaré par courriel au Medical Post que dans des travaux plus récents, «nous observons une activité dans les organoïdes du cancer du sein, bien que dans une moindre mesure que le rebecsinib, qui est un inhibiteur ADAR1 plus puissant».Elle précise que la capacité de clonage d'une cellule souche cancéreuse est différente de celle d'une cellule souche normale. «Une cellule souche cancéreuse ne peut pas désactiver le clonage. Les cellules souches normales savent comment le réguler», spécifie-t-elle. Grâce aux travaux menés dans l'espace, les chercheurs ont pu identifier un interrupteur d’autodestruction du cancer, ce qui ouvre de nouvelles portes à la recherche et à d'éventuels traitements. Plusieurs équipes canadiennes participent à la recherche sur le cancer à bord de la SSI. Selon l'Agence spatiale canadienne, voici quelques exemples:Un groupe des Laboratoires nucléaires canadiens étudie le stress oxydatif et les réactions inflammatoires chez les rongeurs exposés aux radiations de l'espace.Une équipe de Santé Canada étudie l'évaluation biologique des doses de rayonnement pour les astronautes.Un groupe de l'Université Simon Fraser a étudié les dommages génomiques subis par C. elegans lors de vols spatiaux de longue durée.Il y a aussi le nouveau groupe d'intérêt en médecine spatiale de l'Université McGill. L'un des fondateurs, Adi Mithani, étudiant en médecine, a déclaré: «L'objectif est de sensibiliser les étudiants en médecine au domaine de la médecine spatiale, en leur montrant comment ils peuvent utiliser leur formation en médecine et l'appliquer non seulement aux personnes vivant dans des environnements austères, mais aussi aux personnes ordinaires ici sur Terre. Il ne s'agit donc pas seulement de l'espace, mais aussi des personnes vivant dans des communautés isolées».

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