La polio aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Israël révèle un risque rare lié au vaccin oral

Pendant des années, les responsables de la santé mondiale ont utilisé des milliards de gouttes d'un vaccin oral dans le cadre d'une campagne remarquablement efficace visant à éradiquer la polio dans ses derniers bastions - généralement des régions pauvres et politiquement instables du monde. Aujourd'hui, dans un revirement surprenant des efforts déployés depuis des décennies pour éradiquer le virus, les autorités de Jérusalem, New York et Londres ont découvert des preuves que la polio s'y propage. La source originale du virus? Le vaccin oral lui-même. Les scientifiques connaissent depuis longtemps ce phénomène, extrêmement rare. C'est pourquoi certains pays ont adopté d'autres vaccins contre la polio. Mais ces infections accidentelles dues à la formule orale deviennent plus flagrantes à mesure que le monde se rapproche de l'éradication de la maladie et que le nombre de cas de polio causés par le virus sauvage, ou circulant naturellement, s'effondre. Depuis 2017, 396 cas de polio causés par le virus sauvage ont été recensés, contre plus de 2600 liés au vaccin oral, selon les chiffres de l'Organisation mondiale de la santé et de ses partenaires. «Nous remplaçons essentiellement le virus sauvage par le virus du vaccin, ce qui conduit maintenant à de nouvelles épidémies, a déclaré Scott Barrett, un professeur de l'Université Columbia qui a étudié l'éradication de la polio. Je suppose que des pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis seront en mesure d'arrêter la transmission assez rapidement, mais c'est aussi ce que nous pensions pour la variole simienne.» Pour la première fois depuis plusieurs années, ces derniers incidents indiquent que le virus de la polio - lié à la vaccination - est apparu dans les pays riches. Au début de cette année, les autorités israéliennes ont détecté la polio chez un enfant de 3 ans non vacciné, qui a souffert de paralysie. Plusieurs autres enfants, presque tous non vaccinés, ont été trouvés porteurs du virus mais sans symptômes. En juin, les autorités britanniques ont affirmé avoir trouvé dans les eaux usées des preuves de la propagation du virus, bien qu'aucune infection humaine n'ait été identifiée. La semaine dernière, le gouvernement a déclaré que tous les enfants londoniens âgés de 1 à 9 ans se verraient offrir une injection de rappel. Aux États-Unis, un jeune adulte non vacciné a souffert d'une paralysie des jambes après avoir été infecté par la polio, ont révélé les autorités de New York le mois dernier. Le virus a également été détecté dans les égouts de New York, ce qui laisse penser qu'il se propage. Mais les autorités ont précisé qu'elles ne prévoyaient pas de campagne de rappel car elles estiment que le taux de vaccination élevé de l'État devrait offrir une protection suffisante. Les analyses génétiques ont montré que les virus présents dans les trois pays étaient tous «dérivés du vaccin», ce qui signifie qu'il s'agissait de versions mutées d'un virus issu du vaccin oral. Le vaccin oral en question est utilisé depuis 1988 parce qu'il est bon marché, facile à administrer - deux gouttes sont mises directement dans la bouche des enfants - et qu'il protège mieux des populations entières lorsque la polio se propage. Il contient une forme affaiblie du virus vivant. Mais il peut aussi provoquer la polio chez environ deux à quatre enfants pour 2 millions de doses (quatre doses sont nécessaires pour être complètement immunisé). Dans des cas extrêmement rares, le virus atténué peut aussi parfois muter en une forme plus dangereuse et déclencher des épidémies, en particulier dans les endroits où l'assainissement est insuffisant et les taux de vaccination faibles. Ces épidémies commencent généralement lorsque les personnes vaccinées excrètent le virus vivant du vaccin dans leurs excréments. À partir de là, le virus peut se propager au sein de la communauté et, avec le temps, se transformer en une forme qui peut paralyser les gens et déclencher de nouvelles épidémies. De nombreux pays qui ont éliminé la polio sont passés à des vaccins injectables contenant un virus inactivé il y a plusieurs décennies pour éviter de tels risques; les pays nordiques et les Pays-Bas n'ont jamais utilisé le vaccin oral. L'objectif ultime est de faire passer le monde entier aux vaccins injectables une fois que la polio sauvage aura été éradiquée, mais certains scientifiques estiment que le changement devrait intervenir plus tôt. «Nous n'aurions probablement jamais pu venir à bout de la polio dans les pays en développement sans le vaccin oral, mais c'est le prix que nous payons maintenant», a indiqué le Dr Paul Offit, directeur du Centre d'éducation sur les vaccins à l'hôpital pour enfants de Philadelphie. «La seule façon d'éliminer la polio est d'éliminer l'utilisation du vaccin oral.» Aidan O'Leary, directeur du département polio de l'OMS, a décrit la découverte de la propagation de la polio à Londres et à New York comme «une surprise majeure», disant que les responsables s’étaient concentrés sur l'éradication de la maladie en Afghanistan et au Pakistan, où des agents de santé ont été tués pour avoir vacciné des enfants et où le conflit a rendu l'accès à certaines zones impossible. Néanmoins, M. O'Leary s'est dit confiant qu'Israël, le Royaume-Uni et les États-Unis contiendront les nouveaux foyers d’épidémie localisés qu'ils viennent d'identifier. Le vaccin oral a permis de réduire considérablement le nombre d'enfants paralysés par la polio. Lorsque l'effort mondial d'éradication a commencé en 1988, il y avait environ 350 000 cas de polio sauvage par année. Jusqu'à maintenant en 2022, 19 cas de polio sauvage ont été recensés, tous au Pakistan, en Afghanistan et au Mozambique. En 2020, le nombre de cas de polio liés au vaccin a atteint un pic de plus de 1100 cas, répartis dans des dizaines de pays. Il a baissé depuis à environ 200 cette année jusqu'à présent. L'année dernière, l'OMS et ses partenaires ont également commencé à utiliser un vaccin antipoliomyélitique oral plus récent, qui contient un virus vivant mais affaibli qui, selon les scientifiques, est moins susceptible de muter en une forme dangereuse. Mais les stocks sont limités. Pour arrêter la polio en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en Israël, il faut davantage de vaccination, disent les experts. M. Barrett, de l'Université de Columbia, craint que cela ne soit difficile à l'ère de la COVID-19. «Ce qui est différent aujourd'hui, c'est la diminution de la confiance envers les autorités et la polarisation politique dans des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, a soutenu M. Barrett. La présomption selon laquelle nous pouvons augmenter rapidement le taux de vaccination peut être plus difficile à réaliser maintenant.» Oyewale Tomori, un virologue qui a contribué à diriger les efforts du Nigéria pour éliminer la polio, a dit que, par le passé, ses collègues et lui-même ont hésité à décrire les épidémies comme étant «dérivées du vaccin», redoutant que cela ne fasse qu’augmenter la crainte des gens face au vaccin. «Tout ce que nous pouvons faire, c'est expliquer comment le vaccin fonctionne et espérer que les gens comprennent que la vaccination est la meilleure protection, mais c'est compliqué, a nuancé M. Tomori. Avec le recul, il aurait peut-être été préférable de ne pas utiliser ce vaccin, mais à l'époque, personne ne savait que cela se passerait ainsi.»

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