La peur du syndic est-elle justifiée?

Le 27 juin 2025, Profession Santé rapportait une décision disciplinaire de l'Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) visant deux pharmaciens (en deux jugements) ayant présenté de «graves négligences dans la délivrance des médicaments» chez un patient traité par anticoagulant et qui, pour des raisons de non-observance au traitement, a malheureusement fait un AVC et a subi des séquelles importantes et permanentes1.Il est important de préciser que l'infraction est à l'article 36 du Code de déontologie des pharmaciens, qui dit essentiellement que le pharmacien est responsable d'assurer le suivi requis, à moins de s'être assuré qu'un confrère ou qu'un autre professionnel ait pris en charge celui-ci. Ceci n’était donc pas une infraction sur la tenue de dossier2.Certaines informations me semblent aussi importantes à rappeler. D'une part, le patient ne semble pas s'occuper lui-même de sa médication. C'est son épouse ou sa fille qui font les démarches pour le renouvellement des ordonnances. De plus, il semble connu et admis que le patient présente des problèmes d'observance à sa thérapie médicamenteuse. Les jugements rapportent que l'épouse du patient refuse de faire renouveler l'ordonnance d'apixaban et qu’elle avait indiqué que son mari n'en avait pas besoin. Quel est son état cognitif et son degré d’implication dans la gestion de sa thérapie? La source de cette information n'est pas connue, mais la lecture laisse sous-entendre qu'il n'y a pas de note au dossier. Qu’elle provienne du dossier ou du témoignage des parties prenantes importe peu. Cela fait partie des faits, et ces faits ne sont pas contestés. Il semble donc qu’il y a une forme d’intervention et de suivi de la part des pharmaciens impliqués. C’est comme si les jugements ne disent pas tout.Ces jugements ont fait des vagues, ce n’est pas peu dire.Face aux nombreuses réactions des pharmaciens, notamment dans le groupe des pharmaciens du Québec sur Facebook, et bien que le syndic de l'Ordre des pharmaciens soit indépendant et que tant le conseil d'administration, que le président de l'OPQ ne puissent s'immiscer dans les enquêtes du syndic, il a senti le besoin de s’adresser aux pharmaciens3. Ces publications ont amené des réactions de l'APPSQ4 et de l’AQPP. Essentiellement, ces organismes demandent de clarifier les attentes documentaires et de trouver des modalités de concertation et d'accompagnement des pharmaciens du terrain en lien avec les nouvelles responsabilités professionnelles qui découleront de l'application du PL 67.Bien que la décision du Conseil de discipline porte sur le défaut de suivi, l'importance de la documentation des actions du pharmacien prend le haut du pavé.Il faut malheureusement mentionner que les règlements sur la tenue des dossiers des pharmaciens sont complètement muets sur la présence de notes d’évolution dans les dossiers. C’est dans le Code de déontologie que l'on retrouve la mention de l'obligation d'inscrire au dossier les actes professionnels accomplis dans le cadre des services pharmaceutiques (Article 41)5. Un peu incohérent… Cela devra être clarifié et corrigé.En tenant compte de toutes les informations précédentes, il demeure difficile de comprendre le jugement et la sanction. Le fait que les deux pharmaciens visés aient plaidé coupables me semble étonnant. Peut-être faut-il s'interroger sur les frais d'accompagnement juridique, qui font en sorte que des pharmaciens évitent de faire la bataille sur le fond pour économiser en sachant que des frais additionnels suivront. Ceci est hautement dommageable, tant pour les pharmaciens visés que pour l'impact sur la jurisprudence en pharmacie, qui en devient par le fait même incomplète ou biaisée.On peut facilement comprendre que le fait que notre profession ait vécu quatre changements de nos prérogatives professionnelles en 22 ans (PL 90, PL 41, PL 31 et PL67) est énorme et force des changements significatifs dans notre travail lui-même et dans l’organisation de celui-ci. Pas étonnant que nous soyons déstabilisés et inquiets dans ce contexte.Globalement, la réaction de notre profession à tous ces changements a été exceptionnelle ! Nous sommes en action, dans une gestion du changement qui est loin d’être évidente.Je crois que nous pouvons être fiers de ce que nous avons accompli.J’ai toutefois la conviction que davantage de soutien concret sur le terrain est requis. J’ai d’ailleurs fait des interventions et des propositions à l’Ordre à cet égard. J’ai hâte de voir la réponse et de vous en faire part.Les suggestions des autres intervenants qui se sont exprimés sont également légitimes et souhaitables. Une meilleure communication entre l’Ordre, le syndic et les pharmaciens est de nature à mieux nous soutenir dans ces changements. Une meilleure intégration des changement législatifs dans la loi, les règlements et les standards de pratiques me semblent aussi requis.Mais surtout, au final, le syndic n’est pas un BIG BROTHER qui surveille nos faits et gestes. La très grande majorité d’entre nous sommes responsables, engagés et passionnés. Ce qui n’exclut pas une certaine appréhension naturelle. La majorité d’entre nous ne serons jamais victimes d’une plainte disciplinaire. Il faut garder ça en tête.Références1- https://professionsante.ca/deux-pharmaciens-sanctionnes-pour-de-graves-manquements-dans-le-suivi-dun-patient-depuis-dans-un2- https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/P-10,%20r.%207%20/3- https://professionsante.ca/vers-une-meilleure-comprehension-des-decisions-disciplinaires4- https://professionsante.ca/sanctions-disciplinaires-pour-absence-de-notes-au-dossier-ca-cree-du-malaise-et-de-la-peur5- https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/P-10,%20r.%207%20/

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Marc Parent

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