La pertinence: une solution pour le réseau de la santé, un remède contre le cynisme des médecins

«Devenez des championnes et champions de la pertinence au quotidien à travers les gestes cliniques posés». C’est l’appel lancé jeudi aux professionnels de la santé — médecins en tête — par la Déclaration de Montréal sur les soins de santé pertinents. Cet énoncé initié par Collège québécois des médecins de famille (CQMF), endossé par 18 organisations *, poursuit un double objectif: l’amélioration de la qualité des soins et de leur accessibilité. Par la bande, il entend lutter contre la surutilisation des tests et des traitements, de même qu’il veut sensibiliser le grand public et les prescripteurs aux enjeux de surdiagnostic.«Le momentum est là. On veut mobiliser les forces vives qui peuvent influencer la pertinence», indique le président du CQMF, le Dr Alain Papineau. Citant le mantra du «bon soin, au bon moment, au bon endroit, au bon patient», il affirme que «la pertinence peut aider à améliorer le système de santé, dont tout le monde sait qu’il est en danger. C’est une solution réelle aux problèmes d’accès. En priorisant les examens et les traitements qu’on prescrit, on peut libérer de la place pour les patients qui en ont réellement besoin.»Dix ans après le lancement de la campagne Choisir avec soin, «on a fait des progrès, mais il reste énormément de travail à faire» estime de son côté le Dr René Wittmer, qui préside le comité directeur de cette campagne au Québec. Selon les données de l’Institut canadien d’information sur la santé, 30% des tests, des traitements et des procédures prescrits au Canada sont en effet considérés comme inutiles. Dit autrement, environ un geste sur trois posé par les professionnels de la santé ne présente aucun bénéfice pour les patients.Outre l’engorgement du réseau de la santé, «cela a un impact énorme sur les patients, mais aussi sur les médecins», note le Dr Wittmer. Il signale en premier lieu que la surutilisation de tests ou de traitements peut causer des préjudices aux patients. «Passer un scan qui n’était pas nécessaire, pour une lombalgie par exemple, expose la personne à de la radiation. Au mieux, on lui fait perdre du temps, au pire cela peut mener à des trouvailles fortuites qui ne sont pas dangereuses, mais qui peuvent l’inquiéter. Cela peut même nuire à sa capacité de contracter une assurance par la suite.»Pour le prescripteur, l’examen implique une visite de suivi pour expliquer les résultats et s’il y a une anomalie dans la zone grise, d’autres investigations seront nécessaires qui déboucheront sur d’autres examens et d’autres consultations de suivi. «On pense sauver du temps en “achetant la paix”, alors que cela peut avoir un effet boule de neige», observe le médecin de famille qui en revient à la lombalgie pour laquelle un diagnostic clinique est la plupart du temps indiqué. «Si j’utilise une ressource en imagerie pour une lombalgie aiguë, je vais pénaliser un autre patient qui souffre de métastase lombaire et qui, en attendant son examen, risque de revenir me consulter ou d’aller à l’urgence.»La Déclaration de Montréal souligne que choisir la pertinence est une approche qui «valorise une communication efficace permettant à chaque personne de comprendre l’ampleur des bénéfices et des préjudices des investigations et des thérapies proposées». Elle positionne surtout le patient «comme partenaire des décisions relatives aux soins qui lui sont offerts, tout en favorisant une démarche basée sur ses valeurs et ses préférences». Et elle exige notamment de «transformer la discussion entre les individus et les professionnels de la santé».«Retrouver le sens clinique de la pratique»Selon le Dr Wittmer, «on pourrait croire que les patients sont résistants, mais quand on prend le temps de leur expliquer la démarche, pourquoi on ne recommande pas tel ou tel test, ils comprennent bien», constate le jeune omnipraticien en soulignant que ses pairs ont tendance à surestimer ce temps de communication. «La décision partagée, ça prend en moyenne trois minutes dans la consultation et on sauve du temps par la suite. Il faut ramener la conversation sur les symptômes et sur le diagnostic clinique en leur présentant les effets néfastes d’un examen ou d’un traitement qu’on pense inutile. Si on leur dit juste “ce n’est pas indiqué”, ils vont pouvoir croire qu’on les rationne.»À titre personnel, le Dr Wittmer considère que cette médecine plus personnalisée constitue «un remède contre le burn-out et le cynisme des médecins». «On fait les choses par automatisme, en suivant les lignes directrices, alors que ce ne sont que des points de repère. Il faut sortir de nos habitudes pour retrouver le sens clinique de la médecine. Mes patients, ça leur parle. Et pour moi, c’est une pratique plus sensée», insiste le médecin de famille. Face aux difficultés d’accès du réseau de la santé, ajoute-t-il, «il ne faut pas algorithmer la médecine, mais la ramener à une conversation entre le médecin et son patient». Pour autant, le président de Choisir avec soin Québec ne blâme pas les médecins de famille d’être prudents et il est convaincu qu’ils ont de bonnes intentions. «Quand ils prescrivent un test ou un traitement, c’est qu’ils ont l’impression que ça pourrait aider le patient», avance-t-il en partant de la prémisse qu’ils ne sont peut-être pas bien informés ou qu’ils ignorent que certains tests peuvent s’avérer inutiles. «Il y a également des mythes tenaces au sein de la communauté médicale», comme au sujet de la prescription d’antibiotiques aux patients ayant une infection virale. «Ils se disent que s’ils n’en prescrivent pas, le patient va aller voir un autre médecin, or la littérature montre que ce n’est pas le cas; les patients veulent simplement comprendre.»Lire aussi: La déprescription comme norme de soinsS’informer pour s’appuyer sur la scienceL’autre enjeu, c’est la crainte d’une poursuite médico-légale ou d’être sanctionné en déontologie. «Alors c’est important que les ordres professionnels prennent part à la discussion et montrent que c’est important de prescrire les tests dans le bon contexte pour les patients», souligne le Dr Wittmer. Le Collège des médecins, l’Ordre des pharmaciens et celui des podiatres — tous trois signataires de la Déclaration de Montréal du CQMF — ont envoyé un signal en ce sens à leurs membres.Le Dr Papineau note pour sa part que «chaque médecin de famille a plus ou moins de facilité avec le risque». Il invite donc ses consœurs et ses confrères à consulter les énoncés de Choisir avec soin. «Ils sont bien documentés, appuyés sur la science. On peut se fier à ces recommandations pour engager la discussion avec les patients.» Dosage de la vitamine D chez les adultes à faible risque, tests de la fonction thyroïdienne chez les patients asymptomatiques, analgésie par opioïdes pour la douleur chronique, imagerie cardiaque à l’effort, dépistage du cancer de la prostate, etc., la section du site web de Choisir avec soin destinée aux professionnels de la santé présente une liste d’examens et de traitements couramment utilisés dans chaque spécialité médicale, mais dont la nécessité n’est pas appuyée par des preuves scientifiques. * Les organisations signataires de la Déclaration de Montréal sur les soins de santé pertinents: Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec, Association médicale canadienne, Association québécoise de la physiothérapie, Association québécoise des médecins pour l’environnement, Choisir avec soin Canada, Choisir avec soin Québec, Collège des médecins de famille du Canada, Collège des médecins du Québec, Collège québécois des médecins de famille, Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, Fédération médicale étudiante du Québec, Fédération des médecins spécialistes du Québec, Institut de la pertinence des actes médicaux, Médecins francophones du Canada, Médecins québécois pour le régime public, Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, Ordre des pharmaciens du Québec, Ordre des podiatres du Québec, Réseau canadien pour l’usage approprié des médicaments et la déprescription

La pertinence: une solution pour le réseau de la santé, un remède contre le cynisme des médecins

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes