Un film sur la mort… ou plutôt sur la vie

Elles ont toutes deux 35 ans et se font invariablement poser la question: pourquoi, à votre âge, réaliser un film sur la mort?«Parce que ça nous dérange qu’au Québec, notre société soit si complexée face à la mort. Nous l’avons compris de retour du Mexique, où nous avons assisté à un rituel coloré et porteur de sens à l’occasion de la fête des morts. Ça nous a ébranlées», répondent à Profession Santé Karine van Ameringen et Iphigénie Marcoux-Fortier.Réunies sous le nom d’artistes «Les glaneuses», les deux amies viennent de réaliser le documentaire Le pas de la porte1, qui prend l’affiche dans les cinémas de répertoire au Québec. «Nous sommes nous-mêmes en quête du sens de la vie. Par ce film, nous voulions susciter une réflexion sereine et montrer qu’on peut évoquer la mort sans être macabre.»De la mort, soutient Karine van Ameringen, nous connaissons surtout les forfaits, standardisés ou sur mesure, que proposent les salons funéraires. «Or, il doit bien exister d’autres façons de vivre le grand passage. C’est cette quête que le film raconte.»Révolution tranquilleLes deux jeunes femmes, qui se disent héritières de la Révolution tranquille, ont dû faire table rase du passé. «Nous avons en effet grandi dans un vide spirituel laissé par l’effacement de l’Église catholique. Nous voyons par ailleurs disparaître les derniers salons funéraires en milieu familial au Québec.»L’Église évoquait encore «la communauté des vivants et des morts», et le départ d’une personne pour l’au-delà était jadis également une affaire collective. «Or, aujourd’hui où nous sommes tous pressés, chacun fait les choses de son côté, et le plus vite possible», fait observer Iphigénie Marcoux-Fortier. «Cette précipitation nous met-elle vraiment dans les meilleures conditions pour vivre un deuil?»La communautéLe documentaire aborde la vision de la mort vue comme une affaire individuelle, pour inclure la communauté. Ainsi relate-t-il, par exemple, l’expérience du groupe La Traversée, en Estrie, autour de Diane Huguette Beauséjour, qui témoigne dans le film. Cette petite communauté cherche à s’entraider au moment de la mort. Une sorte de réseau social en somme, pour créer de nouvelles façons de se réapproprier la mort et d’y réfléchir… de son vivant.Une génération ou deux ont passé depuis la Révolution tranquille, poursuivent les Glaneuses, mais les mêmes questions existentielles demeurent, non-répondues. La science reste muette, disent-elles, et plus encore la médecine, puisque le modèle biomédical, à l’exception notable des soins palliatifs, ne voit dans la mort qu’une ennemie à vaincre et un échec thérapeutique.Cette vision médicale réductrice ne surprend aucunement Karine van Ameringen. «Elle épouse parfaitement l’idéal de bien des baby-boomers, avec cette quête de la jeunesse éternelle qui culmine dans le déni de la mort. La médecine n’a rien d’universel, elle ne fait que refléter les valeurs de son époque.»RituelsLes deux réalisatrices donnent la parole à des personnes qui osent réinventer les rituels de la mort. «Pas juste en s’inspirant du passé, mais en prenant racine dans les nouvelles valeurs. Il s’agit de permettre d’envisager une relation à la mort autrement que dans une logique commerciale.»Ce film sur la mort est en réalité un film sur la vie, disent-elles, «puisqu’une telle réflexion nous amène forcément à nous interroger sur le présent, sur notre vie, nos relations.» Karine van Ameringen croit aussi que ce siècle «nous laisse la chance unique de nous forger nos propres croyances, en nous appuyant ou non sur le passé, sans que ce soit associé à une croyance spécifique. Cette chance, saisissons-la!»Autonomie, vraiment?À l’heure où l’on parle tant de l’autonomie de la personne, les deux femmes posent les questions : quel genre de responsabilité l’individu a-t-il face à sa propre mort? Comment peut-il s’y préparer, la préparer, en parler à ses proches? Force est de constater, répondent-elles, qu’on escamote ces interrogations et qu’on s’en décharge sur les salons funéraires. «On se dit autonomes, mais on laisse à d’autres le soin de régler les choses pour nous. Quel paradoxe!»Attention, même si ce n’est pas un film coup de poing contre l’industrie funéraire, sa critique en reste marquée, insiste Iphigénie Marcoux-Fortier. «Les salons comblent un vide, mais pas tout le vide. A priori, il ne semble pas y avoir d’autres options, mais en y regardant pourtant de plus près, nous observons qu’il en existe, pour peu qu’on choisisse de diriger sa conscience sur la question de la mort.»Au moins, réfléchissons-y au plan des émotions, renchérit l’autre Glaneuse. Dans le film par exemple, Nadia, une jeune mère de famille, demande à sa mère mourante ce qu’elle peut faire pour elle. «Tu fais rien, tu restes là, près de moi!», répond la mère. Déjà la seule présence humaine est un début d’apaisement à l’angoisse de la mort.Pas besoin d’être mourants ou endeuillés pour réfléchir à la mort, résument les Glaneuses. «Tout le monde a une histoire à raconter face à la mort, une histoire belle, grandiose ou choquante.»Les «cafés mortels»Toutes deux déplorent par ailleurs le manque de tribunes publiques pour débattre librement de la mort et du deuil. Elles évoquent toutefois l’existence de lieux «spontanés», comme les quelque 900 «cafés mortels (Death Cafés)», à travers la planète. Des endroits qui tiennent à la fois du café philosophique, du club de lecture et du groupe de discussion2.Le film laisse parler, entre autres, Gilles et Gaétane, qui s’apprêtent à vendre leur salon mortuaire familial de Saint-Octave-de-Métis, en Gaspésie. L’institution accueillait les familles endeuillées depuis près d’un siècle.La Gaspésie, justement.Dans cette région du Québec – comme d’ailleurs en Mauricie et dans le Bas-Saint-Laurent - on enregistre, en 2014, plus de décès que de naissances. Ce sera le cas pour l’ensemble du Québec en 2034, selon les démographes.La mort, au pas de la porte, disions-nous…1. Le pas de la porte, 2013; 75 minutes. Filmographie des Glaneuses: Les Indiens, l’aigle et le dindon, 2014; Je serai là, 2010; Chère Rosalia, 2008, et «Quand reviens-tu?», 2005.2. Voir article de Gary Lawrence, 12 juin 2014, sur le site : www.lactualite.comPour se procurer le documentaire, contacter la maison de distribution Vidéo Femmes: distribution@videofemmes.orgPour communiquer avec les coréalisatrices et suivre les actualités du film: lesglaneuses.org et facebook.com/glaneuses

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