«La médecine de famille est à un tournant»

Membre du conseil d’administration du Collège québécois des médecins de famille (CQMF) depuis son inscription au tableau de l’Ordre en 2017, la Dre Geneviève Bois a toujours voulu s’impliquer dans le futur de sa profession. Présidente désignée du CQMF ces deux dernières années, elle a eu le temps de se préparer à la tâche avant de succéder officiellement au Dr Alain Papineau il y a trois semaines. L’omnipraticienne sait donc pertinemment qu’elle a du pain sur la planche. «Le système de santé traverse un moment difficile et la médecine de famille est dans un moment critique», convient-elle en entrevue avec ProfessionSanté.ca. «Notre pratique se complexifie au quotidien. Les règles qu’on nous impose s’empilent et changent tout le temps au gré des réformes permanentes. On est toujours en mode adaptation», déplore la médecin qui, malgré le devoir d’optimisme dont elle se prévaut, constate que ses consœurs et confrères éprouvent une grande fatigue teintée de lassitude, nombre d’entre eux étant au bord de l’épuisement.Certes, ce tableau n’est pas inédit, mais il a eu tendance à s’assombrir ces derniers mois en raison des discours négatifs tenus à Québec vis-à-vis des médecins de famille. «Dans un réseau dysfonctionnel, on a beaucoup de pression. À cause des pénuries de personnel et des listes d’attente qui s’allongent, on a déjà l’impression qu’on n’en fait jamais assez. Alors quand on voit dans le journal qu’on nous casse du sucre sur le dos, tout nous atteint un peu plus», signale la Dre Bois qui affirme que ce doctor bashing est «difficile à vivre» et qu’«il a des conséquences à long terme».Dans ce contexte, la présidente du CQMF considère que la médecine familiale éprouve «un besoin crucial de valorisation». Selon elle, il faut d’abord commencer par arrêter de la dévaloriser pour éviter de saper le moral des omnipraticiens. Ces derniers ont aussi, voire surtout, besoin de support sur le terrain. «Nous savons qu’un système de soins en santé passe par une première ligne forte. Or, les données sont assez évidentes: elle reste le parent pauvre du réseau où davantage de ressources sont mises à disposition des hôpitaux», indique la clinicienne qui souhaite plus de moyens humains et financiers pour permettre à ses pairs d’améliorer d’une part l’accessibilité aux soins et, d’autre part, de pratiquer dans de meilleures conditions au bénéfice des patients.Lire aussi: Médecine de famille: déception, colère, inquiétude et espoirLa valorisation de la profession passe également par des changements au sein des facultés de médecine pour encourager davantage d’étudiants à choisir l’omnipratique, signale la Dre Bois. «Le système universitaire est orienté sur l’hôpital. Un milieu où on n’entend pas forcément des commentaires positifs (sur la médecine de famille)», se souvient la jeune femme. «En préclinique, poursuit-elle, les cours sont essentiellement donnés par des spécialistes, ce qui amène les étudiants à questionner la valeur des médecins de famille.» Si les facultés sont conscientes de l’enjeu et commencent à prendre des dispositions, «la culture n’est pas facile à changer», mentionne la présidente du CQMF qui s’est elle-même fait dire qu’elle était trop bonne ou trop intelligente pour la médecine familiale.Rôle uniqueLa valorisation de la profession, que tous les acteurs appellent de leurs vœux, nécessite enfin une reconnaissance du rôle incontournable des médecins de famille en première ligne, estime la Dre Bois. «Aucun professionnel de la santé ne peut prendre la place de l’autre. Nous, nous sommes les experts de la complexité et de la gestion du patient au complet. Nous portons sur eux des lunettes assez uniques, de la naissance à la mort. C’est là que réside la valeur ajoutée du généralisme. Mais si je dois passer du temps au téléphone pour trouver des rendez-vous en spécialité ou chez le physiothérapeute pour mes patients, quelle est ma valeur ajoutée?» interroge-t-elle en appelant à un meilleur usage de son temps dans la logistique des soins, ce qui serait aussi une façon de valoriser son travail.

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