La machine toute puissante, à quel prix?

Mon numéro de permis du Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique est le 11724. Mon numéro de facturation est 00079. Mon mot de passe est Firefly63@! Je suis votre médecin. À 18 ans, en dernière année de lycée, j'ai pris des cours du soir sur la dactylographie à 10 doigts. Mes camarades m'ont taquiné en me disant: «Tu vas devenir secrétaire...». J'ai poursuivi des études de mathématiques et j'ai dactylographié les thèses de doctorat de mes camarades pour une somme modique. Je comprenais les intégrales triples, les sommes infinies, etc. C'est alors qu'est arrivé quelque chose d'étrange. Une boîte pleine d'électronique, avec un écran et un clavier, appelée Commodore 64: un précurseur de l'ordinateur de bureau moderne. Mon intérêt pour les ordinateurs m'a presque conduit à accepter un poste de programmeur chez IBM. J'ai adopté la technologie. Je me souviens avoir composé le numéro de Trumpet Winsock pour accéder à l'internet naissant, au milieu des années 90. Les ordinateurs étaient ma voie d'accès à la communication, à la connaissance et à la fonctionnalité. Quand me suis-je rendu compte que les choses avaient évolué trop rapidement? Je pense que lorsque mon hôpital actuel a adopté un dossier médical électronique (mal conçu), il est soudain devenu le Baal qu'il fallait vénérer. Il n'y avait plus de temps pour s'asseoir sur le bord du lit et écouter les malheurs des patients. Non, il fallait remplir des champs, cocher des cases, taper des ordres. Un article cite le Dr Alain Choui, qui déclare: «Aujourd'hui, les médecins sont tout le temps sur l'ordinateur. Les DMÉ ont été créés pour la facturation et non pour les soins aux patients. Il est urgent de réparer les DMÉ.» Dans mon cabinet, je suis bien content de pouvoir taper au clavier - avec un bandeau sur les yeux. Cela me permet de porter mon regard sur le patient et non sur les touches. Nous sommes en contact les uns avec les autres, et non avec le web. Je m'interroge: «En quoi la médecine a-t-elle changé à cause de l'écran d'ordinateur, de l'ordinateur, du clavier, de l'internet?» Lorsque j'étais en formation, nous étions assis en face d'un patient, nous établissions un contact visuel et nous écoutions une histoire. Nous nous sommes souvent rassemblés autour d'un lit d'hôpital, privilégiés d'apprendre une autre histoire de vie qui a mal tourné. Avec les connaissances que nous avions accumulées, nous interprétions ce qui était dit, nous examinions et choisissions les tests appropriés. Nous avons éduqué, donné des informations et posé un diagnostic. Nous avons soigné notre prochain. Nous avons fait preuve d'empathie et nous nous sommes souvenus de la façon de mieux faire la prochaine fois. Nous avons écrit une courte note dans le dossier du patient. Lire aussi: La technologie semble nuire à la communication Où en sommes-nous aujourd'hui? Lorsque ma femme a été admise à l'hôpital il y a deux ans (pour une appendicite), l'infirmière a recueilli ses antécédents. Elle lui tournait le dos. Elle regardait un écran d'ordinateur, entrant des données durant tout ce temps. Il n'y avait pas de contact visuel: elle servait un maître supérieur, la machine, plutôt que l'être humain en détresse. Ce n'est pas vraiment là une expression d'attention et de compassion. Je regarde ma vie aujourd'hui: quelle est la part de ma journée que je passe à être l'esclave de l'ordinateur? La moitié? Je ne me soucie pas de savoir si je retarde la démence, je me soucie d'être un être humain pratiquant un art noble, et non un simple serviteur d'un programme, déplaçant des données et actionnant des algorithmes. Est-ce la raison pour laquelle la confiance s'est érodée entre le médecin et ses patients? Ces derniers sont-ils devenus des diagnosticiens profanes, utilisant les moteurs de recherche pour supplanter la sagesse des experts? Leur prestataire de soins, leur source d'information ou de désinformation, est-il un écran clignotant, froid et impersonnel? Comment mesurer l'excellence en médecine de nos jours? «Il pouvait accéder à Up-to-Date, commander un test, taper une consultation et envoyer un courriel à un collègue plus rapidement que n'importe qui d'autre.» Son patient pouvait être «traité» à l'aide d'une interface sans visage. Télé-ci et télé-ça. Lire aussi: La dictée vocale pour gagner en efficacité Quel genre de médecin suis-je, qui dispense des soins par téléphone? À quand remonte la dernière fois où j'ai fait preuve d'empathie, pleuré, serré dans mes bras ou manifesté des émotions? Non, ce serait trop humain. Je suis réduit à un octet de fonctionnalité, déterminé quelque part par un circuit imprimé, un réseau de transistors, un programme d'intelligence artificielle. Suis-je l'acteur ultime, assujetti à un réseau? Mes prédécesseurs me reconnaîtraient-ils comme un pourvoyeur de soins médicaux? Un guérisseur? Un sage compatissant... Quelqu'un qui pourrait répondre à des questions telles que: «Qu'est-ce qui me fait souffrir? Cela va-t-il me coûter la vie? Combien de temps me reste-t-il à vivre? Pouvez-vous soulager mes souffrances?» J'en doute. Signé électroniquement, 00079. Le Dr Hector Baillie est un interniste communautaire, polyvalent, qui travaille en Colombie-Britannique. Il écrit sur des cas et des concepts qui sont susceptibles de stimuler la discussion et le changement.

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