La familiarité chirurgien-anesthésiologiste associée à moins de complications postopératoires

Dans quelle mesure l’association récurrente entre un chirurgien et un anesthésiologiste lors d’opérations oncologiques complexes a une influence sur le risque de complications graves? On savait déjà que le nombre d’interventions réalisées par l’un ou l’autre de ces spécialistes pèse dans la balance. Mais pour la première fois, des chercheurs de l’Université Laval et de l’Université de Toronto montrent que plus ces deux médecins sont familiers, plus le pronostic s’améliore dans les 90 jours suivant l’intervention. Pour parvenir à ce constat, présenté dans une étude publiée dans la revue JAMA Surgery, ils ont examiné les dossiers de 7893 patients ontariens atteints d’un cancer gastro-intestinal qui ont subi, entre 2007 et 2018, une résection de l’œsophage, du pancréas ou du foie. «Il s’agit de chirurgies oncologiques complexes qui présentent des taux de complications graves très élevés», signale le Dr Alexis Turgeon, intensiviste et anesthésiologiste à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus à Québec. Dans les cas étudiés, ces taux de complications — qui incluent les séjours aux soins intensifs, les retours en salle d’opération, les interventions radiothérapiques ainsi que les décès — dépassent les 40%, indique le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en soins intensifs neurologiques et traumatologie, qui est affiliée à l’Université à Laval. En parallèle, l’équipe de recherche a calculé le nombre d’interventions pratiquées par un même tandem chirurgien-anesthésiologiste dans les quatre années précédant une opération afin d’établir le degré de familiarité entre eux au moment de l’intervention. Parmi les 163 chirurgiens et les 737 anesthésiologistes concernés, ils avaient été jumelés une fois, ou moins, dans la moitié des cas. D’autres tandems avaient en revanche été réunis plus souvent, jusqu’à 12 reprises par année. Chaque intervention en duo compte En croisant ces données, tout en considérant les effets attribuables aux différences entre patients, aux hôpitaux et au nombre d’interventions pratiquées par les médecins, les chercheurs arrivent à la conclusion qu’«à chaque fois qu’un duo travaille ensemble, le risque de complications diminue de 5%», indique la professeure agrégée à l’Université de Toronto, la Dre Julie Hallet, qui a dirigé l’étude. «Nous n’avons pas identifié de seuil ou de chiffre magique. Chaque chirurgie additionnelle [en tandem] est primordiale», précise la chirurgienne oncologue. Dans le détail, les chercheurs ont constaté que le risque de complications graves est proche de 35% pour les tandems qui ont été jumelés une fois par année. Il avoisine les 30% pour ceux qui l’ont été quatre fois par an, et il est d’environ 20% pour ceux qui l’ont été dix fois par année. Ces résultats peuvent sembler intuitifs. On les retrouve dans l’aviation concernant les duos pilotes-copilotes ou dans le sport, les équipes jouant longtemps ensemble étant généralement plus performantes. La Dre Hallet l’avait elle-même observé de manière empirique dans sa pratique: «Quand on connaît l’anesthésiologiste, ça va mieux.» Lire aussi: Testez vos connaissances sur la «préhabilitation» avant une chirurgie du cancer gastrique Pour autant, les raisons expliquant la réduction des complications quand les deux spécialistes ont déjà collaboré demeurent un mystère. «Nos données ne nous permettent pas de déterminer l’élément qui expliquerait cette association», indique le Dr Turgeon. La connaissance de l’autre et le lien de confiance développé figurent parmi les hypothèses qu’il avance. «Quand ça ne va pas bien en salle d’opération, il faut avoir une confiance élevée pour pouvoir se fier à son collègue et ne pas avoir peur de recevoir son aide. Ça peut amener à prendre des décisions plus rapidement», observe l’intensiviste. Une recherche à poursuivre Le professeur se garde également de recommander une réforme du mode d’organisation des équipes chirurgicales. «Ce serait prématuré. Il faut poursuivre les recherches pour établir des liens de causalité», explique-t-il. Si d’autres études parviennent aux mêmes conclusions, il faudra néanmoins envisager de jumeler plus fréquemment les mêmes tandems chirurgien-anesthésiologiste lors d’interventions complexes. «C’est notre prémisse», convient le Dr Turgeon. «Ce ne serait pas un changement facile à mettre en place, mais le patient et son bien-être doivent primer.» Sa collègue indique qu’elle va continuer ses recherches en ce sens. «On a prévu de mener des études anthropologiques dans les salles d’opération afin d’observer comment les chirurgiens et les anesthésiologistes collaborent. On va aussi réaliser des interviews qualitatives avec les médecins pour comprendre ce qui fait une différence quand on a l’habitude de pratiquer ensemble», indique la Dre Haller en soulignant que «ça a pris 25 ans pour aboutir à la surspécialisation des chirurgiens oncologiques» afin que ces cliniciens aient des volumes d’opérations complexes très élevés, comme c’est le cas au Canada et dans d’autres pays dans le monde.

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