La Dr Yun Jen, présidente de l’AMQ: «Nous remettons en question la notion selon laquelle le médecin de famille doit toujours être la porte d’entrée»

En avril dernier, l’Association médicale du Québec (AMQ) a élu une nouvelle présidente, la Dre Yun Jen, qui exerce en santé communautaire. Depuis 2008, elle occupe la fonction de médecin-conseil au sein de l’Unité Habitudes de vie, de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Profession Santé l’a rencontrée.Pourquoi vous être présentée comme présidente ?Le contexte actuel, avec la remise en question de la profession médicale, est une période critique où il est important d’assumer un leadership. Je veux aussi apporter une perspective populationnelle dans les discussions sur l’amélioration du système de santé. C’est une approche plutôt inhabituelle parce que les présidents de l’AMQ ont toujours été des cliniciens ou des administrateurs dans le milieu clinique.Que voulez-vous défendre ou mettre de l’avant ?Je m’inscris dans la continuité des travaux de mes prédécesseurs autour du surdiagnostic ainsi que de l’aide médicale à mourir et des soins en fin de vie pour lesquels l’AMQ a démontré beaucoup de leadership. Nous avons jusqu’au 15 décembre 2015 pour mettre la loi en application. Il y a encore beaucoup à faire notamment en matière d’arrimage avec le reste du Canada. Et bien sûr, l’AMQ travaille encore beaucoup à aider les médecins à développer leur leadership, ce qui est important par les temps qui courent. Il faut que les médecins participent à la transformation du système de santé pour améliorer l’accessibilité. Nous venons aussi d’organiser un congrès sur le contrat social et la profession médicale et j’ai la ferme intention de poursuivre les travaux entrepris.Des exemples ?Maintenant on comprend un peu plus la notion de contrat social, mélange entre un ensemble de privilèges et de responsabilités entre la médecine et la société, et j’ai vraiment l’intention d’approfondir davantage des questions soulevées. L’AMQ est là pour continuer le dialogue avec les acteurs de la société sur les attentes de la population face à la profession médicale.La santé publique, votre domaine d’expertise, est malmenée. Qu’en pensez-vous ?Je suis inquiète. La santé publique peut contribuer beaucoup à l’amélioration de la santé de la population, Mais cela ne se reflète pas dans les investissements ou les dépenses de santé. On investit surtout dans le domaine curatif et on coupe les ailes de la santé publique pour investir encore davantage dans le curatif.Que pensez-vous de la réforme de la santé actuelle ?Dans cette réforme, tout tourne autour de l’accessibilité aux soins de première ligne et les gens tiennent pour acquis que cela veut dire l’accessibilité à un médecin de famille. Mais l’AMQ estime que le problème est mal cadré. Le plus important, c’est que les gens aient accès à une équipe interdisciplinaire de soins. Et donc nous remettons en question la notion selon laquelle le médecin de famille doit toujours être la porte d’entrée. Il faut mieux utiliser les ressources médicales et cela prend une équipe interdisciplinaire. C’est en tout cas ce que montrent les données. Quand un patient est pris en charge par une équipe et non par un médecin seul, il obtient de meilleurs résultats pour sa santé, surtout si l’équipe se donne une responsabilité populationnelle.Le manque d’accès n’est-il pas la preuve que l’on n’arrive pas à avoir une approche populationnelle ?On offre des services très ciblés aux personnes qui consultent et on ne prend pas en considération les besoins de l’ensemble de la population. C’est une perspective qu’il faut changer. On voudrait améliorer la santé de ceux qui consultent, mais aussi de ceux qui ne consultent pas. Il y a des divergences de compréhension à ce sujet et il faut les clarifier. Qui est responsable d’une population donnée ? Le médecin, le professionnel de la santé, l’équipe, une organisation de soins comme le CSSS ? Qui est redevable ou imputable pour cette population ? Des expériences hors Québec montrent que quand un médecin a la responsabilité de voir à la santé d’une d’une population et qu’on opérationnalise cette responsabilité au moyen d’un mode de rémunération par capitation, cela donne de meilleurs résultats.Et ce serait le médecin qui aurait cette responsabilité ?C’est une perspective. C’est le cas en Alberta. Mais cela pourrait être la responsabilité collective d’une équipe ou d’un CSSS. C’est pourquoi on a besoin de bien définir de quoi on parle.La plupart des médecins sont tournés vers le curatif, beaucoup moins vers la prévention, n’est-ce pas ? Il y a peut-être une zone grise dans votre vision du médecin curatif. S’il y avait différents modes de rémunération, le médecin aurait peut-être plus tendance à faire en sorte que ses patients restent en bonne santé. Actuellement, le système est ainsi fait que le médecin est redevable de donner les meilleurs soins dans la mesure du possible. Mais est-il redevable pour ce qui est du résultat de son service immédiat ? Si le médecin n’aide pas son patient, ce dernier peut changer de médecin. Le premier n’a pas de compte à rendre quant aux résultats de ses soins. Dans d’autres systèmes où le médecin est responsable d’une population pour laquelle il reçoit une enveloppe d’argent, il est plus préoccupé par les résultats de son acte.Deux médecins responsables de populations dans Hochelaga-Maisonneuve et à Westmount respectivement n’auraient pas les mêmes enjeux. S’ils n’obtiennent pas les mêmes résultats, disons, auprès de leurs patients diabétiques, est-ce la faute du médecin ou des déterminants sociaux ? La responsabilité n’incombe pas seulement au médecin, d’où l’intérêt de votre question. Il faut que ce dernier tienne compte de l’environnement dans lequel les patients vivent. Ce qui est en émergence pour répondre à cela, c’est la médecine de proximité. Il ne s’agit pas juste de voir son patient à son bureau, mais dans son milieu de vie. On sort donc de son bureau pour aller traiter le patient dans son environnement, ce qui permet de noter l’impact et l’influence de l’environnement sur lui. Quand on peut voir cette réalité, on peut agir en conséquence.Un peu ce que fait la pédiatrie sociale ?C’est un exemple, en effet. Mais pourquoi le faire juste avec les enfants ? Pourquoi ne pas prendre en considération l’influence environnementale sur les autres groupes d’âge ou sur d’autres populations vulnérables comme cela commence à se faire avec la médecine de proximité ? Les résidents le demandent de plus en plus. C’est une pratique où l’on met de l’avant le concept de responsabilité populationnelle et cela amène les médecins à voir concrètement où leurs patients vivent et peut-être à tenir compte de ces facteurs pour leur offrir des soins durables.Des soins durables comme dans « environnement durable » ? C’est effectivement en lien avec la notion de durabilité. Ce que l’on fait maintenant aura-t-il un effet durable pour le patient ? Parce que je viens de la santé publique, j’estime que si on ne considère pas les autres facteurs – ce que l’on appelle les autres déterminants sociaux ou environnementaux de la santé –, on a moins de chance d’avoir un effet durable.Lire la suite du dossier

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