La croissance rapide des césariennes reste un demi-mystère

Malgré les préconisations de l’Organisation mondiale de la santé, qui considère qu’un taux de césarienne idéal se situe entre 10% et 15%, et en dépit des multiples appels à la retenue de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC), un gros tiers des bébés naissent aujourd’hui par voie abdominale au pays. Ils n’étaient que 18% à voir le jour par césarienne en 1995. Des économistes de la santé ont tenté d’expliquer cette forte hausse, intervenue entre les années 2000 et 2010, mais ils n’y sont qu’à moitié parvenus, conviennent-ils dans une étude publiée dernièrement dans la revue Canadian Public Policy. Les chercheurs ont passé au crible plus de 4 millions d’accouchements survenus entre 1994 et 2011. En exploitant des bases de données clinico-administratives, ils ont estimé la contribution de différents facteurs liés aux caractéristiques de la mère, du médecin et de l’accouchement sur l’augmentation des naissances par césarienne. Selon leur analyse, le fait d’avoir déjà eu une césarienne est la principale contribution à cette hausse (22%). Les cas pris en charge par un gynécologue-obstétricien arrivent en seconde position (15%), suivis par la détresse fœtale (6%) et le travail anormal au moment de l’accouchement (4%). Les autres raisons généralement avancées pour justifier les recours aux césariennes — les grossesses multiples consécutives à des traitements de fertilité, l’obésité de la mère, le diabète de grossesse ou la rémunération plus élevée des médecins lorsqu’ils pratiquent une césarienne — expliquent chacune 1% ou moins de la hausse. Autrement dit, «en additionnant la contribution de tous les facteurs connus, on explique environ 50% du total de la hausse, l’autre moitié restant inexpliquée», indique la professeure adjointe du département d’économique de l’Université Laval, Isabelle Maripier. La co-auteure de l’étude précise que «la plus grande partie de l’augmentation dans le pourcentage de césariennes provient donc de facteurs qui ne sont pas capturés par les données administratives auxquelles nous avons accès». Lire aussi: 10 examens et traitements obstétriques ou gynécologiques à remettre en question Plusieurs hypothèses sont mises de l’avant par les chercheurs. «La partie inexpliquée de la hausse survient majoritairement, et de façon assez subite, entre 2000 et 2005», souligne Isabelle Maripier en suggérant qu’un événement ou un choc au début des années 2000 pourrait être le déterminant de la montée en flèche des césariennes au pays. Elle pointe ainsi les résultats de l’essai Term Breech Trial, une étude randomisée publiée en 2000 dans le Lancet qui préconisait le recours systématique à la césarienne planifiée pour les bébés se présentant par le siège. «Il y a sans doute eu un effet de contagion sur les pratiques obstétriques, car l’augmentation du taux de césariennes tous bébés confondus reflète l’augmentation des césariennes pour les présentations en siège», observe la professeure. L’autre supposition tient aux changements technologiques, comme les progrès en matière de surveillance fœtale pendant le travail qui permettent de mieux détecter les éventuelles détresses des bébés à naître. «Les départements d’obstétrique se sont aussi équipés en lits et en salles dédiés aux césariennes, donc ils sont incités à les utiliser», envisage la professeure. Sécurité et confort Les préférences des mères ont également pu peser dans la balance, certaines manifestant une peur de l’accouchement vaginal. «Le côté prévisible d’un accouchement par césarienne pourrait aussi avoir un effet», ajoute Isabelle Maripier qui signale que cette prévisibilité peut séduire tant les femmes enceintes que les médecins. Des études aux États-Unis ont par exemple démontré une recrudescence des césariennes en fin de quart de travail des cliniciens ainsi que les vendredis. Toutefois, «ce genre de facteurs pourrait difficilement expliquer le caractère ponctuel de la hausse inexpliquée que l’on observe dans les données canadiennes», relativise la professeure. Du côté de l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec (AOGQ), ce taux élevé de césarienne relevé au Canada ne surprend pas. «C’est une réalité connue que l’on surveille depuis des années», indique la Dre Josianne Paré, qui siège au conseil d’administration de l’AOGQ. L’hypothèse selon laquelle ce taux serait imputable aux médecins pour des raisons financières ou de confort lui semble en revanche «saugrenue». «Notre premier réflexe, c’est de favoriser les accouchements par voie naturelle. Quand on pratique une césarienne, c’est quelque part un échec», indique la spécialiste en obstétrique et gynécologie en soulignant qu’une césarienne reste une intervention chirurgicale et que ces opérations certes banales demeurent plus risquées que les accouchements vaginaux en termes de complications éventuelles. Selon la Dre Paré, les obstétriciens manqueraient tout simplement «d’outils cliniques pour déterminer si la détresse foetale nécessite une césarienne. On ne veut pas allonger inutilement le temps de travail, mais les appareils de monitorage ne sont pas parfaits et leur lecture peut nous induire en erreur», explique-t-elle, en espérant que la recherche en obstétrique fera des avancées significatives pour améliorer la surveillance foetale. Elle signale par exemple que le dosage des lactates sur le cuir chevelu du bébé à naître est une avenue prometteuse comparé à la mesure du PH «au scalp» qui est plus difficile à obtenir. Une réalité commune aux pays développé Ce phénomène n’est pas spécifique à l’Amérique du Nord. «Dans beaucoup de pays développés, la césarienne est devenue l’opération la plus fréquente, ce qui mobilise d’importantes ressources et entraîne des coûts substantiels pour les systèmes de santé», note la chercheuse. Lire aussi: Quels services hospitaliers sont les plus dispendieux au Canada? Quelque 100 000 césariennes sont ainsi pratiquées chaque année au Canada, ce qui en fait l’intervention chirurgicale avec hospitalisation la plus courante, devant les arthroplasties du genou ou les remplacements de hanche. Selon l’estimateur des coûts par patient de l’Institut canadien d’information sur la santé, une césarienne coûte de 3380$ à 5730$, tandis que le coût d’un accouchement par voie naturelle varie de 910$ à 2550$.

La croissance rapide des césariennes reste un demi-mystère

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