Jugement Chaoulli: Une fissure dans le système public de santé

Cette rubrique fait place aux opinions de nos lecteurs.Les 10 ans du jugement Chaoulli – rendu par la Cour suprême du Canada le 9 juin 2005 – rappellent aussi l’anniversaire du premier regroupement de médecins voué à la défense du système public de santé au Québec.Baptisée « Médecins québécois pour le régime public » en 2008, cette organisation milite depuis pour la préservation des principes de la Loi canadienne sur la santé, tout en s’opposant à la privatisation de notre système.C’est dans la foulée de ce jugement menaçant directement le caractère public du régime que se rassembleront près de 500 médecins pour défendre les principes de gratuité, d’universalité et d’accessibilité de notre système de santé.Pour mémoire, il faut rappeler que la décision controversée de la Cour suprême – rendue à quatre juges contre trois – portait essentiellement sur les préjudices potentiels associés aux listes d’attente déraisonnables. En levant l’interdiction de l’assurance privée pour des soins déjà couverts par l’assurance-maladie, plusieurs ont vu dans ce jugement une caution en faveur d’une plus grande privatisation des soins de santé.Pourtant, cette assurance privée duplicative, censée régler les problèmes d’accès, ne parvient pas à tenir ses promesses et transgresse le principe d’équité. Pour s’en convaincre, nous n’avons qu’à penser aux examens radiologiques, un exemple éloquent de la mixité en santé. Si les nantis peuvent avoir accès rapidement à une échographie grâce à leur assurance privée, l’accès à ce type d’examen dans le système public se détériore. La migration des ressources (techniciens, radiologistes, appareils) vers les cliniques privées explique en grande partie cette situation. L’assurance duplicative ne permet donc pas de réduire les listes d’attente, mais uniquement d’accélérer l’une des voies de ce régime à deux vitesses, au détriment de ceux qui n’ont pas les moyens de se munir d’une assurance privée.Alors que les coupes budgétaires et le sous-financement avaient déjà entraîné une privatisation passive du système, l’arrêt Chaoulli fut l’une des premières mesures actives de privatisation au sein du régime. Depuis, la brèche s’élargit avec le recours accru à la sous-traitance, la construction d’hôpitaux et de CHSLD en formule partenariat public-privé (PPP) et l’émergence d’un nouveau marché aux prestataires et assureurs privés, avec pour résultat prévisible des effets pernicieux sur l’universalité et l’accessibilité.Mais surtout, nous assistons à une infiltration progressive de la logique marchande au sein de notre système public. La hausse faramineuse des frais accessoires, l’augmentation rapide du nombre de médecins non participants à la RAMQ et la prolifération de cliniques à but lucratif ne sont que quelques exemples de cette privatisation galopante. Nous avons aussi pu constater ces dernières années l’apparition d’un nouveau vocabulaire chez nos dirigeants : productivité, méthode toyota, modèle lean... À ce langage s’associent inévitablement des techniques managériales issues de l’entreprise privée qui, selon les acteurs du milieu, contribuent à déshumaniser et à fragiliser davantage notre système public de santé.Pourtant, le droit universel à la santé représente l’une des grandes réalisations de la modernité. Ses assises demeurent toutefois précaires, dans une société traversée par de forts courants individualistes et corporatistes. Si le jugement Chaoulli a été interprété comme la première fissure de ce modèle public, il n’en tient qu’à nous de colmater cette brèche afin de mieux protéger notre système de santé. Cette responsabilité incombe à tous, dirigeants, citoyens et professionnels de la santé.En ce sens, nous invitons l’ensemble du corps médical à souscrire à la déclaration de Montréal de 2008, texte fondateur de MQRP : « Médecins, nous agirons en faveur du maintien d’un solide régime public de santé, afin d’éviter une altération irréversible des valeurs devant invariablement nous guider : la compassion, l’équité et la justice. »

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