Je suis anesthésiologiste et je n’irai pas en CHSLD. Voici pourquoi.

J’ai de la compassion pour la situation que vivent nos parents dans les CHSLD. Je voudrais aller prêter main-forte, et si je le faisais, ce serait bénévolement. J’ai entendu l’appel. Il y a un besoin urgent maintenant, je voudrais tellement participer, mais je n’irai pas.Il est temps de remettre les pendules à l’heure. On entend ces jours-ci que les anesthésiologistes québécois ne font plus rien... J’aimerais vous informer de ce que nous faisons, en ces temps de pandémie où chacun doit se réinventer pour se préparer au pire. Rappelez-vous tous que depuis un mois, on nous a prédit l’apocalypse. La population est confinée, l’économie est au point mort. Dans les hôpitaux, l’activité élective et chirurgicale est au minimum, et toutes les énergies sont consacrées à la préparation pour la vague potentielle et toujours possible de patients atteints de la COVID-19. Ce seront des malades intubés, ventilés pendant des jours et hautement contagieux. Ça requiert beaucoup de personnel, des protocoles d’intervention inédits, des plans de contingence, de la préparation. Les anethésiologistes voient donc leur activité grandement perturbée, eux qui travaillent principalement en salle d’opération. Que font-ils donc? Sont-ils disparus? Inutiles? En chômage? Endormis (sic)? Non. Voici ce que nous faisons.Nous travaillons à établir et à mettre en place des protocoles d’intervention en salle d’opération qui visent la protection des patients et du personnel traitant en contexte de pandémie. Nous établissons les règles de protection personnelle en salle d’opération, déterminons les trajets séparant les patients Covid des autres, participons aux comités de modification des systèmes de ventilation des salles d’opération, établissons les protocoles de protection durant les procédures générant des aérosols. Ces protocoles sont fastidieux, complexes, en constant changement et demandent des heures de planification, d’enseignement.Chaque anesthésiste doit s’entraîner à connaître ces protocoles et se soumettre constamment à des évaluations par les pairs. Ça prend du temps, et c’est essentiel pour la sécurité de tous. Ça évite la propagation du virus au personnel et évite la perte des ces précieuses ressources pendant au moins 14 jours. Quand c’est maîtrisé, chaque cas fait dans ces circonstances prend trois à quatre fois plus de temps que la normale. Nous sommes directement exposés aux aérosols porteurs de coronavirus, comme nos collègues ORLs, intensivistes et urgentologues. Tout ça prend du temps et si on n’a pas l’honnêteté de réaliser que tout cet énorme travail est nécessaire pour que seulement un petit nombre de patients aient finalement leur chirurgie de façon sécuritaire, on pensera à tort que les anesthésistes étaient au repos depuis le début....Malgré les efforts considérables faits jusqu’à présent et le nombre quand même limité d’hospitalisations, il est encore possible que le nombre de cas positifs monte en flèche, soit par inefficacité ou relâchement du confinement et de la distanciation, soit par l’arrivée toujours possible d’une deuxième vague. Nous nous préparons donc aussi à soutenir nos collègues intensivistes en prévision d’un toujours possible afflux de patients en centre hospitalier. Les patients COVID sont très souvent intubés pour de longues périodes. Si par malheur nous devions faire face à une situation semblable à ce qu’on voit en Italie ou à New York, nous serions prêts. Les anesthésistes s’entraînent présentement pour assurer aux collègues des soins intensifs le support nécessaire si le besoin se manifestait. Dans tous les hôpitaux désignés, les anesthésistes seront prêts à assurer les soins intensifs de première ligne pour les patients COVID. Si nous sommes submergés de patients, ça va arriver. Ça aussi, ça prend du temps, de l’énergie, et ce ne sera pas glorieux si tous ces efforts de préparation ont été faits sans que finalement on ait besoin de nous. Tant mieux si on s’évite cette horreur, mais ne critiquons pas le pompier fin prêt qui n’aura rien eu a faire parce qu’il n’y aura pas eu de feu à combattre.Et puis, si le scénario catastrophe se réalise, il faudra beaucoup, beaucoup d’anesthésistes. Nous nous préparons au scénario tout à fait plausible selon lequel un taux d’infection élevé dans la population remplirait les hôpitaux. Cela toucherait inévitablement le personnel de la santé et enverra une grande partie des troupes, y compris les anesthésistes, en confinement. Il faudra du monde, beaucoup de monde pour combler les pertes. Nous sommes prêts. Soyez certains que le manque d’activité que nous vivons présentement nous pèse énormément: nous sommes beaucoup plus dans l’attente que dans l’action. Mais la planification du remplacement des effectifs nous permettra de continuer à vous donner des services essentiels durant toute cette période difficile le moment venu. On ne sera pas plus avancés si je deviens COVID positif après une journée en CHSLD et donc inapte à faire de l’anesthésie dans un centre tertiaire pédiatrique...Finalement, durant ces temps difficiles, il y a tout le reste que nous faisons comme toujours... les gardes continuent, les services en obstétrique sont assurés et les patients évalués pour être prêts le jour où les activités chirurgicales reprendront, nous soutenons les collègues en consultation dans nos champs d’expertise. Les chirurgies urgentes sont bien sûr effectuées et nous faisons maintenant de plus en plus de cas semi-urgents.Nous donnons donc tous les services qu’on nous demande dans un contexte incroyablement complexifié. Cela demande énormément de préparation et d’implication. Chers patients, si malheureusement vous ou votre enfant aviez besoin d’une chirurgie en ces temps difficiles, dites-vous bien que votre anesthésiste vous donnera les soins requis de la façon la plus sécuritaire qui soit pour vous garder en santé et prévenir une contagion au coronavirus. Ça n’est pas simple... votre anesthésiste a travaillé très fort depuis quelques semaines pour contribuer au succès de votre séjour à l’hôpital en temps de pandémie. Nous sommes présentement au bon endroit dans les centres hospitaliers, et notre expertise est utilisée à bon escient. Si nous continuons à aplatir la courbe avec succès, nous éviterons le pire.Monsieur Legault, Madame McCann, Docteure Francoeur, les anesthésiologistes sont au bon endroit dans les centres hopitaliers, fin prêts, au service de tous les Québécois. Ce n’est pas par manque de compassion que je ne servirai pas dans un CHSLD. Des milliers de Québécois se sont offerts pour aider, je les en remercie du fond de mon cœur. Ça me rend moins coupable et me permet de rester à mon poste, là où je suis le plus utile, pour faire ce que je fais le mieux. Pierre Fiset, MD FRCPCAnesthésiologisteHôpital de Montréal pour EnfantsClinique d’Anesthésie AGM

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