«Je n’ai pas choisi le privé, c’est le public qui m’a exclue et m’exclut encore»

La Dre Marie-Lou Sauvé n’imaginait pas qu’elle se heurterait à un mur. Voilà un an que la médecin de famille spécialisée en santé mentale, qui a toujours exercé au privé, cherche à rejoindre le réseau public de la santé. «J’ai contacté mon député, Lionel Carmant [le ministre responsable des Services sociaux, NDLR], la FMOQ [Fédération des médecins omnipraticiens du Québec], le ministère de la Santé, la RAMQ [Régie de l’assurance maladie du Québec], le Collège des médecins. Ils ont tous ignoré ma requête, en se renvoyant la balle en toute impunité.»Depuis ces fins de non-recevoir, la Dre Sauvé mène un réquisitoire contre le modèle de l’inscription de patients et les modalités de facturation des actes médicaux qui, selon elle, «favorisent la médecine fast food au détriment de la vraie médecine». On a ainsi pu l’entendre sur les ondes du 98.5 FM en entrevue avec Nathalie Normandeau, puis avec Paul Arcand en compagnie du Dr Benoît Heppell. On a aussi pu la lire dans La Presse, qui a publié sa lettre d’opinion où elle dénonce «ce système me rend et nous rend tous malades». «La seule solution aujourd’hui pour pratiquer la médecine familiale dans le réseau public, en GMF ou en CLSC, c’est d’inscrire des patients. Mais si j’inscris des patients à mon nom, j’en serais responsable. Je devrais leur donner des rendez-vous quand ils ont un rhume, une otite, une sinusite. J’aurais beaucoup moins de temps pour faire de la santé mentale ou prendre en charge des cas complexes, ce pour quoi j’ai été formée», explique la clinicienne qui a étudié en psychologie avant de s’orienter en médecine.Au fil de ses démarches, elle s’est également rendu compte qu’il n’existe pas de code de facturation qui lui permettrait de vivre décemment de sa pratique dans le réseau public, sans inscrire de patients. «Il y a un code pour la prise en charge en santé mentale qui permet de facturer un rendez-vous 99 dollars. Sauf qu’en santé mentale, on peut facilement passer deux heures avec un patient. Je serais alors payée 50 dollars de l’heure», calcule l’omnipraticienne qui en conclut que sa pratique serait déficitaire.La Dre Sauvé s’est également rapprochée du CIUSSS de la Montérégie-Centre en se disant qu’elle pourrait à tout le moins contribuer à une clinique externe en psychiatrie, au Guichet d’accès en santé mentale adulte (GASMA) ou devenir répondante en santé mentale pour les médecins de famille. «Mais personne n’a de solution pour me payer. Sans poste PREM [plan régional d’effectifs médicaux] en médecine familiale et sans AMP [activité médicale particulière], c’est impossible de pratiquer au public. Je ne peux pas aider, alors que les besoins sont immenses. C’est plate.»«On ne peut pas blâmer les médecins de faire ce qu’on leur demande»Au-delà de son cas personnel, la Dre Sauvé considère qu’il est nécessaire de revoir le fonctionnement de la facturation des actes médicaux. «Les personnes âgées, les patients avec des problèmes de santé mentale, de toxicomanie, les femmes ménopausées, etc., ce sont des cas complexes qui prennent 30, 60 ou 90 minutes en consultation. Or ces rendez-vous ne sont pas payés à leur juste valeur», regrette-t-elle en ajoutant que le système actuel favorise au contraire la multiplication des rendez-vous courts et des actes simples pour un même patient. «Les cas complexes ne sont pas payants pour les médecins de famille qui, au final, font beaucoup d’actes qui pourraient être posés par une infirmière ou un pharmacien.»Cela dit, l’omnipraticienne ne désapprouve pas ses pairs. «C’est le gouvernement qui a mis en place ce système. On ne peut pas blâmer les médecins de faire ce qu’on leur demande. Quand on crée des primes et des bonus pour favoriser l’inscription de patients et quand on rémunère davantage certaines tâches pour en augmenter l’attrait, les gens les font. C’est aussi simple que ça», souligne la Dre Sauvé qui ne veut pas rentrer dans ce moule imposé par le régime public.Pour autant, elle aimerait cesser de pratiquer dans le secteur privé où elle exerce depuis le début de sa carrière, plus par nécessité que par choix, explique-t-elle. «Quand j’ai gradué en 2010, il n’y avait pas de PREM sur la Rive-Sud (de Montréal). Je ne pouvais pas m’exiler dans une autre région pour des raisons familiales, alors je suis allée voir au privé.» De fil en aiguille, la clinicienne y a trouvé son compte. Elle y est donc restée, notamment parce qu’elle a pu se spécialiser en santé mentale. Depuis 2021, elle a ouvert sa propre clinique privée, MD PSY, située à Longueuil, où elle exerce en solo auprès d’une clientèle dont 80% présentent des problèmes de santé mentale. Dans l’absolu, sa pratique actuelle — sans contraintes ni standards de consultation à respecter — lui convient, même si elle dit «ne pas rouler sur l’or». «Je ne fais pas plus de 150 000 dollars bruts par année», déclare-t-elle sans ambages. En revanche, ce qui la frustre, c’est de ne pas pouvoir «contribuer au système et aider les vrais malades». Et ce qui la dérange, c’est «de faire payer mes patients pour des services qui relèvent du régime public, tout ça parce que je ne rentre pas le moule.»

«Je n’ai pas choisi le privé, c’est le public qui m’a exclue et m’exclut encore»

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes