«Je n’achète pas la thèse du gars qui a essayé de faire une passe d’argent...» – Dr François Vaillancourt*

Qu’est-ce que la prime en question ? Il s’agit en fait de 1500 forfaits d’inscription variant, si ma mémoire est bonne, de 50 à 250 $ chacun, selon les problématiques de santé des personnes inscrites. Cette mesure a été mise en place précisément pour inciter les médecins de famille québécois à inscrire davantage de patients dans le contexte que nous connaissons : les nouveaux facturants à la RAMQ inscrivent moins de patients que leurs prédécesseurs, ce qui entraîne un important problème d’accessibilité aux soins de première ligne.Comparée aux forfaits cellulaire, au coût d’entretien automobile, au coût d’un examen chez l’optométriste, le naturopathe, l’acupuncteur, ou à la facture mensuelle de produits naturels, les soins esthétiques, etc. cette prime est-elle trop élevée ? Paieriez-vous 200 $ une fois pour vous assurer les services d’un médecin de famille pour 10, 20, 30, voire 40 ans ? Bien sûr que oui. Le MSSS aurait-il dû par ailleurs prévoir dans cette entente ce qu’il advient lorsqu’un médecin de famille est élu et par surcroît nommé au Conseil des ministres ?Vous comprendrez que je n’achète pas la thèse du gars qui a essayé de faire une passe d’argent. Si le Dr Bolduc avait choisi de faire plus d’argent, il n’aurait pas choisi d’aller en politique. Lorsque j’ai commencé à pratiquer la médecine en 1981, le salaire moyen des médecins de famille québécois était plus élevé que celui du premier ministre...Il est normal que les médias s’attaquent à l’homme politique. Ça fait partie des règles du jeu et le politicien doit s’y attendre. Prétendre toutefois que le Dr Bolduc aurait planifié l’affaire fait carrément abstraction d’abord des probabilités qu’une telle situation se produise (même les médias ne donnaient pas le Parti libéral gagnant), ensuite du parcours de l’homme en tant que médecin.J’ai côtoyé le Dr Bolduc pendant les sept premières années de sa carrière. C’était un bourreau de travail. Il n’y a aucun doute dans mon esprit que, lorsqu’il s’est retrouvé dans l’opposition, il comptait reprendre sa pratique médicale pour plusieurs années et offrir ses services de médecin de famille à une population qui en a encore grandement besoin. Il n’était pas prétentieux pour lui de dire qu’il aurait pu, comme simple député, consacrer plusieurs heures par semaine à sa pratique, car il a toujours travaillé plus que la moyenne de ses collègues. Dans les années 1970, le maire de la ville de Noranda était un médecin de famille qui menait la mairie de la ville de front avec sa pratique médicale.Enfin je crois qu’aux dernières nouvelles, le Dr Bolduc a décidé de rembourser le montant, reconnaissant que cette mesure vise aussi à garantir une offre de service continue échelonnée sur plusieurs année.Pour répondre aux trois constats énoncés à la suite des réactions de l’opinion publique à « l’affaire Bolduc » :1. Insensibilité de la profession face au peupleJe ne mettrais pas tous les médecins dans le même bateau. Il y a dans cette profession beaucoup de héros mal connus, trop occupés à offrir des services directs à la clientèle pour avoir le temps de faire des relations publiques. Je crois au contraire que la majorité des médecins de famille québécois sont sensibles aux problématiques vécues par leur clientèle.Il est vrai que le niveau de soin et l’accessibilité varient beaucoup d’un médecin à l’autre, voire d’un GMF à l’autre. Des changements de paradigme, de valeurs générationnelles, le besoin pour la relève de pouvoir concilier plus facilement travail et famille, les besoins souvent sans fin d’une population de plus en plus critique par rapport aux services reçus, l’absence apparente de relève entrepreneuriale, voilà bien des éléments qui ont refaçonné l’image de la profession.Les médecins de famille se butent toute leur carrière à une implacable réalité : « Prenez soin de vous, docteur... sauf quand j’ai besoin de vos services ! » Multipliez le tout par 1500 patients et une période de 10 à 12 semaines de garde par année et l’on comprendra alors aisément pourquoi certains médecins préfèrent être rémunérés à tarif horaire, 40 heures par semaine.2. Sentiment qu’une partie de la profession marche désormais au fricJe comprends très bien les contribuables excédés. Quand 50 % des montants que vous versez en impôt provincial vont à la santé et que vous n’avez pas accès à des services de première ligne autrement qu’en allant attendre des heures dans une salle d’urgence, vous avez raison d’être excédé. Ce qui ne veut pas dire pour autant que vous souhaitez que votre médecin de famille soit moins bien rémunéré que la moyenne de ses collègues ailleurs au Canada.Plusieurs experts croient que la rémunération mixte pour les professionnels de la santé (acte + forfait) est un bien meilleur modèle que la rémunération purement à l’acte ou que le salariat. Les modèles mis en place depuis la fin des années 1990 tendent vers la rémunération mixte. Le gouvernement et la FMOQ font ainsi le pari que la reconnaissance de toutes les facettes du travail du médecin de famille incitera les jeunes médecins à prendre la relève de leurs collègues plus âgés, entre autres en cabinet. Gagneront-ils ce pari ?Malgré les ajustements apportés au Québec pour garantir aux médecins québécois une rémunération équivalente à leurs collègues d’ailleurs au Canada, l’accessibilité, pour plusieurs contribuables, tarde à être au rendez-vous. Beaucoup de médecins québécois choisissent de consacrer moins d’heures à la pratique de leur profession que leurs prédécesseurs. Peut-être que les patients dits « orphelins » souhaiteraient que les médecins s’intéressent davantage à leur rémunération et choisissent de travailler plus. Pour ma part, j’ai le sentiment que l’argent motive moins les médecins maintenant que c’était le cas il y a 30 ans.3. Plus on paie les médecins, moins on les voitEncore là, cela varie d’un médecin et d’un groupe de médecin à l’autre. Le modèle GMF est une invitation à revoir les façons de travailler. En travaillant en équipe, les médecins parviendront à garantir une offre de service plus uniforme. Reste à voir si le niveau d’inscription moyen de clientèle augmentera.Avec plus de 9000 médecins de famille pour une population de huit millions de personnes, le ratio requis pour que toute la population soit inscrite à un médecin de famille devrait être de près de 900 patients par médecin.Malheureusement, plus de deux millions de personnes ne sont pas inscrites auprès d’un médecin de famille. Avec le départ à la retraite de médecins ayant des clientèles dépassant facilement 1000, voire 1500 patients, le problème d’accessibilité risque fort de s’aggraver et ce, malgré les incitatifs financiers. Et puis ceux que l’on paie sont-ils vraiment ceux que l’on ne voit pas ?Avec le recul, voici l’essentiel de ma réflexion :Le Dr Bolduc a voulu reprendre du service comme médecin de famille. En inscrivant 1500 patients, il a, entre autres, voulu passer un message à ses jeunes collègues. Toutefois comme il ne marche pas qu’au fric, le moment venu, il a choisi de servir les intérêts du Québec plutôt que de s’enrichir en pratiquant la médecine. Et puis, il rembourse, alors, affaire classée. La thèse du gars qui a voulu faire une passe ne tient pas la route.Le processus de réorganisation des soins de première ligne doit se poursuivre en tenant compte des besoins de la population. Le malaise ressenti en rapport avec cette « affaire » met l’emphase sur la nécessité de continuer à promouvoir les principes de continuité des soins et d’accessibilité. On doit bonifier les pratiques qui vont dans ce sens, notamment la pratique en GMF.Ce n’est pas en cassant du sucre sur la tête des médecins de famille qu’on va les convaincre de passer plus de temps au travail que la moyenne de la population active.* Médecin de famille, Rouyn-Noranda.Lire la suite du dossier

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