J’ai serré Patch Adams dans mes bras

« Pour l’homme, rire est un acide aminé essentiel. L’arrivée d’un bon clown exerce une influence plus bénéfique sur la santé d’une ville que vingt ânes ployant sous des ballots de remèdes. »– Dr Thomas Sydenham, médecin du 17e siècleLors de sa visite à Montréal en avril dernier, j’ai rencontré Patch Adams chez des amis et l’ai serré dans mes bras. Je n’oublierai jamais cette légèreté, cette douce euphorie qu’on ressent en sa présence. Ce médecin, clown et prophète en son genre, déleste en un clin d'œil l’atmosphère de sa gravité ! Considérant la joie, le rire et l’amour comme essentiels à la santé des hommes, plus efficaces que les médicaments, il vit et pratique la médecine en adéquation avec ces préceptes.Paradoxalement, ce médecin, qui se décrit lui-même comme farfelu, recèle une réelle profondeur et invite à la réflexion.Dans son livre intitulé Docteur Patch Adams : quand l’humour se fait médecin, il cite Kazantzakis dans Zorba le Grec : « L’homme a besoin d’un peu de folie, sinon il n’osera jamais couper la corde pour se libérer ». Cette folie pourrait heurter quelques esprits bien-pensants mais pour lui, elle s’inscrit dans une philosophie de vie assumée.Toujours dans un des chapitres de ce livre autobiographique, que j’ai dévoré, il disserte sur le mot « colossal »; le plus grand des superlatifs et son préféré, précise-t-il. Il écrit : « "Colossal" signifie passer chaque jour dans la joie d’exprimer ce qu’il y a de plus noble en soi. [...] Pour moi, ce terme traduit l’audace de regarder le miracle de la vie et de rêver sans inhibition ».Du haut de ses 6 pieds 5 pouces, son épithète favorite pourrait également le qualifier lui-même avec justesse. Et le regard de ce géant porte manifestement sur les défis colossaux de la vie, là où l’horizon se fond à la démesure. Bien plus loin que la moyenne des humains et à des années lumières du regard à courte vue de nos dirigeants politiques. Il se fait fort d’interpeller et de dénoncer le capitalisme de marché. Cette dissidence politique est d’ailleurs occultée dans le film biographique hollywoodien qui l’a rendu célèbre. Robert Williams y interprète un Patch Adams convaincant certes, mais réduit, édulcoré, à son côté touchant et charitable de docteur clown.Il porte un nez rouge quand il ne fait pas de grimaces et se lève toutes les quinze minutes lors d’un souper amical pour réciter par cœur des centaines de vers de poésie sur le sens de la vie, l’amour et l’amitié. Il se réclame profondément du pacifisme et dénonce la guerre, la famine et l’injustice économique dans le monde.Il voyage 300 jours par an à la rencontre des populations les plus vulnérables de la terre : camps de réfugiés syriens, zone de guerre en Tchétchénie, Haïti, Amérique latine, Moscou, Afrique etc. Il m’a dit qu’il venait d’aller à Fukushima. « You mean you went to hell ? » lui ai-je demandé spontanément. Il a répondu : « Oui, je vais toujours là où il y a le plus de souffrance. Quand je visite un hôpital, je demande qu’on me dirige vers le patient le plus malade ».Lors de sa conférence à Montréal, interrogé sur l’essoufflement de son dévouement, il a assuré ne jamais se sentir lassé ni fatigué car, au contraire, ce qu’il fait lui procure une joie et une énergie régénératrices.Cela ne l’empêche pas de s’indigner. Il a pleuré en parlant de l’esclavage sexuel des femmes et des enfants en augmentation dans le monde et de cas particuliers de ces victimes qu’il a traitées : « Chaque jour dans le monde, 40 000 enfants sont forcés d’avoir des relations sexuelles avec des adultes et les charters continuent d’assurer un flot de touristes vers ces pays ».« Si l’amour était enseigné dans le cursus éducatif aux côtés des autres matières, on pourrait prévenir ces abus sexuels commis par des êtres visiblement dépourvus d’amour. » Encore plus que les abuseurs, il condamne la complaisance du capitalisme de marché dans ce commerce qui rapporte des centaines de milliards de dollars.Pour terminer, Patch Adams croit que le geste le plus révolutionnaire qui existe est celui d’être heureux. Car ce sentiment de complétude laisse peu de prise à tous ces vautours vendeurs de rêves, qui sévissent dans nos sociétés de consommation et qui se nourrissent de notre détresse.Ceux qui n’ont pas eu l’occasion de le voir à Montréal pourront connaître ses stratégies du bonheur ou son projet d’hôpital Gesundheit en lisant son livre, en assistant à un voyage clown avec lui ou en visionnant une de ses conférences à la Mayo clinic1.1. http://bit.ly/1iQvrIA

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la Dre Saïdeh Khadir